Lire du
David Vann, ça a été jusqu'à présent apercevoir des nuées de mouches.
Distinguer du coin de l'oeil des taches noires qui s'agitent à la périphérie du champ de vision. Floues, insaisissables. Une tension croissante, les nerfs qui se crispent, la douleur qui pulse derrière l'oeil comme une mauvaise migraine.
Entendre leur bourdonnement grave résonner tout autour sans en deviner la source, jusque dans nos tripes, retournées comme la peau d'un lapin qu'on dépèce. le malaise proche.
Tous les signes annonciateurs d'une catastrophe, toujours terrible avec lui. Savoir qu'elle frappera, sans savoir quand.
Après
Sukkwan Island, Caribou Island. Terre de
désolations.
Des carcasses de bagnoles laissées à l'abandon et à la rouille. La défonce pour passer le temps tant il n'y a rien à faire. Des touristes venus chercher le véritable esprit de l'Alaska, à pêcher par centaines dans les mauvais coins de rivière, puis repartis sans l'avoir trouvé ou, pire, restés coincés là.
Des habitations éparses, des puits de solitude rongés par la nature sauvage, impropre à l'installation humaine. Un lac aux vagues à engloutir un bateau, des pierres glissantes, des arbres aux branches comme des griffes. Peu de poissons, pas de caribou, mais tout le monde semble avoir une histoire où iel a croisé un ours d'un peu trop près. Un glacier qui souffle un vent froid, une pluie cinglante. L'hiver précoce, dur et impitoyable.
Des couples qui battent de l'aile, des bassesses, des désillusions. Des obsessions, des non-dits et des rancunes.
Du poison qui sourd des lèvres et du coeur.
Si la relation malaisante mais fascinante d'Irene et Gary fait vibrer l'air de nuées de mouches, les autres points de vue s'avèrent plus faibles. Car si l'auteur sait toujours toucher là où ça fait mal, révèle de sombres vérités qu'on préfèrerait savoir restées enfouies, ça tourne en rond rapidement pour ne déboucher sur pas grand chose, si bien qu'on finit par s'agacer. Les mouches sont devenues de simples moustiques qu'on chasse d'une main en se pressant de changer de lieu.
Le final, terrible comme une tragédie, est lui à la hauteur des attentes.
Mais j'aurais préféré qu'il soit en fait le milieu du roman, après avoir raccourci les parties sur les autres, pour ensuite mieux en développer les conséquences sur les autres personnages. On aurait alors peut-être eu un roman magistral.