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EAN : 9782841163007
64 pages
Cheyne (26/11/2020)
4.14/5   7 notes
Résumé :
Un recueil de poèmes brefs qui évoquent l'absence et la douleur qu'elle engendre. Prix de la vocation de la fondation Marcel Bleustein-Blanchet 2020 dans la catégorie poésie.
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
« que peut / le poème / sinon refléter / la neige ? »

« j'ai transpercé l'écriture ».
Des vers libres, peu ou pas de rimes, un peu comme l'eau « qu'on fait partir par l'évier », Manon Thiery, par des vers courts contenant parfois seulement deux petites syllabes comme un « rien », nous transporte avec elle dans une poésie lyrique traitant de la souffrance, la tristesse, la réminiscence des souvenirs, et qu'on pourrait qualifier de poésie filet d'eau puisque « les mots dans ma gorge / font un mince filet / de soif », à la découverte bouleversante de ce qui peut être notre corps à travers la neige. Mais ce sont aussi des phrases dépouillées, sans ponctuation si ce ne sont les interrogations des questions que l'on se pose sur le chemin de l'existence, comme une poésie « de tout au bord / et tout au bord / c'est par exemple manquer de se tuer / en voulant récupérer un ballon / c'est aussi la surface d'une joue ».
Un corps froid demeuré brûlé par les souvenirs douloureux dans la chaleur de l'amour. Un corps lourd qui tombe dans une abîme où terre et neige se mêlent, voire ce corps percé de différents trous comme le nez, la « bouche », « la cicatrice du dos ». Un corps essayant de se souvenir en faisant des « herbier de gestes », en soulignant l'importance du visage, celui « qui n'a pas encore pris la lumière » ou celui aux « yeux brûlés par la neige », qui est finalement « la vie du souvenir ». Un corps en tout cas lumineux, fragilement suspendu par cette clarté entre la mort et la vie, dans un silence qu'on ne reconnaît pas, qui n'est ni celui « du sang qui circule » ni « des gens qui sont morts ». Un enveloppe fragile comme « une écuelle suffit / à faire tenir / la vie », nous permettant une agréable réflexion de notre propre corps et ses changements, pouvant également faire écho à nos propres cicatrices.
Dès le premier poème, Manon Thiery donne un avant goût de ce que nous trouverons dans son recueil allant de la nourriture à la fantomatique présence du souvenir, « ici je touche ce qui de peu / reflète la lumière », nous donnant un goût des choses entre deux, que l'on ne peut sentir habituellement ou savoir nommer correctement tels que « les intervalles qui séparent les couleurs / que l'on devine ». Un espace de transition comme sa poésie en est remplie, dans lequel on pourrait se perdre et qui pourtant, nous tient toujours sur un fil ténu.
Réflecteur de neige, voilà un titre bien réfléchit, qui fait appel à la polysémie du verbe réfléchir, un recueil à mi chemin entre voyage à travers pensées enneigées et jeux de lumière, qui place toute son importance dans le reflet. Reflet du miroir, reflet des yeux, reflet dans l'eau, le passage de la lumière est pourtant chemin délicat, se frottant à de nombreuses « épines » comme le corps. Éclairant « la vie de glace / traversée », pour « faire apparaître / un corps » ou dissimulant à travers les ombres, la lumière se fait d'abord par le contraste du titre bleu marine sur la couverture blanche frappée du Prix de la Vocation 2020. Mais aussi lorsqu'on ouvre le livre, dans les poèmes, par l'aération entre les vers, qui laissent éclater le blanc crème de chaque page. C'est « la poche d'air d'un poème », nous offrant finalement aussi une bouffée de vent frais en même temps qu'une réflexion, ou réflection, de lui même car finalement, « que peut / le poème / sinon refléter / la neige ? », sinon refléter la vie avant que « la nuit entre sur la neige » ?
Les mots ont eux même une grande importance au coeur des pages, qu'ils soient « mots tombés de la bouche » ou « de poème effacé », voire absents, ils sont toujours mis en lumière par le poème ou la lecture de ce dernier, pour notre plus grand plaisir.
Retraçant une quête d'identité constante, le recueil se demande « que serais-je ? », questionnement facilité par le mode d'énonciation à la première personne du singulier, dépeignant tour à tour les moi et ses transformations, une recherche de soi qui commence à « l'enfance » de « ma vie de têtard / qu'on attrape / ma vie qu'on jette sur l'herbe ». Un moi en constante évolution, « fleur », « ligne encore un peu sale », un peu « égaré » et figé qui pourtant « désir[e] devenir / un oiseau en plastique », qui nous fait nous reconnaître dans cette poésie miroir. La poétesse nous entraîne dans un questionnement sur l'existence. L'existence comme une « effraction de l'écriture », un refus de « tous les espoirs du monde », un désir de « ne rien comprendre », s'opposant à la « verticalité » du miroir qui pourtant la reflète comme il reflète la lumière de la vie, interface des apparences et des mensonges que nous cherchons à délier et qui nous est introduit par la présence de l'autre, très énigmatique, nous encourageant à ne jamais délaisser la réflexion.
Qui est donc ce « toi » à travers le recueil ? Un « père », un « oiseau », soi-même, rien n'est clairement dit, mais on distingue bien un corps marqué tant par la chaleur de l'amour que par la froideur de l'absence. Un toi et moi tout en filigrane de souvenirs de jardins et de repas, de cicatrices et de souffrance encore présente dont il reste des « miettes ». Une absence qui prend la forme d'un corps, comme un fantôme nous glaçant le sang et nous réchauffant tour à tour.
Nous pouvons alors y imaginer le fantôme des oiseaux d'été, de ces grandes journées éclairées et peu à peu recouvertes d'ombre. La saison hivernale se dépeint par la neige commençant à se solidifier, alors « que l'eau tiède » part et que « quelqu'un arrive en courant », puis à la moitié du recueil en plein poème d'agréables flocons typographiés « * » tombent sur les pages, enfin tout se finit dans la mort, l' « enneigement / d'une main qui saigne » mais aussi le souhait de la renaissance en oiseau, la renaissance des fleurs et du printemps, comme nous l'apprécions tous les ans. le corps tombant dans les trous, est comme les graines qu'on plante, la poésie, les mots qu'on enterre pendant l'hiver aux creux des pages et qui germe au printemps car « c'est ce que l'on fait / quand on veut un arbre à soi ».
Finalement la poésie de Manon Thiery nous permet de « rester debout sans avoir pied », nous offrant une belle réflexion sur le corps, le souvenir et l'hiver, permettant de se faire une nouvelle idée sur la renaissance du printemps voire engageant déjà un renouveau de notre vie, par cette heureuse rencontre des mots.
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Il est de ces poésies devant lesquelles on ne pense pas avoir toutes les données, toutes les clés pour ouvrir toutes les portes (c'est d'ailleurs pourquoi je ne présente qu'assez peu de poésie que je lis, la peur de tomber à côté, d'être hors sujet). Et pourtant nous nous laissons bercés par le rythme des mots, leur puissance. C'est le cas pour ce texte de la jeune Manon THIÉRY.



Dans une mise en page aérée, quelques lignes à chaque page, la poétesse déroule lentement et délicatement sa pensée, de manière organisée. Ici ni majuscules ni ponctuation, chacun des mots doivent être au même niveau dans un jeu de pureté d'une langue épurée, ramassée, essorée.



Le fond est tragique, de ces amours non dits qui disparaissent. Quand ? Comment ? Aucun indice ne semble nous guider, dans un espoir mis entre parenthèses, dans des souvenirs douloureux qui paradoxalement font avancer la narratrice. Au centre du poème, la bouche, la langue, d'où sortent les mots, les maux passés, seule arme pour lutter contre la souffrance. Tentative de transition, de transmission peut-être. Et la neige, omniprésente, comme virginale, celle qui peut tout effacer. Un souvenir d'accouchement. Peut-être…



Poésie de la mélancolie et du souvenir, elle est aussi celle d'un nouveau départ qui tente de s'insuffler. C'est ici la fragilité de l'existence qui est en première ligne, son poids, énorme, dans une douleur incontrôlable, celle de l'absence. Et ce titre, prodigieux, avec ce « réflecteur », où la neige peut jouer plusieurs rôles, celui de la réflexion, mais aussi celui du reflet, du miroir, « l'autre côté du miroir / celui qui ne montre rien ».



Dès ce premier livre, et en un peu plus de 60 pages très aérées, Manon THIÉRY donne le la, dans une poésie musicale, construite et mélodieuse, envoûtante jusqu'à cette dernière ligne : « je ne reconnais pas mon sommeil ». Ce titre est paru fin 2020 chez Cheyne éditeur, dans la collection Prix de la vocation qui met en lumière dans une somptueuse couverture bleue de jeunes auteurs poètes jamais publiés. Cette collection est parfaite si vous souhaitez découvrir une nouvelle plume, si vous désirez partir loin des sentiers balisés. Allez voir le catalogue, il est plus que tentant. D'autant qu'un livre Cheyne est toujours une immense émotion visuelle, avec cet esthétisme fait maison et particulièrement soigné, l'un des géants de la poésie française qui imprime lui-même ses livres, et a su développer des collections originales, riches et cohérentes. Respect total.

https://deslivresrances.blogspot.com/
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
repoussoir…



repoussoir
de la réalité entre

la pauvreté d’un alphabet magnétique
et l’esprit

quand je fais le geste
d’éloigner ce qui tombe
sur moi

j’aime encore
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on pourrait croire…



on pourrait croire
que la capacité d’aimer repose
dans le cœur de l’oiseau
plutôt que dans le cœur du père
mais il n’y a pas d’oiseau
il n’y a pas de père


seulement un œuf
à peine cuit


seulement
la caravane du silence
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enfant…



enfant
je connaissais quelqu’un
qui cachait sa fortune
sous sa langue
sa fortune
était un amour
plus secret que l’œuf
d’une puce
et moi
je te porte maintenant
le même amour
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le souvenir que j’ai de toi …



le souvenir que j’ai de toi
coule


pareil aux mains de ce père
quand il faisait semblant


de quoi ?


de casser un œuf
sur ma tête
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que peut / le poème



que peut
le poème


sinon refléter


la neige ?
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