Aussi mince qu’un mouchoir…
Aussi mince qu’un mouchoir
ma page, je la frotte et la nettoie,
jusqu’à l’obscurité qui la détruit,
plus forte que les mots
tandis qu’elle, tôt levée,
tel un clou qui s’enfonce,
brave le froid, avance,
toutes ses pensées accumulées
en un point silencieux
un seul point qui fait mal
(...)
Petite, elle se sauvait pour échapper…
Petite, elle se sauvait pour échapper
aux ombres — reflets trompeurs,
vieilles faces édentées — rejoignant
d'un seul battement de cils
le soleil des rues vides
aujourd'hui, dans le doute,
elle vérifie, redresse les pieux
des clôtures qui penchent, entourant
d'une enceinte fictive quelques fruits
à venir, encore noués dans sa pensée
Plutôt prévenir, qu'abandonner les choses
au pire. Sinon qui l'aiderait, elle,
à rassembler les planches, éparpillées
par les rafales, d'une si vétuste
embarcation ?
LES PYLONES
Extrait 1
Jusqu’à l’aube, jusqu’à la pointe laiteuse
du jour, jusqu’au bord de nos lèvres,
tout un pays s’approche derrière la nuit
et vient d’une langue avide
lécher nos mains, redonner vie
aux ombres mortes
[…]
C’est l’heure où
les jardins encore humides
sous les arbres en fleurs
déplient leurs couvertures
comme une terre promise
avant que monte avec le jour
l’amertume poussiéreuse
des fenouils
Menue…
Menue, penchée au-dessus
de l’évier, si loin de nous
sous son tablier, bleu, perdue
dans ses bottes de pluie, elle trie
les cerises noires et pose les plus mûres
à l’écart, les sépare des pourries
On dirait qu’elle mesure
un vieux rêve à distance,
qu’elle le visite du bout des doigts
derrière la vitre nue
les nuages
font des taches
Sur une toile de bâche …
Sur une toile de bâche, elle place
une à une ses pierres,
les cale, en dispose d’autres
plus solides, chaque pouce
de son terrain, chaque plant
mérite sa main
choux, navets, tomates,
laitues, elle les épèle,
les arrime à ses mots
remparts de voix
contre le vent