"La révolution n'est pas un dîner de gala" disait Mao (repris en choeur par Ludwig von 88 des années plus tard). Pourtant, moult maoïstes français sont passés sans état d'âme de la révolution aux dîners de gala, comme
Morgan Sportès le rappelle dans ce roman grinçant.
En 1977, Jérôme, 30 ans, ex-mao, travaille dans l'édition, vient d'hériter, et s'apprête à épouser la jeune, belle et riche Sylvie. Mais sa petite vie de bourgeois vacille lorsqu'il croise "Obélix" dans les rayons du BHV, qui reconnaît en lui son ancien chef "Gisors" et le charge, au nom de "l'Organisation", de venger la mort de "Jeannot", abattu cinq ans auparavant à la sortie de Renault Billancourt. Rattrapé par son passé, sujet à des crises d'angoisse et des hallucinations, Jérôme va retrouver les ex-membres du mouvement et recueillir d'incroyables révélations, notamment sur le Général de Gaulle.
On est clairement dans un roman politique, où l'auteur règle ses comptes avec les intellectuels maoïstes bien nés qui, en 68, allaient s'établir en usine pour jouer aux ouvriers et monter la tête des vrais ouvriers avec leurs appels à la violence révolutionnaire -avant de se lasser, et de réintégrer confortablement la société qu'ils avaient tant honnie, en laissant en plan leurs camarades de lutte.
A travers le parcours de Jérôme et ses amis, Sportès fustige les ravages de l'idéologie maoïste et la tourne en dérision, avec rage et délectation. Sous de faux noms, il dézingue ces faux rebelles (
Glucksmann et Castel en tête), et ce serait férocement drôle s'il n'y avait eu une vraie victime dans cette passade consternante : Pierre Overney, dit Pierrot (le "Jeannot" du roman), vrai ouvrier emporté dans ce délire mao (d'ailleurs, l'auteur écrira un excellent livre à son sujet : "
Ils ont tué Pierre Overney").
Mais Sportès ne s'arrête pas là : il mêle également à son intrigue la CIA,
De Gaulle, et une mystérieuse assemblée de "maîtres du monde" (qui m'a fait penser à celle décrite par
Tardi dans les Aventures d'Adèle Blanc-Sec). le roman entre alors dans une dimension plus distordue et complotiste, mais le propos demeure d'autant plus troublant que l'auteur s'est solidement documenté avant d'écrire ce livre. La question est : finalement, qui a manipulé qui ?
Pour toutes ces raisons, j'ai beaucoup aimé ce roman, même si j'ai regretté que la fin parte en cacahuète, dans une mise en abyme qui ne m'a pas convaincue -mais tout le reste est génial, et fera le bonheur des amateurs d'Histoire et de politique.
En tout cas, c'est bien mieux que le petit livre rouge.