L'année dernière, Albin Michel Imaginaire s'est lancé dans la traduction d'un auteur américain quasi-inconnu dans l'Hexagone :
Adam-Troy Castro.
Avec Émissaires des morts, un énorme volume de 720 pages comprenant un roman et quatre nouvelles, le public français a pu faire la connaissance d'une enquêtrice de la Confédération homsap (comprendre Homo Sapiens) du nom d'Andrea Cort. C'es ce personnage qui constitue le fil rouge de l'univers créé par l'américain et qui revient pour une nouvelle salve d'aventures avec
La Troisième Griffe de Dieu qui regroupe le second roman du cycle et une longue nouvelle intitulée Un Coup de Poignard.
L'occasion de se replonger dans cette galaxie impitoyable et pleine de surprises guidée par la « Procureure extraordinaire pour le Corps Diplomatique de la Confédération homsap »…en personne !
Xana-Express
On ne change pas une équipe qui marche.
C'est un peu le mot d'ordre de ce second roman puisque
La Troisième Griffe de Dieu reprend tous les mécanismes de son prédécesseur, à commencer par une enquête policière qui n'a pas grand chose d'originale dans sa structure narrative.
Cette fois, Andrea Cort se retrouve sur Xana, une planète contrôlée par la famille Bettelhine, des marchands d'armes intergalactiques dont l'Empire rivalise de puissance avec la Confédération homsap elle-même.
Évidemment, les Bettelhine sont loin d'être des saints et festoient sur les restes calcinés des planètes qu'ils contribuent à détruire, vendant des armes toutes plus terribles que les autres aux quatre coins de la galaxie.
Invitée par le patriarche de la famille en personne, un certain Hans Bettelhine, Andrea Cort n'a pas grande idée de ce qu'elle fait là. Mais voilà qu'à peine arrivée au port orbital, deux assassins se jettent sur elle armés d'une arme que l'on avait pas vu depuis des milliers d'années : une Griffe de Dieu.
Embarquée à bord du « Carrosse Royal », un ascenseur spatial de luxe de la famille Bettelhine, un nouveau meurtre survient et les quinze survivants sont bloqués dans le vide spatial tandis qu'Andrea se met au travail : qui est l'assassin parmi eux ?
Comme on le constate à la lecture de ce postulat de départ,
La Troisième Griffe de Dieu a bien du mal à cacher au lecteur son classicisme absolue qui lorgne de façon évidente vers du
Agatha Christie — on pense immédiatement au Crime de l'Orient Express — et qui va d'ailleurs suivre un parcours identique sur la façon de résoudre l'énigme. L'issue, elle, ne sera heureusement pas du tout la même.
Andrea Cort va donc trier les hypothèses, passer les suspects en revue pour raccrocher les wagons, interroger un par un les passagers (ou presque) et terminer, dans la grande tradition des récits d'Hercule Poirot, par une exposition méticuleuse et suffisante de la solution au problème.
L'amateur de polar traditionnel sera ravi, d'autant plus qu'il faut bien l'avouer,
Adam-Troy Castro possède un don évident pour ce genre d'exercice de style qu'il avait déjà exploité dans le précédent roman.
Mais cela peut-il suffire à transformer
La Troisième Griffe de Dieu en un ouvrage de science-fiction recommandable ?
Tout l'Univers
Comme toujours, la réponse est à chercher autour de cette enquête principale à la trajectoire rigide et cliché.
Adam-Troy Castro se sert de l'enquête d'Andrea Cort pour étoffer de manière impressionnante son univers et lui donner une épaisseur toujours plus importante. On pénètre ainsi les rouages de la famille Bettelhine et leur sale petit business construit sur le massacre de masse intergalactique. L'américain explore toujours plus avant les recoins sombres de la galaxie humaine, laissant à l'écart cette fois les nombreuses races extra-terrestres pour en faire un objet de décorum et se concentrer sur des problématiques éminemment humaines, à savoir la responsabilité, la morale, le libre-arbitre et le poids des origines.
Petit à petit, Andrea Cort va recoller les morceaux que lui offrent chacun des témoins. Ce sera l'occasion pour le lecteur d'en savoir davantage sur certains évènements tragiques de l'histoire galactique, de l'oeuvre génocidaire de Magrison et de sa Fugue en passant par le destin tragique de Deriflys dévasté par les Bettelhine (de façon indirecte) sans oublier le drôle de jeu des IA-Sources dont les objectifs mystérieux continuent de briser moult existences.
L'enrichissement de l'univers devient l'un des moteurs fondamentaux de l'intrigue et l'on avance dans le roman autant pour découvrir l'identité de l'assassin que pour en apprendre davantage sur cette galaxie décidément impitoyable et ronger par un capitalisme débridé cette fois au service des armes et de la destruction de masse.
Le bruit des armes
Profitant de son unité de lieu et de temps, remplaçant le train par l'ascenseur spatial et les coups de couteaux par des coups de griffes,
Adam-Troy Castro s'intéresse au fond aux implications morale des personnes impliquées de près ou de loin dans le sinistre commerce des Bettelhine. Réflexion sur le Diable lui-même, lui donnant une certaine morale (comme l'auto-limitation pour éviter de scier la branche sur laquelle ils sont assis) et des règles compréhensibles (mais diaboliques, forcément),
Adam-Troy Castro donne à réfléchir sur la notion de « mal nécessaire ». de même, peut-on laisser un libre-arbitre total à des personnes qui seraient capables de mettre en danger un tel numéro d'équilibriste mortel ? Et surtout, où doit-on positionner le curseur moral sur les mesures de rétorsions à prendre ? Peut-on se dire justicier quand on utilise des méthodes qui ne différent en rien de celles utilisées par ceux que l'on considère comme le Mal ?
On le voit bien ici, ce sont les considérations morales qui l'emportent finalement sur le simple exercice de style policier, profitant de l'occasion pour creuser toujours et encore plus le personnage d'Andrea Cort.
Narratrice de l'aventure, elle représente certainement l'un des maîtres atouts d'
Adam-Troy Castro qui déploie un formidable talent pour la nuancer et l'incarner, entre sa façade de « garce froide » et ses nombreux doutes liés à ses origines et son traumatisme originel désormais archi-connu. Sa relation avec les Porrinyard continue d'ailleurs de passionner, confirmant que le concept d'« inseps » (deux individus fondus en une seule entité) reste l'une des meilleures trouvailles de l'auteur.
Pour finir,
Adam-Troy Castro réserve quelques surprises de taille à son lecteur et parachève une nouvelle plongée passionnante dans son univers qui recycle les poncifs du roman policier pour offrir au lecteur un univers toujours plus fouillé et dense.
D'une efficacité redoutable malgré le classicisme de son intrigue à la
Agatha Christie,
La Troisième Griffe de Dieu se paye le luxe d'étoffer un univers déjà particulièrement dense pour en discuter les implications morales et humaines.
Andrea Cort s'affirme comme l'un des personnages de science-fiction les plus intéressants de ces dernières années et l'on espère sincèrement la retrouver pour de nouvelles enquêtes dans un troisième volume aussi réussi que celui-ci.
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