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3,9

sur 1319 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Dans la famille maudite, je voudrais les descendants du roi de Thèbes. On connaît tous le mythe d'Oedipe (merci Freud) mais Ismène nous le rappelle d'entrée de jeu pour rafraîchir les mémoires frivoles : « Notre père est mort réprouvé, déshonoré ; lorsqu'il s'est lui-même découvert criminel, il s'est arraché les yeux et sa femme, qui était sa mère, s'est pendue ». On ne rigole pas tous les jours avec Sophocle, surtout lorsque la malédiction semble ne jamais devoir prendre fin : « Et voici nos deux frères qui se sont entre-tués, ne partageant entre eux que la mort, les infortunés ! »


Antigone et Ismène ne sont même pas autorisées à rendre hommage à leur frère Polynice en lui accordant une cérémonie funéraire digne de ce nom. Au même moment, en effet, le roi Créon pose un décret interdisant de célébrer cet ennemi de la cité. Ismène et Antigone sont d'accord pour reconnaître que cet édit est une absurdité prétentieuse et arrogante ; toutefois Ismène s'y soumet dans les actes tandis qu'Antigone refuse d'obéir et rejette sa soeur, qu'elle considère comme une traîtresse. Créon est au service absolu des vivants contre la dignité des morts ; Antigone est totalement dévouée à ses morts contre les vivants.

L'affrontement entre ces deux volontés contradictoires paraît inéquitable, mais de nombreux personnages vont s'interposer entre Antigone et Créon pour tenter de les raisonner et de les encourager à faire preuve d'un peu plus de flexibilité. C'est surtout auprès du roi que les personnalités se succèdent : d'abord le Garde, puis Hémon, le fils de Créon, qui doit épouser Antigone, et enfin Tirésias le devin. Rien n'y fait. Créon ne flanche pas, persuadé d'avoir raison envers et contre tous, plein d'une confiance aveugle et dévouée au régime politique qu'il a mis en place pour « le bien public ». Créon fait placer Antigone et Ismène en réclusion avant de les condamner au sort fatal qui leur échoie.

L'outrage causé aux morts est grand mais une faute plus terrible encore est commise lorsque Créon refuse de croire aux mauvais présages divins adressés à Tirésias. Trop pragmatique et fier pour croire aux signes, Créon écopera du sort qu'il mérite. Encore une fois, comme dans Ajax, ce n'est que lorsque les instincts pécheurs commencent timidement à se remettre en question que la punition s'abat sur eux. La malédiction se perpétue…


Antigone est une pièce subtile qui présente des personnages nuancés, aussi divers et changeants que la multitude des relations existant entre un mort et un vivant. Aux deux extrémités du spectre, on trouve Antigone et Créon. Entre eux se succèdent Ismène, qui obéit aux lois de la cité sans renier pour autant son rapport aux morts et aux dieux ; Hémon, qui respecte son père et qui exige que, par respect réciproque pour son fils, celui-ci tienne compte de son avis ; le Garde qui préfère l'obéissance divine à l'obéissance terrestre mais qui préfère avant tout sa vie à n'importe quelle autre valeur ; enfin Tirésias qui se fait l'intermédiaire censé entre Dieu et le pouvoir terrestre.


Sophocle alimente une réflexion sur le pouvoir politique, l'obéissance, la constance et la priorité des valeurs sur lesquelles se fondent un gouvernement et un individu. Demandez voir aux sympathisants de notre bonne vieille République s'il existe une autorité au-delà de celle de notre constitution, une autorité invisible, intangible, insurpassable - qui est peut-être celle inhérente à la logique de la possibilité d'une perpétuation de la vie dans l'ordre des générations au sein de l'espèce humaine - ils diront ne rien comprendre. Pourtant, cela était clair au temps de Sophocle, comme le dit Antigone: "Je ne croyais pas, certes, que tes édits eussent tant de pouvoir qu'ils permissent à un mortel de violer les lois divines : lois non-écrites, celles-là, mais intangibles. Ce n'est pas d'aujourd'hui ni d'hier, c'est depuis l'origine qu'elles sont en vigueur, et personne ne les a vues naître. Leur désobéir, n'était-ce point, par un lâche respect pour l'autorité d'un homme, encourir la rigueur des dieux ?" Cela l'était encore au temps de Cicéron qui n'illustre rien d'autre dans le Songe de Scipion - tout cela pour ne parler que de temps "non chrétiens", à qui imagine pouvoir répudier l'autorité éternelle en prétextant la lutte contre la religion. Créon, lui, prétend ne vouloir oeuvrer que pour le bien actuel, immédiat, celui qui pourrait surtout lui servir - le bien des autres qu'il veut effectivement pour s'en accaparer, le bien qu'il leur retire contre de la puissance dont il se rengorge. Lacan, dans son séminaire sur l'Ethique, le souligne: "Il est là pour le bien de tous. Quelle est sa faute ? " Elle est amartia : faute, péché, erreur de jugement. "Son erreur de jugement [...], pour lui Créon, de vouloir faire de ce bien la loi sans limites, la loi souveraine, la loi qui déborde, qui dépasse une certaine limite, qu'il ne s'aperçoit même pas qu'il franchit cette fameuse limite dont on croit bien sûr en avoir dit assez en disant qu'ANTIGONE la défend, qu'il s'agit des lois non écrites de la dikè, cette dikè dont on fait la justice, le dire des dieux." Refuser de donner une sépulture à un mort pour que la vie puisse continuer à circuler, au nom d'un principe immanent désigné comme le Bien totalitaire - voilà qui nous laisse songeurs, et qui nous rappelle bien des événements récents. La Justice s'abat - immédiatement - sur l'orgueilleux Créon. En notre monde ? Nous ne savons pas, ou peut-être ne le voyons-nous pas.

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Un magnifique mythe dans une superbe pièce de théâtre de Sophocle. J'ai toujours un attachement particulier pour ce personnage qui n'écoute qu'elle même et prête a se sacrifiée pour ses idées.
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C'est peu dire qu'Antigone est l'une des plus célèbres tragédies grecques (parmi celles qui nous sont parvenues, à savoir, fort peu, volontairement détruites au IIème siècle sous l'Empereur Hadrien par des autorités morales anonymes, les « pédagogues grammairiens », qui ont décidé lesquelles devaient être transmises à la postérité. de la sorte, ces éminences grises ont dégraissé Eschyle, Sophocle et Euripide, pour ne citer que ces trois-là, de 87 % de leurs productions, soit les 44 pièces survivantes sur 348 à l'origine).
Ainsi donc, parmi ces survivantes, Antigone n'est pas une tragédie canonique, mais LA tragédie canonique. Ce n'est pas pour rien qu'Hegel s'est appuyé en particulier sur celle-ci pour parler de la tragédie grecque en général.
Le poids du religieux dans la Grèce de Sophocle est difficile à appréhender de nos jours et c'est vraiment un exercice délicat que d'essayer de comprendre dans le détail les visées réelles de l'auteur. L'une des questions civiques et morales soulevée par la pièce est celle de l'obéissance à l'ordre émanant de la hiérarchie, même s'il va à l'encontre de nos convictions. Dit autrement, doit-on exécuter un ordre s'il est immoral ? Je doute que la lecture d'Antigone soit au chevet de beaucoup de nos militaires ou policiers, pourtant, c'est une vraie question. Il en va de même pour tout fonctionnaire. On sait ce que Vichy, pour ne parler que de ce régime, a été capable de faire. Les fonctionnaires de Vichy avaient-ils lu Antigone ? À méditer…
Voilà donc, Antigone, fille du célèbre Oedipe, qui vient de perdre ses deux frères bien aimés. L'un se battant pour Thèbes, l'autre contre. Thèbes obtient la victoire, et Créon, le roi de Thèbes, offre des funérailles dignes à celui qui a donné sa vie pour Thèbes, mais interdit qu'on laisse reposer l'autre frère selon les rites, car jugé comme traître, doit pourrir sur place ou être dévoré par des bêtes. Antigone, elle, refuse cette sentence et décide de braver l'interdit. Sa soeur, Ismène, elle, fait l'autre choix.
L'autre axe qui me semble majeur dans la pièce est celui de l'orgueil qui nous empêche de revenir sur une parole prononcée afin de ne pas « perdre la face ».
Je dirai simplement qu'à propos de faces perdues, Créon, se jugeant dans son bon droit, pour ne pas avoir voulu revenir sur sa décision risque d'en perdre bien d'autres de faces…
En somme, une bien belle tragédie, qu'il nous est parfois difficile de recontextualiser, mais dont certaines questions conservent toute leur raison d'être et leur verdeur, même après vingt-cinq siècles et quelques autodafés, mais cela n'est presque rien, tout juste mon minuscule avis, ma toute petite vérité, et j'aime autant laisser à Sophocle le mot de la fin :

"Ne laisse pas régner seule en ton âme l'idée que la vérité, c'est ce que tu dis, et rien d'autre. Les gens qui s'imaginent être seuls raisonnables et posséder des idées ou des mots inconnus à tout autre, ces gens-là, ouvre-les : tu ne trouveras en eux que le vide."
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La tragédie grecque dans toute sa splendeur!
L'éternel combat entre lois divines et lois établies par le souverain...
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Merci déjà à Florence Dupont, la traductrice de cette édition, qui a rendu du théâtre classique lisible sans se poser de questions, traduction qui, comme le dit la quatrième de couverture : « est philologiquement exacte et d'une limpidité parfaite. Plus rien de ce côté fumeux qui caractérise trop de traductions classiques. » C'était d'une limpidité à toute épreuve et j'ai pris grand plaisir à la dévorer en à peine trois jours.

Le sujet m'a beaucoup plu, ayant toujours été touché par le parcours d'oedipe. Et le courage d'Antigone, désirant donner une sépulture décente à son frère défunt, m'a beaucoup touché également. Elle s'est battue seule contre l'avis de tous, elle a fait primer les lois divines sur les lois humaines, elle a refusé de suivre les règles établies par son oncle Créon, le nouveau souverain, a pris le risque de se voir reniée par son promis, Hémon, fils de Créon, pour rendre un hommage légitime à son frère et ne pas déshonorer sa famille.

Merci également à Sophocle d'avoir rendu les liens familiaux et privés entre les personnages lisibles, ce qui n'est pas toujours le cas dans des pièces traitant de la mythologie. J'ai pu ainsi raccrocher le drame de Médée à cette pièce d'Antigone de par les liens de famille et cela m'aide beaucoup dans la compréhension de nombre d'oeuvres classiques que j'ai lues et que je lirais encore à l'avenir.

Un sujet très beau et très juste, que je trouve encore tellement d'actualité aujourd'hui, plus de 2000 ans après son écriture. Bien sûr la fin ne laisse rarement de suspence, les méchants sont toujours punis. Les dieux sont implacables... Cependant, un autre remerciement à Sophocle : ne pas faire intervenir directement les dieux, mais les laisser prendre une place secondaire. On les nomme, on les prend à témoin, ils se vengent, mais tout cela en arrière-plan et je trouve que cela évite pas mal de choses que je trouve souvent pompeuses.

Je pense que cette pièce va être une vraie impulsion dans mes lectures et ma pratique théâtrale. J'ai enfin compris comment fonctionnait dans le détail le théâtre antique, et ait appris du vocabulaire bien nécessaire à ma formation.

Lien : http://volcan-challenges.blo..
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La lecture d'un tel classique, à la hauteur des plus grands textes fondateurs, renvoie inévitablement à un référentiel encombrant au moment d'y plonger les yeux. Outre qu'elle a traversé les âges et imprimé sa marque dans la nature même de l'homme européen, Antigone reste une oeuvre de transmission magnifique. A ne citer qu'Anouilh ou Freud, on mesure déjà la force d'un tel texte, alors que son référentiel - dieux, destin, pouvoir - s'est radicalement transformé. Et pourtant, on ne lit pas Antigone comme on lit l'Iliade. La place de l'Homme dans le pouvoir et face aux dieux n'en est pas très éloignée. Mais on lit sans doute Antigone dans la densité des personnages, leurs interactions qui ont construit pour partie nos structures familiales. La structure classique du texte, le rôle du Choryphée, la poésie épique en font un texte magnifique.
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Je me souviens de la noirceur et de l'intensité. Je me rappelle d'un texte très fort et très bon.
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