Le tribunal de la conscience...
Dans ce récit bref et saisissant,
François Sureau relate un épisode capital de son expérience de juge de la commission du recours des réfugiés politiques dans les années 80. le jeune juriste se réjouissait alors de quitter le labeur torpide du droit administratif rural pour une cour qui appliquait un droit où « le vent de l'histoire passait entre les articles ».
Il eut à connaître du cas d'Ibarrategui, un ancien activiste basque ayant renoncé à l'action violente. Celui-ci était menacé dans la jeune Espagne démocratique par des factions franquistes dans un combat où « personne ne pouvait compter sur l'oubli ou le pardon ». Or le droit exigeait que l'on refuse l'asile politique à un ressortissant espagnol puisque l'Espagne entrait dans son processus de démocratisation. Accorder l'asile à un espagnol eût revenu à nier le changement de régime espagnol.
Le droit et la morale...
L'écrivain d'aujourd'hui voudrait retenir la main du juge d'hier. le tribunal jugea en droit et l'écrivain aurait voulu juger en espèce, en tenant compte de la singularité de la situation. Instruit de la faiblesse du droit, c'est sur le terrain moral que se place ce récit. Il met en scène la duperie à laquelle s'expose ce lui qui veut toucher à l'histoire en train de se faire.
Sureau donne vie à des personnages admirables : la sollicitude du juge Dreyfus, le courage résigné d'Ibarrategui… Tous sont mus par un souci éthique, par une droiture morale qui tranche avec les personnages habituels de la littérature contemporaine, agis par le désir, le sentiment ou le déterminisme. C'est comme si l'on retrouvait un chemin non pas mort mais délaissé, celui d'une littérature où la question de la vie bonne et du devoir est au coeur du texte.
Une clé pour comprendre l'oeuvre de
François Sureau ?...
Le Chemin des morts semble répondre à une phrase qui m'avait étonné à la fin d'un précédent roman, Inigo : « Quiconque a tenté de garder les yeux ouverts après la trentaine sait sur quoi se fonde l'estime de soi et l'estime des autres et ce qu'elles valent ». J'étais surpris par ce dénigrement intempestif de l'estime de soi. Peut-être que le sentiment tenace de la faute exprimée dans
le Chemin des morts explique en partie cette affirmation.
C'est un récit bref parce qu'il est adossé à beaucoup de silence. Ainsi, l'auteur clôt en disant avoir « payé son dû » et être revenu au droit après un « long détour ». La mention furtive de ce long cheminement, presque sans bruit et sans trace, trouvera peut-être son élucidation dans un prochain livre de
François Sureau.
Fabien LACOSTE
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