Réchauffement des esprits, la responsabilité sociétale des industries culturelles, est un livre technique qui se développe en 3 grandes parties.
Tout d'abord un diagnostic est posé sur les méfaits et les erreurs commises aujourd'hui par (et dans) le monde de la culture : désinformation en ligne, harcèlement, dénigrement, stéréotypes, manque de diversité, etc... Les répercussions sociales et psychologiques de ces méfaits sont également présentées, avec moult sources et statistiques.
La seconde partie est quant à elle dédiée aux réponses qui y ont été apportées jusqu'ici, mais surtout à leurs limites. le manque d'engagement et de réelle motivation à répondre aux défis qui sont posés par l'industrie culturelle et par les institutions est ainsi décrypté.
Puis pour en terminer avec son essai (si on peut qualifier le livre ainsi),
Pascale Thumerelle ouvre un troisième et dernier chapitre consacré aux solutions nouvelles que l'on pourrait envisager face à ces défis qui ne sont pas nouveaux mais qui ont explosé au cours des dernières années. Les enjeux sont nombreux : protection des individus (notamment des enfants), stabilisation des démocraties, limitations des risques liés aux addictions, meilleure répartition de la richesse, pluralité de l'offre culturelle, amélioration de l'accès à une information crédible, ...
L'enfer est pavé de bonnes intentions. Voilà le résumé de ma pensée après avoir parcouru cet ouvrage. Car oui le diagnostic est plutôt cohérent, et à ce titre l'ouvrage présenté ici soulève une liste de problèmes réels auxquels nous sommes tous confrontés. Abrutissement des masses, nivellement par le bas, difficulté d'accès à la culture pour les classes sociales les moins privilégiées, primauté de l'opinion individuelle sur les faits, souffrances multiples liées aux dérives récentes, mais aussi accès trop facile à la pornographie, intimidations en ligne sous couvert d'anonymat, dénigrements, rétrécissement de l'offre culturelle, manque de pluralisme dans les médias, dangers de l'hyperconcentration des pouvoirs des GAFAM : la liste est longue et non exhaustive. Jusqu'ici je suis tout à fait d'accord avec le contenu de l'ouvrage, et des oeuvres ont d'ailleurs contribué à alerter sur certains de ces sujets. Je pense notamment à des films comme Les Nouveaux Chiens de Garde ou Idiocracy. Là où le bât blesse, à mes yeux, c'est sur le parti pris idéologique de l'auteur. On sent à la lecture de ce livre qu'un certain progressisme de centre-gauche est à l'oeuvre. Si les critiques peuvent tomber sans concession à l'égard d'un Hanouna, d'un Zemmour, ou d'un Trump (à juste titre), on sent qu'il est beaucoup plus difficile pour
Pascale Thumerelle de critiquer l'autre bord de l'échiquier qui n'est pourtant pas en reste. Par exemple, écrire que Zemmour utilise une rhétorique guerrière surprenante et mal avisée sur de trop nombreux thèmes est bienvenu. Mais dès lors, afin d'avoir une vision non partisane des choses, il aurait été bienvenu de souligner que d'autres le font tout aussi facilement (je pense au fameux "nous sommes en guerre" répété plusieurs fois à l'antenne par
Emmanuel Macron lorsqu'il parlait des mesures à mettre en place contre une épidémie). Idem pour le dénigrement et le harcèlement : on ne peut pas critiquer les individus lambda qui s'y adonnent et ne pas évoquer les personnalités publiques qui ont humilié et traîné dans la boue ceux qui, pourtant peu nombreux, et pour en revenir à cette période récente, choisissaient en toute légalité de ne pas se faire vacciner : si on ne peut pas tolérer le harcèlement de manière globale, alors on ne peut pas accepter qu'un Président annonce vouloir emmerder une partie de son peuple, ou que les médias traitent pendant des mois toute pensée différente de complotiste dans une distorsion simpliste de la réalité. En résumé ce qui me dérange en partie dans ce livre c'est une sensation d'avoir encore une fois à me confronter à un deux poids deux mesures, à une indignation sélective, trop visible pour que je n'en parle pas dans ces quelques lignes. Si les problèmes soulevés (encore une fois à juste titre) dans Réchauffement des esprits sont si importants, alors on ne peut pas se défausser uniquement sur une partie du spectre des institutions/personnalités/entreprises qui en sont responsables : c'est trop facile.
Par ailleurs j'ai un désaccord profond avec
Pascale Thumerelle quant au rôle de protecteur alloué aux institutions nationales. Oui le rôle de l'État est de protéger ces citoyens. En revanche l'accumulation de lois de plus en plus contraignantes ne peut en aucun cas être l'unique solution. L'État doit en effet pouvoir participer au développement d'un esprit critique chez ses citoyens : c'est la meilleure arme contre tout type de manipulation ou d'injustice. "Ne me donne pas de poisson, apprend moi plutôt à pêcher". Là, le bon fonctionnement de l'école devient primordial. le bien-être des parents également. Et bien évidemment, en parallèle, poser des règles contraignantes aux entreprises culturelles (jeux vidéo, cinéma, magazines, plateformes en ligne, etc) qui abusent.
Finalement j'ai l'impression que Réchauffement des esprits est assez symptomatique d'un mal qui ronge nos sociétés modernes : les têtes pensantes, celles et ceux qui se considèrent comme les détenteurs de la connaissance (ou pire, de la vérité), essayent tant bien que mal de s'attaquer aux symptômes de la maladie, mais pas à ses racines. Ils ne voient pas (ou plus) que les dérives actuelles sont la conséquence logique d'un monde capitaliste/darwiniste/individualiste/consumériste où les entreprises en quête de profits exponentiels trouveront toujours des moyens ingénieux pour contourner les règles, s'en absoudre même, et continueront à abêtir et à asservir le plus d'individus possible. On remarquera d'ailleurs les réponses fades, lisses, et sans saveur, de compagnies comme Netflix ou Disney, qui aseptisent le monde pour répondre aux critères définis par les institutions. En voulant déresponsabiliser les individus, en en ayant fait de simples consommateurs égotiques, en restreignant sans cesse le cadre d'expression, je crois que nos décideurs ne font que dépeindre de mieux en mieux l'image du serpent qui se mord la queue. Dommage également de ne pas voir plus de place accordée dans ce livre aux nouveaux canaux d'informations indépendants (Elucid, Thinkerview, Blast, etc) plutôt que de se focaliser sur les organes de presse classiques, même s'il faut bien concéder à l'auteure qu'elle met en garde contre la concentration trop forte des journaux et des médias de l'information aux mains d'oligarques/milliardaires qui influencent indéniablement le contenu de l'information ou du divertissement proposés.
Voilà pour mon retour sur Réchauffement des esprits, par
Pascale Thumerelle. Je suis très mitigé, c'est mi-figue mi-raisin à mes yeux. Pas inintéressant mais son contenu me semble dépassé à bien des égards, même si certains postulats de départ sont justes et bien présentés. Cela me fait même un petit peu peur au final, car j'ai l'impression que nous avançons dans un monde où l'on va continuer de déresponsabiliser les parents, où l'on va continuer d'amoindrir les capacités cognitives des individus (et donc leur esprit critique), où l'on va continuer de mettre à mal la tradition au profit de la bien-pensance, où l'on va continuer de poser des sparadraps sur une hémorragie qui pourrait devenir fatale. Voilà pourquoi j'ai écrit que l'enfer est pavé de bonnes intentions : à trop vouloir faire le Bien, on finit parfois par faire le Mal sans même s'en rendre compte.
Merci à Babelio et à
Actes Sud de m'avoir fait parvenir un exemplaire de cet ouvrage à la suite d'une Masse Critique.