«Ma» forme-de-vie ne se rapporte pas à ce que je
suis, mais à comment je suis ce que je suis, autrement
dit: entre un être et ses «qualités», il y a l’abîme de
sa présence, l’expérience singulière que je fais de
lui, à un certain moment, en un certain lieu. Pour le
plus grand malheur de l’Empire, la forme-de-vie qui
anime un corps n’est contenue dans aucun de ses
prédicats – grand, blanc, fou, riche, pauvre, menuisier, arrogant, femme ou français –, mais dans le
comment singulier de sa présence, dans l’irréductible événement de son être-en-situation. Et c’est là
où la prédication s’exerce avec le plus de violence,
dans le domaine puant de la morale, que son échec
est aussi le plus jubilatoire: quand, par exemple,
nous nous trouvons devant un être entièrement
abject mais dont la façon d’être abject nous touche
jusqu’à éteindre en nous toute répulsion et nous
prouve par là que l’abjection elle-même est une
qualité.
A l'heure où « la société » elle-même n'est plus qu'une hypothèse, et pas des plus plausibles, prétendre la défendre contre le fascisme latent de toute communauté est un exercice de style trempé de mauvaise foi. Car qui, aujourd'hui, se réclame encore de « la société » sinon les citoyens de l'Empire, ceux qui font bloc , ou plutôt ceux qui font grappe contre l'évidence de son implosion définitive, contre l'évidence ontologique de la guerre civile ?
Des hommes, c’est-à-dire de leur coexistence, nous
ne pouvons rien dire qui ne nous serve ostensiblement
de tranquillisant. L’impossibilité de rien augurer de
cette implacable liberté nous porte à la désigner selon
un terme non défini, un mot aveugle, par quoi l’on a
coutume de nommer ce à quoi l’on ne comprend rien,
parce que l’on ne veut pas comprendre, comprendre
que le monde nous requiert. Ce vocable est celui de
guerre civile. L’option est tactique; il s’agit de se réapproprier préventivement ce dont nos opérations seront
nécessairement couvertes