Lettre à un révolutionnaire (1909)
Léon Tolstoï.
Réponse à
Chalamov
Depuis les années où
Léon Tolstoï s'attaqua à son chef d'oeuvre
Anna Karénine, il conçut d'adresser des lettres qu'on va dire littéraires par leur construction qui étaient des apostrophes de 10, 15, 20 pages parfois au delà, à des personnalités ou à des corps constitués, publiques donc, parfois comme ici à un contradicteur enflammé, peut-être un peu trop d'ailleurs.
Rédigée en 1909, c'est-à-dire 1 an avant la mort de son auteur célébrissime, quasiment la dernière, après la révolution avortée de 1905 et avant celle à venir, les esprits révolutionnaires bouillonnaient dans tous les sens, rien n'était apaisé, ça grouillait de partout !.. Il y avait désormais le poids nouveau du prolétariat.. Des assassinats avaient lieu, perpétrés contre des dignitaires du régime, commis par des terroristes et partie de ceux-là durent fuir l'Etat impérial et s'exiler en France en particulier, adoptant profil bas sans que cela ne choque les bonnes âmes bien-pensantes ici. Il y avait même une porosité qui mériterait bien un autre texte que celui au présentoir !..
On retrouve par ailleurs dans la bibliographie de l'auteur des publications comme Lettres aux Tsars,
Lettres à sa femme .. mais qui sont des récapitulatifs thématiques de correspondance. Ici chaque année, Tolstoï en publia sous forme d'objurgations encore une fois le plus souvent, et ce jusqu'à celle-ci. Elles étaient rédigées dans l'instant, dans l'urgence, selon le tempérament de feu de l'auteur qui était passé maître dans l'exercice. Ce serait autant de séminaires aujourd'hui, d'interpellations, de chroniques, de poings sur la table, d'admonestations .. l'aisance des communications que l'on connaît n'existait pas ..
Cette lettre ne fut commandée que par le tempérament de Tolstoï, trop de choses le heurtaient et puisque ma foi j'ai lu quelque part que tous ces grands maîtres de la littérature russe bon gré mal gré ont hâté la révolution chez eux, -il me semble que c'est sous réserve
Chalamov -voici la preuve objective que Tolstoï ne mangeait pas de ce pain là. Bien sûr la limite étant qu'il n'avait attendu personne pour sermonner les Tsars en personne récalcitrants ou ne sachant pas trop quel parti prendre, les instances politiques se chargeant de faire le reste, c'est-à-dire la réaction, à part à ce moment-là le grand, le regretté Stolypine (*) qui aurait pu manifestement faire quelque chose de bien pour la Russie mais on ne le laissa pas comme on sait manoeuvrer comme il l'entendait !..
Lettre à un révolutionnaire est une réponse à la lettre de Mikhaïl Vroutsevitch opposé à la théorie de la non-violence. On s'imagine bien que cette lettre s'adressant à Vroutsevitch s'adresse à tous les magouilleurs politiques qui gravitent dans la sphère révolutionnaire russe qui s'exerce bien au delà de l'empire avec des ramifications jusqu'aux Amériques. Comme l'histoire se répète avec une ironie frappante. Aujourd'hui on aurait droit, en France, à un joyeux mélimélo sur le concept de la violence légitime par exemple !..
"Vous dites, premièrement, qu'un égoîsme correctement compris est un bien pour tous, et qu'avec la destruction de l'ordre ancien cette vérité entrera rapidement dans la conscience des hommes. Et dès que cette vérité sera entrée dans la conscience des hommes, ce sera le commencement du bien général. Deuxièmement, vous dites que..(..) Et pourtant ces thèses ne sont rien d'autre que des superstitions fort étranges et dénuées de tout fondement..(..) Chaque parti, sachant à coup sûr ce qui est nécessaire au bien des hommes, dit : il suffit que vous me donniez le pouvoir et j'organiserai le bien-être général. Mais bien que beaucoup de ces partis se soient trouvés ou se trouvent au pouvoir, le bien-être général promis n'est toujours pas organisé, et la situation des travailleurs continue à empirer de la même façon .."
Il convient naturellement de lire ce texte en entier. Il est tout aussi étrange que plus d'une siècle après, nous soyons sur la même pente. C'est absolument remarquable de lucidité et de vision. Il cite même la France en mauvais exemple !.. Malheureusement un an après Tolstoï ne sera plus là pour donner de la voix dans ce concert de peaux de lapin, terroristes, idéologues, démagogues de tout poil, minoritaires, illuminés, confiscateurs de révolution, et tutti quanti ..
(*) Stolypine. je me promets d'écrire sur lui ici