Grainville fait découvrir sa vision de Rio de Janeiro à travers le héros de son livre et ses rencontres dans la cité brésilienne. Les images sont au rendez-vous, la moiteur de l'ambiance de la ville bien perceptible, donc un bon voyage à Rio.
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Cest un livre qui vous montre la réalité des chose sur la vie dans les favelas à RIO
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Souvent Alcir et Benicio poussent vers la grande autoroute, filant à cinq kilomètres de leur logis. En s'approchant, ils entendent le grondement de l'artère, la découvrent exhaussée sur un remblai qu'ils escaladent. Ce n'est plus le fleuve et son rêve aquatique de lenteur, de profondeur, de profondeur, de pérégrination, de pêche, d'aventure archaïque, mais la scène même du présent, de son trafic bruyant, désordonné, la curée de tous les véhicules pêle-mêle, pressés, happés avec fureur, vers quel but, quel destin dévorant? Tous visent une cible, les gros camions frigorifiques qui descendent du Nord vers Sao Paolo, tous transportent quelque chose, un désir... Enormes, hermétiques et grondants, sans un regard pour les infirmes voyeurs des bas-côtés. Aveugles, emportant jalousement leurs marchandises, un avenir d'échanges, d'argent, de dépenses. Toute la vie du pays s'articule sur cette flotte de camions géants, tout ce qui vit, espère, bataille, fonce sur la grande autoroute. Alcir et Benicio sont fascinés mais tristes. Car l'épopée s'élance loin d'eux. Les camions surgissent, le vacarme s'enfle, devient assourdissant, les monstres passent avec leurs chromes, leurs décorations, leurs fétiches collés au pare-brise et sur la cabine. Et tout cela croule vers le Sud. D'énormes portions de chimères. Les chauffeurs sont autant d'Ulysse, de capitaines harcelés par la passion, la rage d'accélérer, d'atteindre un but, une plénitude. Alcir et Benicio regardent, assis sur le remblai, inhalant les gaz des moteurs, ahuris, saoulés, roulés dans le tonnerre, assaillis par de nouvelles visions... Camions tout neufs, parfois, étincelants, nickelés, bardés de phares superposés, hérissés de rétroviseurs, d'antennes, avec leurs bâches gonflées, claquantes. On dirait des galions ailés, vibrant dans la tempête. Mais il y a des esquifs plus lents, plus rapiécés, de vieux camions cahotant perdus dans la meute, carcasses cliquetantes, dépareillées, qui ne produisent pas le beau rugissement continu des camions-citernes ou frigorifiques... Ces véhicules déchus transportent parfois une cargaison d'hommes sous leurs bâches trouées. Alcir et Benicio voient passer les errants, des rangées de têtes, de silhouettes voyageant vers une région poussière.
Damien ressuscitait dans l'océan divin, grégaire, le triomphe trivial... De courtes limailles, des graines, des grelots agaçaient portés par la dilatation immense... myriades d'épis frottés, élytres et gamelles cognés sur la montagne du morne quioscille et qui bruit. Car le morne est le monde. C'est le nombril du monde. Il y a le morne, le tambour et le bruit. Le tout tient dans ce cercle.
Damien voyait sur l'estrade l'orchestre de l'école de samba, tous les types de paillettes, parés de rouge et de blanc, les couleurs du Salgueiro, toute la haie des pantins scintillants, des sorciers du bruit. Les gueules brunes en sueur et les yeux chavirés, toute la peau palpitait. Une banderole traversait la salle ou s'affichait le thème travaillé pour le grand défilé : c'était l'esclave révolté. Le thèmeétait toujours fort et naif exprimé en images, en gestes, en symboles flagrants. Il n'y avait pas de fraude. Le grand thème flamboyait, la révolte des esclaves, des ancetres premiers.
Hippolcyte et Renata s'était détachés du cercle. Damien les vit cogner leurs verres et boire de la cachaça.Alcir et Benicio buvaient aussi rasade sur rasade Toute la dureté d'Alcir semblaient noyée dans le délire. Mais l'on sentait encore sa tristesse,sa colère latentes.
La fraîcheur des couleurs, la transparence de la mer, la brise, la liberté dont ils jouissaient, la gentillesse des pêcheurs qu'ils croisaient, tout leur infligeait, au sein de l'allégresse, une pointe d'angoisse comme une ombre coulante au revers du soleil. Leur voyage devenait irréel, dans la perfection et la fluidité du monde. Damien, et c'était chez lui une maladie, sentait cette plénitude déjà perdue. Le présent était miné de mélancolie.
Elle pensait qu'un jour ou l'autre le Brésil exploserait.
Lecture de Patrick Grainville tiré du livre Figures d'écrivains, dirigé par Étienne de Montety.
Découvrez un portrait inédit de la littérature française. La visage, la plume et la voix de 70 grandes figures des lettres réunies pour un cadavre exquis historique.
Pour en savoir plus : https://www.albin-michel.fr/figures-decrivains-9782226436351