Ostland, les territoires de l'est. Ou le parcours de Georg Heuser dit "Le limier", (1913-1989), membre de la police criminelle berlinoise en 1941, envoyé en tant que lieutenant SS à Riga puis à Minsk où il « gère" le ghetto et l'exécution des déportés, et rentré sans encombre en Allemagne où il finit responsable de la Crim fédérale. Arrêté en 1959, jugé à Coblence, il ne purge qu'une peine de six années d'emprisonnement et meurt de causes naturelles en 1989.
Le romancier David Thomas s'est intéressé à l'histoire de Heuser après avoir lu un article à propos d'un assassin qui avait sévi à Berlin dès 1940: « le journaliste évoquait l'histoire du tueur en série traquant les femmes seules dans les trains de la S-Bahn puis il précisait que l'un des enquêteurs était devenu un grand criminel de guerre. »
David Thomas construit son roman en trois temps. Un polar de facture classique qui couvre la première affaire au sein de la Kripo du jeune Heuser diplômé ambitieux, épris d'ordre et de morale, élevé dans l'idée d'obéissance (Rudolf Lang). Un roman psychologique narré à la première personne qui illustre la transformation de Heuser lorsqu'il est incorporé au Sonderkommando 1b, et qui ne nous épargne aucun détail sur sa participation à la shoah par balle à Minsk ,ses incursions dans le ghetto et les camps de Maly Trostenets et de Bronnaya Gora. Puis une partie juridique assez bancale consacrée à la préparation de son procès à Coblence de 1959 à 1963 par la jeune Paula Siebert. Avec en filigrane une seule question, jusqu'à quel point un homme peut-il obéir aux ordres?
Difficile à la lecture de
Ostland, de ne pas songer à Bernie Gunther, dont Heuser aurait pu être le frère cadet (18 années les séparent), et qu'il aurait pu croiser un jour à la Kripo, ou sur le front russe. On pense à Gunther traquant Gormann l'étrangleur dans
La pâle figure, on se souvient de Bernie sur le front de l'est dans
Prague fatale (avec la présence dans le parcours des deux hommes de Reinhard Heydrich) , puis on se rappelle l'ouvrage de
Christopher Browning sur les hommes ordinaires. Car ce sont les motivations de Georg Heuser qui sont au coeur de ce thriller, et qui intéressent particulièrement le romancier: l'obéissance à la hiérarchie, les ambitions personnelles, l'alcoolisme et l'abrutissement causé par les exécutions dans les fosses, la recherche de nouvelles méthodes d'extermination, psychologiquement plus supportables pour les bourreaux, l'indifférence...
C'est dans la partie consacrée à la traque du tueur en série berlinois que Thomas, auteur de thrillers, semble le plus à l'aise. Il dépeint un jeune inspecteur ambitieux respectueux des règles de procédure (la police berlinoise est tatillonne lorsqu'il s'agit d'affaires de droit commun), perplexe face à la violence des psychopathes. La partie historique est carrée, bien documentée, on y retrouve les acteurs majeurs de l'époque (Heydrich, Nebe...), le récit des exactions commises par des hommes devenus de cyniques tueurs de masse…Le parallèle entre le tueur de femmes de la S-Bahn et l'exécuteur à grande échelle qu'est devenu l'inspecteur de police est intéressant. Mais le style sans relief de Thomas, les auto-analyses de Heuser, qui vingt fois sur le métier remet son ouvrage, le personnage d'une belle juive sorti du chapeau, la partie juridico-sentimentale consacrée au procès dont Heuser est étrangement absent ont rendu cette lecture un peu laborieuse. On a déjà lu mieux sur le thème de la responsabilité individuelle (
Robert Merle,
Goran Hachmeister et Richard Birkenfeld,
Philip Kerr…).