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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Irène et Gary ont vécu trente ans au bord d'un lac en Alaska. Gary voulait la nature et les grands espaces. Irène a suivi par amour. Ils ont élevés leurs deux enfants. Mais voilà, ils sont l'âge de la retraite tous les deux, enfin surtout Irène qui a travaillé comme institutrice, faisant bouillir la marmite de la famille. Gary lui, a toujours été un rêveur, l'homme aux mille projets qui n'aboutissent jamais, l'homme qui se réveille le matin en se demandant comment il va meubler les heures, survivre à la journée, survivre à la nuit.



Il a un dernier projet, une dernière folie : construire une cabane de trappeur sur une île où il a acheté un terrain. le rêve de l'Alaska, vivre isolé, ne dépendre que de soi-même. le lac gelé l'hiver est impraticable. La nature sauvage a quelque chose d'attirant et qui paraît facile. Elle peut vite devenir glaciale et impitoyable.



Irène le suit et l'aide par amour et surtout pour ne pas le perdre. Car si Gary a toujours eu des projets, il ne peut rien faire seul. Pourtant leur mariage est une île de solitude où la communication est faite de mesquineries, de pressions, de culpabilité.



Rhoda, leur fille, leur opposé est partie vivre à la ville. Contrairement à ses parents, elle aime le confort, la modernité. Elle court après un idéal de vie en regardant le face à face de ses parents avec inquiétude. L'hiver arrive, Irène et Gary campent sur leur île en essayant de construire leur masure.


L'écriture de l'auteur est addictive et ressemble à une bombe à retardement mais on ne sait jamais à quel moment tout va exploser. Il expose ses magnifiques grands espaces, décrit une nature magnifique tout en démontrant que l'homme doit être solide et sans failles pour pouvoir y vivre. Magnifique roman.
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L'Alaska est une terre des confins, là où les hommes s'échouent ou se relancent. Pour Gary, c'est la terre des échecs. Son mariage avec Irene est en péril, mais jamais le courage ne lui est suffisant pour partir. Son envie d'ailleurs s'incarne dans un rêve vieux de trente ans : une cabane, celle qui aurait dû construire depuis des années. « L'idée était de bâtir une cabane à l'ancienne. Sans assise en ciment, sans permis de construire. La cabane devenue simple reflet d'un homme, à l'image de son propre esprit. » (p. 73) C'est avec des rondins inégaux qu'il décide de bâtir son rêve sur Caribou Island, une île au milieu du Skilak. Il espère apaiser les regrets de toute une vie et surtout oublier l'échec de son couple. « Un réconfort élémentaire, eux deux, le besoin qu'ils avaient l'un de l'autre. Pourquoi n'était-ce pas suffisant ? » (p. 56) Irene ne croit pas à cette folie de bâtisseur. Motivée par une culpabilité mêlée de reproche, et bien que terrassée par d'incessantes et inexplicables migraines, elle choisit d'aider son époux dans son entreprise.
Le couple monte un bivouac sur l'île et s'emploie à construire la cabane, se coupant peu à peu du reste du monde. « Presque un chariot de pionniers d'un nouveau genre, en route vers une nouvelle terre et la création d'un nouveau foyer. » (p. 17) Mais l'hiver est précoce et avec lui se précipitent les doutes froids et les haines pétrifiées. « Quand le lac commencerait à geler, il y aurait une longue période où aucun bateau ne pourrait effectuer la traversée, et la glace ne serait pas assez solide pour leur permettre de traverser à pied. Ils seraient isolés, sans aucun moyen de communication en cas de problème. » (p. 241) La cabane ne sera finalement qu'une tour de Babel : Gary échoue à renouer avec lui-même et tout n'est qu'inachèvement et incapacité. La fin de cette épopée nordique est dramatique, forcément, et éternellement figée dans des neiges mauvaises.
Pendant ce temps Rhoda, la fille de Gary et Irene, court à perdre haleine après un idéal de vie de couple et de mariage. Mais son compagnon Jim, de dix ans son aîné, prend conscience que sa vie ne peut pas se limiter à une seule femme. Son accomplissement passera par la possession et l'expression d'une sexualité sans complexe. Et Rhoda s'engage dans une voie qui pourrait être sans issue, sinon fatale.
L'intertextualité à l'oeuvre dans ce texte est magique. Elle ressuscite les légendes et les épopées scandinaves tout en convoquant les accords parfaits de chansons inoubliables, qu'il s'agisse de «'Suzanne' de Leonard Cohen ou des harmonies des Beatles.
Les éditions Gallmeister publient des oeuvres qui s'inscrivent dans le courant du Nature Writing. Désolations est une magnifique expression de ce courant littéraire. Ici l'Alaska se livre entre immensités glaciales et territoires hostiles. Chacun des personnages part en quête d'une terre meilleure. Mais l'Alaska n'est pas l'El Dorado. Alors se pose une lourde question : peut-on vivre de rêves en Alaska ? La fin de l'été marque le crépuscule de certaines choses et l'on ne sait si ce qui suivra sera une hibernation avant un beau réveil ou une mort sans retour.
Je n'ai pas lu le premier roman de David Vann, Sukkwan Island, prix Médicis en 2010. Pour autant, impossible de passer à côté de tout ce qu'on en a dit. D'aucuns se demandent si le second roman sera à la hauteur du premier. Après lecture du magistral Désolations, je me demande plutôt de quel chef-d'oeuvre je me suis privée en ne lisant pas Sukkwan Island. David Vann a un talent certain pour dépeindre les tourments des âmes livrées aux éléments. L'Alaska ne semble plus si hostile quand on a jeté un regard dans le coeur de Gary ou d'Irene. À se demander comment une telle terre n'a pas pu apaiser tant de haines et de rancoeurs réciproques. Mais la réponse n'est pas là et il n'est pas certain qu'elle existe. Désolations n'est pas une oeuvre à clés : c'est une vue d'hiver à travers une vitre froide. de l'autre côté s'accomplissent des choses grandioses et auxquelles rien ne s'oppose.
J'ai lu ce roman presque d'une traite. La plume de David Vann est hypnotique et elle trace dans les consciences des voies insoupçonnées, qu'on ne peut qu'emprunter au risque de s'y perdre.
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Après une cabane sur Sukkwan Island, David Vann m'envoie maintenant vers une autre cabane sur Caribou Island. Encore une histoire de cabane, me direz-vous ? Tout à fait, car pour un homme, un vrai mâle, l'instinct de la cabane est plus fort que tout. L'homme, le vrai, ne rêve que de vivre dans une cabane proche de la nature, une cabane qu'il a façonné de ses propres mains, coupé son bois, enfoncé des clous et tant pis s'il n'a pas prévu de toilettes !

Caribou Island est une île déserte face aux vents, face au lac, une île presque perdue au milieu d'une nature pas franchement hospitalière. En face de cette île, l'histoire de Gary et Irène se perd dans un amour qui a toujours été à sens unique, malgré la présence de 2 enfants. le fils marin pécheur, fuit tous les liens familiaux et marques d'affection. La fille, elle, rêve d'un amour pur et sincère pour ne pas répéter l'histoire de ses parents. « Désolations », c'est donc l'histoire de plusieurs couples qui vivent dans cet univers de neige et de glace. Et aux travers de ces couples, je perçois toute la solitude que chacun porte en lui. « Désolations » est un grand moment de solitude dans un paysage certes magnifique mais propice à la dramaturgie intense.

Si le choc de Sukkwan Island est brutal, celui-ci se fourvoie insidieusement dans le banal et le quotidien. Mais il n'en est pas moins fort. Bien au contraire. D'une intensité progressive, le drame devient presque inévitable. Dès les premières pages, l'auteur nous y prépare, nous ménage, en distille quelques éléments de-ci de-là. Tout aussi cruel, voir presque plus, l'Alaska m'apparait comme une terre hostile, pas faite pour l'homme. L'isolement contraint les hommes au désespoir. Si la fuite ne sert souvent pas à grand-chose dans une vie, la fuite en Alaska a des conséquences beaucoup plus dramatiques. Mieux vaut avoir l'esprit saint pour vivre en Alaska, pour survivre sur ces îles sauvages et naturelles, qu'elles se nomment Sukkwan Island ou Caribou Island.
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Pourquoi n'a-t-il jamais eu d'amis, depuis qu'il vit avec Irène en Alaska ? se demande Gary. Est-ce dû à la timidité et à la discrétion de cette dernière, ou à la rudesse de la vie d'ici ?
C'est pour trouver les réponses à ces questions existentielles que Gary décide de tout quitter pour construire une cabane en rondins, sur Caribou Island, un îlot isolé en plein milieu de Skilak Lake, un lac glaciaire à la belle couleur de jade sur les rives duquel, eux et leur fils Mark sont les seuls habitants à des kilomètres à la ronde.
Gary a toujours rêvé de cette cabane, une cabane construite de ses mains avec trois fois rien, et à présent, rien ne l'arrêtera ! Cette vie de pionnier et d'aventurier, il veut la connaître avant de vieillir...et de mourir.
Mais ce projet comme tant d'autres auparavant se heurte à la dure réalité de ces contrées sauvages. L'hiver plus précoce que jamais fait son apparition alors que la cabane est loin d'être terminée.
Irène qui a pris froid, est prise de migraines insoutenables et ne dort plus. Persuadée que son mari veut en fait l'éloigner et la quitter, elle ne cesse de déprimer et de voir tout en noir, y compris les différentes périodes passées de sa vie de femme et de mère.
Au fur et à mesure que la cabane prend forme, le couple se déchire et leurs relations sombrent dans l'incompréhension, la méchanceté, la hargne...
Bientôt le lac sera impraticable et il faudra attendre qu'il soit totalement gelé pour que le couple puisse à nouveau regagner la terre ferme.
Rhoda, et Mark leurs enfants, sentent bien que rien ne va plus pour leurs parents, mais ils ont leur propre problème de vie à régler...Rhoda parce qu'elle rêve de se marier avec Jim qu'elle aime sincèrement mais qui lui, passe par une autre phase de sa vie où il cherche plutôt à vivre des aventures sans lendemain, qu'à se fixer, et Mark, parce que lui ne veut surtout rien savoir.
C'est alors que pour Irène, resurgissent les terribles souvenirs de son enfance, lorsque toute petite, elle a retrouvé sa mère, pendue...l'abandonnant pour toujours...

Au milieu des étendues sauvages de l'Alaska, des paysages époustouflants de beauté, David Vann nous livre encore un roman poignant sur l'amour, les rêves et surtout la solitude.

Il explore les faiblesses des hommes, la dureté et la sincérité de leurs pensées les plus intimes, celles qui sont enfouies parfois depuis l'enfance et que l'on n'ose pas seulement formuler...
Le lecteur s'enlise dans la psychologie de ses personnages.
Un roman très dur et très réaliste mais bouleversant qu'on ne peut lâcher tant le lecteur est pris par l'histoire et pressent l'arrivée du drame, inéluctable et libérateur.

Un grand auteur à connaître, absolument.




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Comme d'habitude David Vann nous propose une balade printanière - légère et fleurie - sur une île paradisiaque qui respire la joie de vivre… ♫♪ Quand te reverrais-je, pays merveilleux ? ♫
Maaaaaais noOoon je rigole ! Amateurs de petits lapins, fleurs bleues et autres mignonneries, passez votre chemin car ici, le titre n'est pas menteur. Oui, il fallait bien (à minima) mettre le mot Désolations au pluriel pour donner un aperçu de ce qui s'ensuit.
Et ce qui s'ensuit, mama mia, c'est du lourd ! Après avoir réglé d'une certaine manière ses comptes avec son père (Sukkwan Island), virtuellement tué sa mère (Impurs), David Vann nous apprend cette fois comment construire un échec, rondin après rondin, sans se presser, en 25 ou 30 ans, tranquille peinard à son rythme. Ben ouais quoi, après tout pourquoi se mettre la pression ? Inutile de précipiter la chute. Construire une cabane pour déconstruire sa vie. Un concept sympa non ? Lancez-vous, vous verrez, l'essayer c'est l'adopter.
Commençons par le décor, on se l'imagine blanc, gris, boueux, neigeux et froid, tout pour plaire déjà. Ça se passe en Alaska près d'un lac glaciaire. On y trouve un îlot qui porte le nom rigolo de Caribou Island. Mais stop, je vous arrête tout de suite, c'est juste le nom qui est rigolo, n'allez pas vous imaginer des trucs surtout. On est à des années lumière de tous les clichés et de la carte postale typique style “Greetings from alaska”. Il s'agit bien d'un trou perdu au milieu d'une nature infinie, certe belle, mais sans pitié. Plus que sans pitié d'ailleurs, il faudrait dire sans état d'âme, c'est plus juste. Parce que la nature s'en fiche en réalité, elle est totalement indifférente aux petites histoires ou aux grands drames humains, c'est nous - et notre incorrigible anthropocentrisme - qui avons la fâcheuse habitude de vouloir appliquer des sentiments humains à un peu près tout autour de nous, les animaux, les paysages, les éléments etc. Bref, ce n'est pas comme ça que ça marche. Et dans ce petit bout d'Alaska en particulier, la nature, c'est juste une galère de plus. Une désolation de plus. Une déception de plus aussi pour certains des personnages car justement leur rêve de “vie sauvage” en harmonie avec la nature vient se casser les dents sur la réalité dans toute la splendeur de sa nudité. Je pense à Gary notamment qui s'installe sur ce territoire vierge pour essayer de se trouver, pour démarrer une nouvelle vie et enfin réussir quelque chose. Bon évidemment c'est raté. Je ne dis pas ça pour faire du spoil, de toutes manières avec David Vann à quoi s'attendre d'autre ?
Au fil des pages, nous faisons la connaissance de Gary et Irène, de leurs enfants aussi, leur fille Rhoda notamment avec son compagnon Jim (le Jim de Sukkwan Island) et c'est l'occasion pour l'auteur de dresser une belle galerie de portraits : looser de père en fils et de mère en fille. Chacun porte sa croix, chacun se prend ses murs dans la face, chacun doit en finir avec ses illusions à un moment ou à un autre et se poser la question cruciale, le fameux “et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?”. Et c'est là que ça commence à sévèrement mal tourner car au final il n'y a pas tant de solutions que ça, et aucune de vraiment réjouissante.
Je ne vais pas trop en dire mais sachez que Désolations est une jolie petite bombe à retardement peuplée d'antihéros aux existences ratées et aux rêves brisés et sachez également qu'à aucun moment n'apparaît la petite fée avec sa baguette magique qui change la vie en rose (vous l'aurez compris, le happy end c'est pas ici que ça se passe). C'est noir, pessimiste, magnifique et désolant à la fois, et c'est là tout le talent de cet auteur que j'adore... On n'échappe pas aux romans de David Vann.
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Lorsqu'on lit un second livre d'un auteur après un coup de coeur, on espère y retrouver ce qu'on a tant aimé la première fois, non ? de Sukkwan Island, vous reconnaîtrez les dialogues sans guillemets, le "nature-writing" - avec île isolée, climat hostile, bricolage - la finesse d'analyse des personnages, la tension croissante, et, comme le titre et la couverture le laissent présager, une atmosphère sombre, violente. le noir s'affiche, percutant, dès les premières lignes et le pessimisme s'exprime ensuite via des portraits de couples en crise latente ou semi-ouverte, des cruautés qu'on reçoit comme des gifles.

David Vann nous immerge ainsi dans les désillusions, l'usure et les bassesses conjugales (choix du partenaire par dépit, par défaut, par confort, adultère, rancoeurs, mesquineries), jusqu'à l'étouffement. Il est également question du vieillissement, des regrets personnels sur la vie passée, a fortiori lorsque les envies et rêves des deux partenaires divergent, ce hiatus pouvant s'accroître avec la retraite lorsque l'activité professionnelle n'offre plus d'échappatoire.

Bref, ce n'est pas rose, loin s'en faut, c'est même de plus en plus terrible au fil du récit, l'auteur est égal à lui-même. C'est toujours aussi bien écrit, aussi subtilement observé, décrit, analysé, aussi intense et dur. J'aurais volontiers sabré les passages sur la pêche et la construction de la cabane, mais cela a (forcément !) accru mon empathie pour Irene.

La plume et le propos de cet ouvrage, l'habileté à décortiquer le couple et la famille, me font beaucoup penser à la sensibilité d'Alison Lurie et à l'acuité d'analyse de Kate O'Riordan.
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« On peut choisir ceux avec qui l'on va passer sa vie, mais on ne peut pas choisir ce qu'ils deviendront »

Et si on se construisait une cabane sur l'île de Caribou Island ?

On y verrait des terres sauvages à perte de vue, aucune âme humaine à des kilomètres à la ronde, après une longue descente en canoë dans les eaux troubles de l'Alaska. On affronterait chaque jour des rafales glaciales de vent et de poudreuse, des sentiers à baliser dont les tempêtes de neige auraient effacé les traces de la veille. le temps que les travaux de la cabane se terminent… se ter-mi-nent…….

Gary en avait rêvé de ce projet. Il s'était mis en tête de construire cette cabane à partir de rien. Elle serait son refuge, comme un reflet de l'homme, qui fait écho à une image de soi déformée à travers le prisme d'une nature désemparée. Elle serait sa tanière, son obsession, comme un grand mensonge sur lequel on s'appuie pour éviter de regarder en face ce monde qui nous échappe. Pour faire semblant que les choses vont beaucoup mieux ailleurs que chez soi…

Alors, tu viens avec moi sur Caribou Island ? Bon, ce ne sera peut-être pas si idyllique qu'on l'avait imaginé. Mais on sera ensemble et puis, qu'est-ce qu'on à perdre pour tenter de sauver notre couple déjà en péril?

« Ce qu'elle voulait, c'était qu'il s'allonge à ses côtés. Tous les deux sur la plage. Ils abandonneraient, lâcheraient la corde, laisseraient dériver le bateau au loin, oublieraient la cabane, oublieraient tout ce qui avait cloché au fil des ans, rentreraient chez eux, se réchaufferaient et recommenceraient de zéro. »

La cinquantaine avancée, Gary n'avait jamais su prendre soin de personne d'autre que de lui-même. Une vie entière à fuir et rêver, à se dire que sa vie aurait pu être autrement, ailleurs. Que des remises en questions et des regrets, des apitoiements, une quête constante de distractions pour meubler les heures. Mais l'égoïsme est-il un motif suffisant pour foutre en l'air la vie de ceux qui nous sont proches ? Pire encore, comment t'as fait Gary pour ne pas voir à quel point Irène était devenue amère, broyait du noir? Qu'elle ingurgitait du Tramadol pour soulager ses migraines comme on bouffe des Smarties? Tu ne voyais donc pas que chaque rondin qu'elle transportait chaque jour était aussi lourd sur ses épaules que le poids des années qui ravage à force de lutter? Tu étais bien trop obnubilé par ton projet de foutue cabane! Mais attends Gary, la vengeance est douce au coeur de l'indien…

David Vann a un don, celui de nous entraîner si habilement dans l'atmosphère suffocante de ses histoires qu'on en ressort le souffle court. C'est oppressant, c'est noir, c'est même à la rigueur insupportable par moments, mais il nous le rend avec une telle intelligence de coeur et de sentiments qu'il nous fait presqu'oublier jusqu'où les limites de l'âme humaine sont capables d'aller quand elles se trouvent en rupture avec la réalité. Aussi, je pense que l'oppression qu'on ressent en abordant ses romans - et qui en font sa force aussi - nous vient, au-delà de l'atmosphère dérangeante, de ses personnages plus vrais que nature qu'on ne voudrait pas imaginer aussi « malsains » - pour certains - et qui pourtant ne reflètent qu'une société en mal de vivre, avec ses individus en marge. L'auteur a lui-même eu à affronter de près, étant très jeune, le suicide de bon nombre de membres de sa famille, défi qui le rend forcément aujourd'hui sensible aux revers de la santé mentale.

Dans Désolations, tout comme dans Sukkwan Island, on retrouve des histoires de relations familiales dysfonctionnelles. Des histoires aussi de personnages asociaux, d'isolement, de solitude, de vide, de mal de vivre, de coups puissants et impardonnables. Et plus particulièrement dans celui-ci, de relations de couple et fraternelles conflictuelles, de tricheries, de rancoeurs, de méchancetés, de chantage et de coups bas. Une panoplie de sentiments aigres, que je vous conseille de lire en des temps joyeux…

Un immense coup de coeur !

« le froid s'insinua entre ses vêtements malgré son allure rapide, alors il se mit à courir à petites foulées, ses bottes émettant un bruit sourd. Unique âme solitaire sur cette route, les étoiles et l'absence de lune. L'Alaska, une immensité imperturbable qui s'étendait sur des milliers de kilomètres dans toutes les directions. »
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Un roman coup de poing, un vrai uppercut dans la mâchoire. Ce livre c'est un match de boxe.

Entrez dans le livre et vous entrerez dans un ring. Les premières pages seront de longues minutes de contournement du problème, d'observation, d'évitement, de mise en place du combat. Jusqu'ici tout va bien. Les personnages vous mettent dans l'ambiance, les paysages saisissants de l'Alaska vous font verser votre première goutte de sueur, la tension est maximale mais tout est encore calme. Gary commence son obsession de construire une cabane sur une île déserte. Irène encaisse et tente de suivre. Vous, lecteur, vous commencez à sentir votre pouls s'accélérer par cette longue attente avant les coups, par ce calme stressant et tendu comme un arc justement.

Et puis comme dans tous les David Vann, une fois que la tension est à son paroxysme, les coups commencent à pleuvoir. Vous voilà envoyés dans les cordes à encaisser les coups qui vous essoufflent et vous pèsent. Une droite, une gauche, les phrases vous envoient au tapis. C'est la fin du roman, vous êtes KO, écoeuré, dégoûté, les tripes sur le tapis. L'arbitre siffle la fin du match. Ça fait mal mais vous y reviendrez sur ce ring David Vann !!
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Wow... Je ne m'attendais pas à autant de profondeur dans ce bouquin, et ça faisait longtemps que je n'avais pas eu une aussi belle surprise avec un bouquin.
Depuis un moment, les romans de la collection Gallmeister me faisaient envie tant les nouvelles couvertures sont magnifiques, et j'étais curieux de découvrir les grands noms du nature writing américain. J'ai choisi ce titre de David Vann au hasard. Grand bien m'en a pris !
Je pensais trouver surtout de la description de la nature, et en profiter pour m'évader vers les grands espaces de l'Alaska. Bien sûr, il y a de ça. Sans jamais magnifier les lieux tant les descriptions abordent aussi les lieux urbains, bien moins magiques que l'immense nature qui les entoure.
Mais ce qu'il y a dans ce bouquin, surtout, c'est un puissant réalisme dans la description des personnages. Ces couples dont on se demande ce qui les soude, à l'aube de leur relation ou après trente ans de vie commune. Ces individus dont on se demande ce qui fait le sel de leur vie, ce qui définit leur bonheur, les pousse à avancer chaque jour. Quatre couples, huit personnages principaux et secondaires. Autant de formes de désolations illustrées, qui interrogent le lecteur sur son propre cas.
Livre dévoré en une journée, "malgré" les nombreuses fois où je l'ai reposé pour prendre le temps de réfléchir aux propos véhiculés et savourer la justesse des plus beaux passages.
Un gros coup de coeur !
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Voilà je referme Désolations et comme avec Sukkwan Island, le précédent roman de David Vann, il perdure comme un flottement, un temps où il faut s'arrimer à nouveau à notre réalité. Une nouvelle fois sous le choc des mots, de l'atmosphère particulière qui émane des grands livres, j'aspire l'air et le silence qui suivent les bouleversements.

J'y ai retrouvé les mêmes interrogations, les mêmes attentes, les mêmes souffrances que dans Sukkwan Island. Cette désespérance inéluctable qui crée un vide que rien ne vient combler. Certes, on peut dire que l'écriture est un formidable exutoire pour beaucoup d'écrivains, qu'elle permet une certaine libération de soi mais cela ne donne qu'un aperçu de la maîtrise avec laquelle David Vann livre ses mots. C'est tout à tour dérangeant et incroyablement additif, âpre et réjouissant. Parce qu'au-delà de l'histoire de Gary et Irène, de ce besoin de se couper du monde et des autres, dans cette volonté d'aller au bout d'un projet, — il y est question de la construction d'une cabane en bois pour y vivre sur une île inhabitée —, j'entends d'autres désolations qui vibrent fort, à l'image de cet état américain rude et intransigeant qu'est l'Alaska. — Les descriptions de la nature y sont fortes, omniprésentes et la solitude qui en émane y est même étrangement palpable. Sans jugement, sans misérabilisme, l'auteur lâche certaines vérités, de celles que l'on ne s'avoue que rarement à soi-même. Sur le fil de la souffrance intime, de l'auto apitoiement et même dans l'égoïsme, les personnages vivent à côté d'eux-mêmes. Tout à coup l'Alaska m'a semblé une région moins farouche que je ne l'imagine habituellement. La désolation dans laquelle flotte les protagonistes fait écho aux métropoles anonymes où il est difficile de trouver sa place. C'est comme une quête de soi impossible à vivre, reflet de nos solitudes intérieures. Même la notion de mariage qui revient avec régularité dans cette histoire sous le regard de Rhoda avec cette espérance enfantine des grands rêves, n'est que l'écho d'une forme de séparation, voire une mascarade amère. « le mariage n'était qu'une autre forme de solitude » constate Gary.
Sans cesse à la lisière de la folie, des pensées assassines qui hantent ceux qui souffrent d'un manque, Désolations est un grand roman noir à l'empreinte persistante.
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