Je remercie tout d'abord l'équipe de Babelio, qui m'a fait l'honneur de me sélectionner pour l'opération Masse critique et les Editions du Seuil pour m'avoir offert ce livre.
En entament la critique promise, je réalise que l'opération va être difficile ; sa qualité première réside en effet dans une trame complexe et élaborée, reposant sur deux narrations intriquées qui en cachent peut-être une troisième, auxquelles il faut ajouter le discours de l'auteur, dans la position de l'historien publiant, commentant et critiquant un dossier d'archives.
Oui, mais il est difficile d'en dire beaucoup plus, sans trop en dire sur l'intrigue et son déroulement.
Essayons cependant.
Je connais mal l'oeuvre de
Romain Slocombe, dont je n'avais rien lu jusqu'ici, mis à part un tome des aventures de l'Inspecteur Sadorski, qui m'avait plu, mais sans me motiver suffisamment pour entreprendre la lecture complète et chronologique de la série. Et l'inspecteur Sadorski, nous n'en sommes pas si loin, puisque l'auteur continue son exploration des zones grises de l'Occupation.
Ici une parenthèse : je me méfie généralement des
romans historiques, attendu la quantité d'erreurs et d'anachronismes confinant parfois à l'aberration pure et simple que contiennent la plupart d'entre eux ; or
Slocombe est l'une des heureuses exceptions à la règle, qui se comptent sur les doigts des deux mains. le livre est assis sur une documentation historique impeccable, dont il faut saluer le travail de recherches qu'elle implique ; on retrouve d'ailleurs les mêmes qualités dans les Sadorski.
Le début du livre m'a fait penser à celui du Nom de la Rose : dans les deux livres (qui reprennent ainsi une tradition littéraire remontant au XIXème siècle ) l'auteur prend la position de narrateur ayant eu entre les mains plus ou moins par hasard, un mystérieux document, manuscrit dans un cas, dossier d'archives dans l'autre ; et il s'agit, j'y pense, dans les deux cas, d'une affaire policière.
Et ce document, dont la rédaction donne l'illusion de l'authentique ma requis de sa part une belle habileté,
Slocombe nous le livre verbatim.
Ce faisant, je viens de faire à
Slocombe un compliment de taille en le comparant à
Umberto Eco ; je le dis tout de suite, la comparaison n'ira pas plus loin.
Mais essayons d'entrer un peu dans le vif du sujet, il s'agit donc d'un dossier de police, ou peut-être de plusieurs dossiers de police, concernant deux personnes qui n'en sont peut-être qu'une et peut-être pas.
On entreverra une vérité à la fin ; mais est-ce la vérité, est-elle définitive ?
Comme je l'ai dit plus haut, nous sommes ainsi plongés dans les zones grises de l'histoire de l'occupation : polices plus ou moins officielles, policiers plus ou moins truands, truands plus ou moins policiers, espions allemands en zone libre (qui, et c'est une découverte pour moi, étaient jusqu'en 1942 traqués et parfois assassinés par la police de Vichy), on n'est parfois pas loin de l'univers de
Modiano
Alors, dans cette Histoire, dans cette histoire, embrouillées, je me suis choisi, pour servir de fil conducteur, une héroïne : la pauvre Aline Beaucaire, victime raisonnable qui raconte ses malheurs sans se plaindre, et accepte son destin, avec dignité, un destin parmi tous ceux des petits et des humbles qui furent broyés par la grande histoire ; et l'on pense aux vers d'
Aragon : "J'en ai tant vu qui s'en allèrent/Ils ne demandaient que du feu/Ils se contentaient de si peu/Ils avaient sii.peu de colère" ;oui, Aline Beaucaire m'a infiniment touché.
Alors j'ai décidé, et c'est mon droit de lecteur, que c'est son histoire qui était la vraie, la vraie au sein du roman bien sûr.
Mais libre à vous d'en décider autrement ; pour prendre un parti, n'hésitez pas à lire
Une Sale Française. Ce livre sera l'une des étoiles de la rentrée de janvier 2024 (anticipée en décembre 2023...)