Jouant habilement avec le carcan apparent de la forme poétique classique, un chant rageur et lucide d'émancipation, de liberté et d'amour. Une fusion rare et sauvagement musicale de l'intime et du politique.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/04/19/note-de-lecture-deux-saisons-en-enfer-ketty-steward/
Il n'est pas du tout évident, en 2020, malgré de salutaires rappels périodiques tels celui, pétri de culture souriante et de curiosité jamais rassasiée, formulé par le grand
Jacques Réda de «
Quel avenir pour la cavalerie ? », ou celui, ironique et talentueux, du
Hans Limon de «
Poéticide », d'accepter de confier à la poésie de forme classique, avec rimes, quatrains et variations techniques autour de ce noyau connu, le ressenti d'un parcours tendre et combattant, le récit d'une deuxième vie avec ses anicroches et ses chocs, ou l'espoir jamais abandonné d'une plénitude simple et efficace, pour mieux bondir vers d'autres cibles, justement. C'est le beau pari qu'a tenté
Ketty Steward, en toute conscience, avec ces « Deux Saisons en Enfer », publiées en octobre 2020 aux Éditions du Net.
Quelle forme plus adaptée, précisément, pour signifier, par la voix de la narratrice (car c'est bien d'un récit qu'il s'agit ici, malgré certaines apparences, et le cadencement des titres est aussi là pour nous le rappeler) de ces moments choisis, qu'il y a ici un enjeu vital de jeu et d'échappée avec les carcans, ceux, évidents pourrait-on dire, d'une jeunesse gravement maltraitée (qui étaient aussi les enjeux du magnifique «
Noir sur blanc » de l'autrice en 2012), et ceux beaucoup plus insidieux (la deuxième saison en enfer, justement, occupe presque un demi-terrain de plus au sein de l'ouvrage) d'un conformisme social, politique et intime qui peut s'affirmer jusque dans les environnements se recommandant d'abord les plus libérateurs, en bonne ou en mauvaise conscience.
Comme le rappelle avec une tendresse incisive
Mélanie Fazi dans ses deux essais intimes «
Nous qui n'existons pas » et «
L'année suspendue », la pression à la conformité (on pensera aussi sans doute à l'excellent «
Liquide » de
Philippe Annocque) est une machine de guerre beaucoup plus insidieuse qu'on ne l'imagine souvent, et les meilleures âmes amicales (sans parler de celles beaucoup moins bien intentionnées) s'y laissent sans cesse piéger sans même s'en rendre compte. Il ne s'agit donc pas simplement ici, pour l'héroïne souterraine de
Ketty Steward de choisir entre « Vivre ou mal partir » pour pouvoir tenter de se consacrer à l'amour, « Symphonie en quatre mouvements ». le désir, la passion, les ruptures et les regrets ne se limitent pas à une histoire plus ou moins personnelle, mais sont bien les étapes de la rude revendication d'un espace propre, qui ne serait pas seulement laissé à la différence, mais dans lequel celle-ci pourrait se montrer nue et se vivre sans crainte, avec fougue combattante, qu'elle ait été au départ invisible ou masquée par une différence plus visible : ne jamais se résigner vraiment, comme le chantait Élisabeth Wiener dans « Vies à vies », quelques années avant son Castafiore Bazooka, à « vivre sa vie sans visage / en changeant de masque avec l'âge ».
Autre forme de «
Confessions d'une séancière », où il s'agirait bien cette fois d'échapper aux ramifications intimes délétères de la sorcellerie capitaliste, « Deux saisons en enfer », sous le patronage subtilement ambigu d'un certain homme aux semelles de vent, s'offre bien en antidote à la mascarade sociale et à ses si nécessaires écrans de fumée, et en véritable manifeste discret contre l'hypocrisie socio-politique et les fausses compassions qui contaminent nos vies. Un chant d'émancipation comme il s'en écrit bien peu.
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