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EAN : 9782841005895
514 pages
Bartillat (18/02/2016)
3.75/5   2 notes
Résumé :
En 1894, Tinan vient d'avoir vingt ans et déjà il fait preuve d'une extraordinaire maîtrise du style. Dans ce document inédit, il consigne au jour le jour ses états d'âme, ses épanchements, ses rencontres littéraires ou sentimentales. Avec un rare talent de dilettante, il fait défiler devant nous toute une galerie de jeunes filles ou femmes assez dissemblables, exprimant chacune une pulsion de son caractère : Édith, l’amour sentimental ; Bessie, la pure sensualité c... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
On ne devrait jamais écrire de journal intime : ce n'est pas salubre, c'est peu hygiénique, une sanie irrépressible – ce qu'en médecine on nomme : épanchement –, une infection qui altère faute de ponction vers l'extérieur, une manie qui sent le renfermé, comme dormir longtemps dans une pièce étroite et mal aérée.
Je parle aussi d'expérience.
Particulièrement quand on est jeune et qu'on s'en sert pour s'introspecter, comme il n'y a guère à remarquer en soi, comme on se quête de la matière à espérance plutôt qu'on est sûr d'en rencontrer, comme on se disserte en péroraisons creuses et surfaites, on s'invente alors des particularités, des accès, des atteintes, des souffrances qu'on s'exacerbe : le journal est bientôt la légitimation de son propre néant par excès de bavardage reconstituant ; et l'on se matérialise sans avoir rien fait qu'écrire sur ce qu'on est sans démonstration. Il faut se méfier de l'écriture qui prend l'habitude pour fondement et qui s'efforce de discerner quelque « chose à dire », des révélations à produire, des astuces à se controuver, des couleurs à se flatter. Si l'on ne dispose pas d'une activité objective en-dehors du journal, d'un rapport concret au réel, l'écriture devient fascination et extrapolation emplies de symboles puérils et hasardés qui dispersent l'être et lui diffèrent la pleine réalité du monde. L'auteur d'un journal considère en général son oeuvre une porte d'entrée dans la vie, un prisme de compréhension, un outil pour la déchiffrer, cependant qu'elle n'est, faute d'un naturalisme très méthodique qu'on peut difficilement posséder à vingt ans, qu'un miroir d'intentions, qui, infidèle au réel et ne ressemblant qu'à soi, modifie la qualité de l'objet sous la volonté du sujet qui se dissimule cette déformation et prétend à la description pure.
Tenir un journal quand on est jeune, c'est se publier à soi ses « mystères » qu'on élabore profonds, c'est forcément en fabriquer pour se découvrir de la complexité et souvent du martyr, c'est s'exposer, s'exhiber, s'expliquer, se devenir à soi-même un être public : l'orgueil ne serait pas dommageable en cette confection s'il n'y fallait adjoindre beaucoup de vanité aveuglante. Faire de soi le sujet d'un livre, quand on n'est rien, qu'on n'a rien vécu ou peu s'en faut, c'est se relater la visite du facteur comme une conséquence capitale, c'est dresser le portrait de la voisine comme un charme envoûtant et poétique, c'est rendre compte d'une conversation banale sur des livres comme une conférence éclairée de prophètes : que va-t-on tâcher de débrouiller ces broutilles ? Symbolisme et psychanalyse sont logiquement les fétiches du diariste, car il ne s'agit point, en pareilles « sciences », de démêler les énigmes tangibles du monde, mais d'en constituer de nouvelles absurdes, très inextricables si possible, pour se persuader de détenir les fonds de certaines perceptions supérieures. Comme l'écrivait Freud : « Il a fait tomber ce vase : quelle raison cachée avait-il de faire tomber ce vase ? » Ces alambications flatteuses sont par nature une puérilité, ou plutôt une adolescence : « Je n'ai rien à dire, n'étant rien : il fallait bien que je fabriquasse un sujet compliqué à partir de rien. » !
Et puis, à ces épanchements, à cette logorrhée, à ces suppurations, on déverse tôt ce qui eût mérité une maturation, une cogitation, une sublimation ; on se galvaude, on se gâche ; ainsi perd-on en soi ce qu'il y a de plus individuel à soi-même, à sa distance, à son intégrité, à savoir : le sens du secret qui est condition de la profondeur. Pour être un puits, il faut se connaître sans se croire le devoir de tout confesser : un puits, c'est le contraire d'une tour, ça ne s'invagine pas ; et confesser sans cesse, c'est faire de la parole l'objet de l'être, c'est la prostitution de soi-même à sa propre indulgence, c'est devenir entièrement le Ragot. On n'est pas obligé pour la moindre chose de se rendre aussitôt un bilan, de s'exhausser en synthèses, d'improviser de la philosophie ou de l'émoi comme si tout en valait la peine : se retenir d'écrire, c'est se réserver à l'important, c'est savoir trier le ridicule en soi et se défendre d'y succomber, c'est acquérir ou conserver le sens des proportions. Je veux dire qu'à force d'écrire par coutume sur ce qu'on vit et dont on témoigne, comme il faut en penser quelque chose et que la nature de tout ce qu'on relate soit propre à y apposer de la pensée, on devient uniquement sa confession, la réalité même en ressort travestie, et l'on ne se sait plus rien en-dehors de ce qu'on confesse de façon aussi systématiquement lisible, et l'on est incapable de devenir en-dehors des formulations textuelles. Or, je trouve une grandeur véridique à se dire que, le plus souvent, on n'a fait que traverser une réalité anodine : c'est simplement plus juste ainsi, on a rarement compté. On n'est à peu près personne au monde : à quoi bon affecter que le monde vous a remarqué ? Semblablement, le monde réel est en majorité terne et insipide : faut-il prétendre ignorer cette vérité pour feindre que le petit chien de la concierge a vraiment un aboiement unique ? Même, l'usage insistant, névrotique, du journal est bientôt tel que, si l'on n'a pas maniaquement recopié la moindre de ses pensées et la plus dérisoire de ses impressions, on a l'impression de ne pas penser ; on ne peut plus penser qu'en écrit et à telle heure du soir, c'est pourquoi leurs auteurs, sans nécessité relatent tous les souvenirs du jour – c'est à peine s'ils sélectionnent, comme si, dans leur effroi permanent de ne pas compter, en taisant l'inutile ils craignaient eux-mêmes à travers la mémoire de disparaître. Cette compulsion, qui est le symptôme psychopathologique de Proust (dont j'ai parlé en une longue critique de du côté de chez Swann), tient de la phobie de l'extinction de soi : il faut que sa simplicité honnête soit adultérée en complexité factice, que tout l'extérieur prenne des airs inconnus et pénétrants, et qu'on s'efforce à des traductions ésotériques pour se donner une expertise d'alchimiste. Alors, comme on aspire quand même à confirmer par autrui l'image qu'on se fabrique – il est vrai qu'en son enflure décelée on a des retours de peur de son propre néant – le diariste est souvent tenté de donner à lire son journal : c'est qu'en son très peu immodeste il n'a même décidément rien à garder – à défaut, il envoie beaucoup de lettres et entretient maintes correspondances. Il n'écrit pourtant pas pour autrui : il s'écoute.
Mais c'est un vice, une dérive mentale, une psychopathologie, qu'on ne s'ignore guère quand on se livre à de telles sentimentalités : on finit par se répugner un peu, ces grattements de croûte ont quelque chose de malsain, on assimile forcément cette écriture assez automatique à de l'effusion ignoble, on ne peut s'empêcher tôt ou tard de constater, tant nos interprétations subtiles sont déçues – parce qu'un diariste souvent forme des hypothèses qui sont contrariées et constituent la preuve qu'il ne sait pas de quoi il parle, qu'il est incompétent en science de la réalité, mais il est vrai qu'il s'oublie aussi souvent ses prédictions inadvenues ou qu'il s'en fait des prétextes de poésie –, que toute cette sensiblerie égoïste et pesante est d'une presque stérile circularité comme la plainte, alors on se sent le besoin de la partager pour, encore, ne pas se croire annihilé dans l'artifice… que c'est presque toujours. le souhait même de se raconter, la volonté de se trouver quelque chose à dire, est un agrippement désespéré aux murailles du sens et des réalités, une imploration d'exister qui souvent est à l'origine, dans ces journaux, de toutes les éplorations où l'auteur sait ou devine qu'il se monte et simule une essence, que son effort n'est que justification et mascarade dont il se laisse mal tromper et dont, pour se persuader, il voudrait un peu duper les autres – la nécessité et le goût du journal signalent une faiblesse et un ridicule qu'on ne peut entièrement s'ignorer. On se dégoûte de n'avoir pas mieux à faire, on ratiocine et ressasse, puis on y retourne par désoeuvrement et par angoisse de risquer de n'être personne faute de commentaires – parce qu'un commentaire, cela ressemble à une opinion et à l'exercice d'un individu. C'est se cacher que la plupart des mots sont vides et ne procèdent de personne, justement : le bruit n'a pas nécessité de cause, particulièrement le bruit-de-fond. le journal est un acouphène.
Alors, on déforme par degrés la réalité du monde humain, parce qu'il n'existe guère de gens qui agissent avec tous ces motifs alambiqués qu'on leur attribue, et parce qu'on aimerait vraiment qu'ils aient envers nous les intentions timides et dissimulées qu'on leur suppose. le journal intime est incursion dans le domaine de l'absurde, de l'arbitraire, de l'extrapolation et de la rêvasserie : fantasme et délire. On se complaît à substituer au monde-tel-qu'il-est les significations spagyriques de modalités qui le font tel-qu'il-n'est-pas, qui « l'idéalisent », mais sans les acceptions magnifiantes du terme, juste avec envie et névrose. C'est infécond et c'est inapplicable, mais ça rassure : d'ailleurs, ne se sent-on pas composer ? c'est donc quelque chose comme de l'art ! Presque tout ce qu'on croit attaché à la réalité selon ce registre est une erreur, et je prétends que c'est une erreur soupçonnée et qu'on se cache, de sorte que le journal, à force, donne l'habitude des mystifications : le diariste confirmé est presque obligatoirement hypocrite et menteur – sans parler des susceptibilités et du lunatisme particulièrement utiles à cristalliser des « événements ». le « pacte autobiographique » est presque un contresens pour un journal : tout y est inventé, c'est-à-dire amplifié de telle sorte que la réalité en sort défigurée, au point qu'un homme qui aurait partagé une journée avec un diariste nierait avoir dit et fait ce que celui-ci a écrit ; et le biographe s'étonne souvent, après son enquête, qu'hormis les données les plus factuelles du journal, la plupart des interprétations de l'auteur se révèlent fausses, et que les intentions et sentiments que celui-ci impute aux personnes qu'il y mentionne, et même parfois les faits rapportés, y furent largement travestis pour ne pas dire tout à fait méconnaissables. Si je ne craignais le paradoxe « plaisant », je dirais qu'en grande part le journal est un roman insu, parce que l'auteur n'a pas conscience en écrivant qu'il est en train d'affabuler tant il « brode ». On croit toujours trop qu'il y a là du vrai, et que le témoignage sert bien à établir le fait, on est innocemment dupé, on ne devrait au juste, en bon philologue de vérité, que s'interroger sur la manière dont le prisme de la subjectivité rend compte du réel, le confirmant ou le modelant : examiner et évaluer les variations de cette adhésion ou de cette altération, et juger l'auteur selon son honnêteté et sa clairvoyance. À quoi bon s'attendrir pour qui, s'émouvant du monde, l'invente à dessein de s'imputer des joies et des peines, et pour s'attribuer des vertus ? Exiger de tout homme qu'on écoute que sa parole ne constitue pas encore un faux-témoignage.
Et même, à force d'être écrite et esthétisée, l'émotion devient factice, et le diariste n'est plus que pose ou que poésie, il s'écoute, se chante, s'élégise ; il se berce d'illusions savamment entretenues, se lamente, s'admire le coeur, se respecte en langueurs artificielles, écoute tous ses moindres soupirs, les prolonge, transfigure ses plus basses et organiques sensations ; il se forme cette complaisance des passions qu'il maniérise et qui finit par atteindre son intégrité, il a pris l'habitude, à vingt heures et quart, d'aller se coucher sur un divan pour se raconter à lui-même ses petits bonheurs et malheurs héroïques, et il devient ce patient-là, du quotidien, dépendant et veule. Il ne se reconnaît bientôt plus s'il est vigoureux et ferme, sa maladie l'a trop innervé, elle s'est installée, et l'on ne peut plus déloger de lui cet autre qui ne se débarrasse pas de sa tendance stylée à se prendre pour contemplation exclusive, à se pâmer, à se tirer de soi du « contenu », la plus petite teneur, jusqu'à en annuler ce trésor fier et mâle : l'Inavoué d'un homme. Cette littérarité imprègne tout l'être bientôt, et bientôt l'être entier n'est plus que ce cahier de formules bien mises, il ne se reconnaît que quand il littérarise sa vie, il n'échappe plus aux conformations de ce style introspectif et auto-justificateur. On se fige : écrire sur soi, c'est se paralyser entre les pages. D'ailleurs, on n'oserait pas changer tout à coup, c'est de moins en moins aisé, on se serait décrit pour rien, on tient à une cohérence ferme, il faudrait se renier. Plus on écrit sur soi, plus on s'engage à demeurer, pareil à ceux qui mentent une fois et qui, face aux démentis, ne se trouvent pas d'autre choix que de s'obstiner, et qui finissent par se persuader de leurs propres mensonges et s'enferrent dans l'imaginaire de leurs déclarations antérieures. Pour être « net » et « propre », et pour préserver au moins en soi l'immaculé de la véracité, il faudrait surtout ne pas avoir tenu longtemps un journal. C'est parce qu'au fond, on écrit toujours un journal pour soi en pensant au lecteur ; ainsi, aspire-t-on, en exagérant la vraisemblance qu'on a plutôt bâtie que ressentie, à rester personnage uni. Un journal n'a rien d'intime pour ce qui est de l'image : on ne veut surtout pas « perdre la face », la susceptibilité y joue même davantage que pour tout autre genre parce que c'est son oeuvre et c'est soi qu'on juge. Qu'on se juge : on est intransigeant en amour-propre, parce qu'on tient tout particulièrement à ne pas se désaimer ; il faut donc que le journal soit en quelque façon supérieur, puisque ce journal, c'est soi.
Et voici pourquoi pour évoluer, du moins pour évoluer plus vite, il faut toujours brûler les journaux et les photographies qu'on veut garder où s'attachent nos mémoires et nos usages passés. On ne faut, on ne manque toujours qu'en ce qu'on tient à conserver : car alors on ne s'observe déjà plus tel qu'on est, on se recroqueville, on régresse, comme aux nuits de misère passées en position foetale à se morfondre et à pleurnicher. Regarder devant et avancer, c'est certes tenir compte du passé, mais la mémoire y suffit sans qu'il soit nécessaire, au contraire, d'observer continuellement ce qu'on quitte : on craint trop, autrement, à force de se retourner, de ne pas se retrouver. Tout véritable explorateur de vie est quelqu'un qui ne redoute point de se perdre, de perdre de vue ce qu'il était : il a même la haute intention de s'égarer pour découvrir un autre en lui, celui par qui, pour paraphraser Nietzsche, il peut mieux devenir ce qu'il est.
Le journal est un égarement, une errance, un vestige de soi où l'on traîne en son absence de méthode et de direction : jamais si peu d'investigation franche que dans un journal. On ne « sait pas », à perpétuité – j'avais justement intitulé mon journal : « Je ne sais pas » – et l'on confesse sans cesse à soi cette indécision qui en deviendrait un signe de conformité avec soi-même : on se surprend un jour à savoir une chose, et l'on s'en défie parce qu'alors on suppose qu'on « n'était pas soi-même » – le journal perpétue l'inconstance et le relativisme. Il faut être vague et incertain : comme c'est ce soi qu'on a identifié et emprisonné dans ses cahiers, ne pas en sortir ! le journal, c'est notamment la peur du risque, parce qu'il y faut minutieusement se répéter ses motifs avant toute action réelle ; souvent, il est alors tard, trop tard, le temps d'agir est passé – n'importe : ce sera l'occasion d'un morceau de regret élégamment littéraire. Ersatz d'existence, sa procuration : le journal. On y rencontre en somme tous les signes de la mauvaise santé morale : course aux symboles, jugements faux et illusions, incontinences et confidences, égocentrisme excessif, ferveur larmoyante à la condamnation ou au pardon, quête des autres et des confirmations, jamais rien d'assuré ou de définitif, procrastination et altérabilité, en tout la pathologie du déréglément chrétien. Notamment, la tendance irrépressible à s'exposer son mal, à se redécoudre les sutures, à se triturer ses chairs solitaires en culpabilité inépuisable. Il faut regretter solitaire et faire des projets d'autres vies, ou c'est ne pas se sentir d'existence : vivre dans un monde irréel de promesses et de signes – c'est presque nécessairement qu'un diariste est chrétien. Jeune, c'est quelqu'un d'à la fois extrêmement quérulent et componctueux. Et l'on ne corrige pas un diariste : il n'existe pas de confesseur pour lire les journaux intimes – sa foi fanatique n'est dévouée à aucun prêtre et n'écoute que l'humeur de son style.
À cause de tout cela, celui qui écrit régulièrement dans un journal et qui, pour partie, vit à dessein ou dans la perspective de s'y consigner, s'enferme dans de la fiction : aveuglements invétérés, malentendus exagérés d'intensité irrationnelle, drames intérieurs et disproportionnés, réconciliations et apaisements univoques, hypersensibilité entretenue, résolutions braves (dont suicide), solennelles et pas tenues, retours d'affects, le tout en un univers de références typique et traditionnel – c'est -à-dire auto-persuasion : il faut alimenter la machine à intrigue, produire des péripéties, multiplier les retournements de situation, construire des révélations neuves ; et pour que cela soit crédible, il faut placer les vérités les plus dures à côté des mensonges les plus nuls, donnant par proximité une force intéressée aux espérances illégitimes et improbables. Il s'agit, en faisant figurer des pertinences et parfois des fulgurances tout près des mirages les plus énormes, de conférer à la fausseté une apparence de conviction où l'auteur peut s'émouvoir de variations et « améliorer » le scénario de son existence – où l'on voit ce qu'il y a de malsain à être écrivain de sa propre vie, je veux dire à ne prétendre qu'interpréter sa propre écriture : la réalité n'a plus le moindre intérêt. On préfère s'interroger et s'expurger ; on surproduit le réel, ce pourrait être sur n'importe quoi, et ce qu'on relate n'est que support et qu'excuse – on en ferait autant d'un film ou d'un jeu vidéo. le journal se définit ainsi comme une représentation, où le « je », infiable, se prend tant pour objet qu'il se trompe et s'illusionne à peu près sur tout, supposant notamment que le « il », c'est-à-dire autrui, se réfère à des processus psychologiques similaires à soi et se fonde sur un mécanisme identique au sien : dans tout journal, le postulat du diariste est environ que le « il » est à l'image du « je ». le journal, malgré la vanité du sujet – ce soi qui s'écoute si exagérément –, fait considérer autrui comme une complexité pareille à soi : rien n'est plus dans le « ton » du journal que de parler de « semblables » ; or, le premier constat de l'homme supérieur, du moins du véritable individu, c'est que rien n'est plus éloigné de lui que le Contemporain. Voilà une faute d'appréciation fondamentale : estimer par défaut que ce dernier, par exemple, réfléchit vraiment avant d'agir ou de parler. C'est typiquement une erreur de jeunesse ; pour l'être véritablement haut, le monde humain, objectivement, n'est pas seulement « en-dessous » : il n'est pas comme soi.
Jean de Tinan le découvrit à ses dépens.

***

Le journal intime de Tinan, dans l'édition où Jean-Paul Goujon, préfacier et annotateur, est d'une méticulosité exemplaire, tient moins de deux années dans la vie de son auteur, entre janvier 1894 et octobre 1895, c'est-à-dire entre la vingtième et vingt-et-unième année de celui qui mou
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Las – je sais trop maintenant qu'elle n'est pas celle que j'ai rêvée – il y a des taches de boue partout , j'ai sali, saccagé tout pour m'échapper – maintenant tout est sale et saccagé, et je suis prisonnier comme avant.

J'ai constaté que ma prison était laide - ne valait-il pas mi!eux me la figurer un palais !
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Il est étrange que nous aimions tant la pitié, nous à qui s'appliquerait si bien l'épithète de sans-cœur prise dans un sens de blâme par ceux qui l'emploient - ne nous blâmons pas d'être sans-cœur - en toute sincérité il bat éperdument, seulement il faut bien soigneusement le cacher, pour que l'on ne lui fasse pas de mal - pour que l'on ne se moque pas de lui.
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