Une casquette de chasse verte, une moustache noire et broussailleuse, une intelligence au dessus de la moyenne, un physique imposant, un anneau pylorique capricieux et un ego qui atteint des sommets : le personnage d'Ignatius Reilly est donné. Il n'y a plus qu'à le suivre au fil des quelque 500 pages de ce roman. Et cela se fait avec beaucoup de plaisir tant l'auteur sait nous tenir en haleine à travers les aventures de ce personnage, toutes plus improbables les unes que les autres !
Mais brossons un peu le décor : Ignatius a trente ans et vit dans un quartier modeste de la Nouvelle-Orléans avec sa mère, veuve et alcoolique notoire. Dans un premier temps, il ne travaille pas, ou du moins s'y refuse, car son intelligence au dessus de la moyenne le conduit à considérer avec dédain la vie que mènent ses contemporains. Il faut dire aussi qu'il est assez enclin à la paresse… Pour occuper son temps, il écrit, seul dans sa chambre dont les draps affichent toujours une propreté douteuse. Il entretient aussi une correspondance pour le moins particulière avec sa petite amie, Myrna, qui pense que tous les problèmes d'Ignatius trouveraient une solution dans une pratique sexuelle plus conséquente. Il fréquente assidûment le cinéma où il manque chaque fois de se faire jeter dehors à force de hurler son mépris tout au long des films. Ce quotidien presque tranquille bascule le jour où sa mère lui demande de chercher un travail, pour solder une dette contractée suite à un accident de voiture : il se retrouvera successivement dans une entreprise au bord de la faillite au côté d'une Miss Trixie sénile qui n'aspire qu'à la retraite, puis vendeur de saucisses ambulant, l'occasion de laisser s'exprimer sa gourmandise sans bornes. Ces emplois forceront Ignatius à se confronter à cette société qu'il déteste, générant à la fois une multitude de situations cocasses mais aussi de nombreuses critiques de celle-ci, formulées à tour de rôle par Ignatius lui-même ou par les nombreux rots libérateurs de son anneau pylorique dont est sans cesse heurtée l'extrême sensibilité, pour ne pas dire délicatesse…
La Conjuration des Imbéciles est donc un roman plein d'humour, mais pas seulement. L'auteur nous livre un portrait aussi réaliste que cynique de la Nouvelle-Orléans avec ses bas-quartiers, son racisme, ses patrons dépassés, ses habitants névrosés qui craignent les communisses plus que tout… C'est encore un roman qui inspire de la tristesse, sans doute liée au décalage d'Ignatius avec le monde, à la révolte qu'il ne parviendra pas à mener (même après avoir enfilé une tenue de pirate pour déambuler dans les rues et pourfendre la bêtise humaine de son sabre de plastique) et qui le conduira aux portes d'un hôpital psychiatrique, où voudra l'enfermer sa propre mère elle-même, pour démarrer au mieux sa nouvelle vie de couple.
Enfin, ce qui est triste aussi, c'est le sort de ce jeune auteur,
John Kennedy Toole. Après avoir essuyé le refus de plusieurs éditeurs à qui il avait présenté le manuscrit de
la Conjuration des Imbéciles, le jeune homme s'est suicidé, persuadé d'être un écrivain raté : il avait alors trente-deux ans. C'était en 1969. Il faudra attendre 1980 avant que le livre ne soit publié, grâce à la persévérance de sa mère.
La Conjuration des Imbéciles obtiendra le prix Pulitzer l'année de sa publication. Quand on referme ce livre, c'est à regret, d'autant qu'il n'y a pas beaucoup d'autres textes à parcourir de cet auteur qui s'annonçait très prometteur…
Élodie Soury-Lavergne
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