En France, si l'on connaît le nom de
Tade Thompson, c'est surtout pour son excellente série de novellas sur Molly Southbourne (
Les Meurtres de Molly Southbourne,
La Survie de Molly Southbourne tous les deux parus au Bélial') ainsi que pour sa série
Rosewater paru cette fois chez J'Ai Lu. C'est de nouveau chez cet éditeur que l'on retrouve le nouveau roman de l'auteur britannique :
Loin de la lumière des cieux. Point de fantastique (ou presque) cette fois pour une aventure purement science-fictive matinée d'intrigue policière (qui a dit Andrea Cort ?).
Comment se débrouille le britannique en impesanteur ?
Loin de la lumière des cieux nous emmène dans un futur où l'humanité a colonisé l'espace et où l'entreprise MaxGalactix a propulsé Yan Maxwell, son directeur et fondateur, au sommet de l'échelle sociale. Mais avant d'en arriver là,
Tade Thompson nous emmène sur le Ragtime, un vaisseau spatial et transporteur civil qui va connaître une curieuse avarie alors qu'il approche de sa destination, la colonie de Sang-Dragon. La commandante Campion, responsable en second du bâtiment, se retrouve face à une situation incompréhensible et particulièrement horrible après dix ans de voyage en État-de-Rêve. L'IA du vaisseau, Ragtime, semble défaillante et plus de trente passagers ont péri, éparpillé en petit morceau dans un des modules du bâtiment. Envoyé par Sang-Dragon, le rapatrieur Rasheed Fin et son acolyte artificiel Salvo tente de tirer cette sombre affaire au clair alors que les bots du vaisseau commencent à les attaquer !
Pour cette histoire,
Tade Thompson avoue volontiers s'inspirer d'
Edgar Allan Poe et de son
Double Assassinat dans la rue Morgue. le récit tente donc de jongler entre différents genres qui vont du space-opera (avec la mise en place de tout un univers qui semble particulièrement intéressant) au roman policier en passant par le body-horror avec le personnage de Brisbane.
Autant dire que Thompson essaye beaucoup de choses dans ce roman et qu'il est malheureusement loin de tout réussir.
En premier lieu, l'enquête. Si celle-ci n'a jamais le palpitant et la profondeur d'un des opus d'
Adam Troy-Castro, elle a l'intelligence de capitaliser sur l'influence/les conséquences du stress sur des personnes confinées au sein d'un milieu hostile et potentiellement privées des repères sensoriels humains traditionnels. C'est certainement dans cette partie que
Tade Thompson, en bon médecin et psychiatre, se révèle le plus convaincant tant le personnage de Shell semble être au centre des préoccupations narratives du roman.
Moins convaincant, ses autres personnages, notamment Rasheed Fin et le gouverneur Lawrence. Pas qu'ils soient mauvais en soi mais, comme pas mal de choses dans ce court roman, ils sont loin d'être assez fouillés pour convaincre pleinement. le très gros défaut de
Loin de la lumière des cieux, c'est de vouloir faire beaucoup de choses et de n'érafler que la surface du potentiel offert par l'histoire et ses personnages. de plus, il faudra pour le lecteur attendre pas mal de temps pour véritablement comprendre tous les éléments qui lui sont présentés. Qu'est-ce qu'un Lambre ? Quid de l'IFC ? Qu'est-ce que Lagos, Belladone et Sang-Dragon ? Si le suspense doit forcément intervenir quelque part,
Tade Thompson est souvent trop cryptique dans la première moitié de son roman et ne vient éclaircir que tardivement tout ce qu'il raconte. Mais soit.
Loin de la lumière des cieux n'est pas aussi efficace que
La troisième griffe de Dieu parce qu'il lui manque une héroïne vraiment marquante et atypique. Bizarrement, le roman convainc davantage quand il étend son univers et qu'il parle de son sous-secteur colonisé à la sauce afro-futuriste avec une population noire descendant des yorubas. Lagos, Sang-Dragon et toute la spiritualité entourant les étranges Lambres s'avèrent bien plus intéressants en comparaison d'une enquête qui manque de peps. À mi-parcours,
Tade Thompson réoriente son intrigue pour en faire une réflexion sur la responsabilité humaine face au progrès technologique avec un sous-texte plutôt bien senti contre les GAFAMs avec un décalque de Jeff Bezos version galactique. L'exploitation humaine et l'envie de se venger qui en découle deviennent l'un des ressorts principaux d'une résolution qui intéresse bien davantage que les dangers encourus dans le Ragtime. Même si
Tade Thompson manque ici singulièrement de subtilité (surtout en comparaison de ce qu'il fait avec Molly Southbourne), on prend plaisir à suivre cette réflexion sur le double-tranchant d'une vengeance qui souille aussi l'honneur de la victime. Doit-on nécessairement détruire ou vaut-il mieux réparer et alerter ? Où s'arrête la justice et où commence la vengeance aveugle ? Une question qui est au centre du roman et qui, mine de rien, fait s'interroger le lecteur sur notre monde actuel et notre façon de consommer.
Difficile de dégager donc un sentiment très clair quant à ce roman qui, pourtant, finit par décoller après une première moitié laborieuse pour offrir un space-opera grand public honorable qui devrait satisfaire un large panel de néophytes en la matière. Là où le bât blesse, c'est que si vous connaissez un peu mieux le genre et si vous êtes plus exigeant, l'histoire de
Tade Thompson n'apporte pas grand chose au genre et semble même assez boiteuse.
En tant que lecture de divertissement (avec un petit fond politique appréciable en plus), Loin de la lumières des cieux n'a rien d'honteux, au contraire.
Après une première partie décevante,
Loin de la lumière des cieux développe son univers et passionne davantage, notamment lorsqu'il s'intéresse à son côté afro-futuriste et aux traumatismes passés de ses héros. Dommage que Thompson n'exploite jamais le potentiel qu'il tient entre les mains, laissant aux lecteurs un roman relativement plaisant à lire mais qui manque d'audace et de subtilité pour se démarquer.
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