Les éditions Cambourakis ont eu la bonne idée de republier un auteur japonais des années de l'immédiat après-guerre,
Haruo Umezaki. Un peu oublié aujourd'hui, cet écrivain de milieu militaire a fondé son oeuvre sur les souvenirs de la guerre, avec Sakurajima,
le cerf-volant fou (également republié en février 2023 par Cambourakis), et le présent Hallucinations.
Le livre est totalement centré sur Gorô, un ancien officier de la marine japonaise, qui s'est échappé de l'hôpital psychiatrique de Tôkyô, où il a probablement passé bien des années, alors que la guerre est achevée depuis vingt ans déjà. Son unique dessein est de retourner au bout de l'île de Kyûshu, sur les traces d'un compagnon de route militaire, Fuku, qui a disparu, emporté par les courants lors d'une simple baignade dans la baie de Sakurajima, près du célèbre volcan en éternelle activité. Dans l'avion, un dénommé Nio lui tient conversation. Il prétend être représentant de commerce, mais Gorô se demande s'il n'est pas là pour l'espionner, voire de la police. Rien ne se passe de plus cependant. Gorô va retourner sur les lieux du drame, se confier du bout des lèvres le temps d'une soirée à une femme qui semble avoir capté d'instinct les failles chez cet homme. Après une légère étreinte et quelques baisers, il chemine à nouveau seul, comme dans un brouillard où l'on devine encore l'effet destructeur des drogues qu'on a dû lui administrer durant des années…Fatigué, au moins autant moralement que physiquement, ses passages dans les auberges sont l'occasion de rencontres, de discussions souvent assez anodines avec ses hôtes, notamment les masseurs et masseuses dont il expérimente la diversité des techniques pour soulager ces maux et son mal-être. On devine qu'il a pu être un grand séducteur, il a notamment connu plus intimement une aubergiste d'ici mais on lui apprend qu'elle est morte, il y a déjà longtemps. Plus détaché et las, il est pris d'une nouvelle lubie après qu'on lui eut livré une lettre de Mitamura, qui apparemment est le chef du service de psychiatrie, bien décidé à le réinterner : faire l'ascension du Mont Aso. Mais les temps ont changé, le bus vous y amène désormais facilement. Il y retrouvera curieusement Nio, ce qui sera l'occasion d'un pari étrange, au bord du cratère. Nio ne serait-il pas un double de Gorô, à nouveau au bord du gouffre, en perte d'identité, en proie à la tentation du suicide ?
A dire vrai, il ne se passe pas grand-chose dans cette quête qui ne peut rien apporter de plus à Gorô. Se sent-il coupable, dans cette nuit funeste où sur le rivage, avec son autre comparse Korogi, il a laissé Fuku disparaître ? Etait-ce un accident d'ailleurs (ils avaient un peu bu), ou Fuku s'est-il volontairement laissé noyer ? Avec sa fin ouverte, ce court roman pourrait décevoir. Finalement, il n'en est rien, ou presque. Outre ce questionnement sur la culpabilité, la folie et les séquelles de la guerre, le temps qui passe, c'est le tour de force d'Umezaki de rendre ces pages agréables à lire, peut-être aidé par le traducteur. On ne s'ennuie pas car le récit est souvent parsemé de dialogues, simples sans être indigents, et d'allers-retours dans le passé de Gorô. le personnage reste énigmatique, et son devenir bien incertain…
Un livre empreint de nostalgie, quand vous revenez des années après de nulle part sur les pas de votre passé et que des êtres, des paysages et des choses connues ont disparu…