Drôle de type que ce Saul
Karoo dont l'auteur nous inflige avec force détails une année de l'existence. Et j'utilise intentionnellement le verbe infliger, car ce curieux personnage, non seulement n'attire pas la sympathie, mais horripile très vite le lecteur !
La cinquantaine prospère, écrivain raté mais scénariste au talent reconnu, une épouse bien chiante avec laquelle il n'en finit pas de divorcer, un fils qu'il dit aimer, mais dont il évite la présence, incapable d'exprimer ses sentiments et de prendre des décisions, fuyant les échanges, vivant dans le déni, le mensonge et "le confort facile qu'il y a à être une image plutôt qu'un être humain", comme il le dit lui-même, Saul
Karoo, outre ces tares pratique une hygiène de vie très malsaine, fumant cigarettes à la chaîne et buvant comme un trou, sans pour autant pouvoir se saouler, l'alcool ne lui faisant strictement rien.
Malgré ce portrait peu engageant, cet homme n'est, pour autant, pas franchement haïssable. Outre qu'il apparaîtrait plutôt comme un pantin, ce qui prête surtout à rire, il est avant tout, qualité de premier choix, doté d'une remarquable lucidité. Il analyse impitoyablement et avec justesse le monde qui l'entoure, se sachant incapable d'y intervenir convenablement et, même si les sentiments qu'il éprouve à l'égard des autres le poussent à faire du rentre-dedans, il ne met évidemment rien en oeuvre ! faute d'une réelle envie ? de courage ? d'autre chose ? Tout chez lui reste à l'état de vague projet !
Saul
Karoo a pleinement conscience de vivre dans un monde d'apparences où "maintenant ce sont les mensonges que nous racontons qui, seuls, peuvent révéler qui nous sommes"
.... jusqu'au jour où tout va changer, à la suite d'un incident qui va bouleverser sa vision de l'avenir et où le meilleur va côtoyer le pire. Comme il devient alors humain et fragile et croyant en un futur meilleur !
Le talent de
Steve Tesich est de mettre à jour toutes les fêlures de l'être humain, de nous donner envie d'en rire, car il n'y a rien d'autre à faire, d'exprimer nos peurs des vérités, d'insister sur les excuses que nous nous inventons, bref de mettre l'humain face à ses carences, petitesses et autres bassesses !
Cela peut énerver ou stupéfier le lecteur, oh, que oui ! Surtout dans le cas de Saul
Karoo qui ne fait rien à moitié ... Mais comme cela est édifiant et comme cela donne la preuve de la misère de la condition humaine.
Et quel dommage que cet ouvrage soit le chant du cygne de
Steve Tesich.