Après
Ballades d'amour du North End, la publication de son premier recueil de poésie particulièrement remarqué Outre-Atlantique, la canadienne
Katherena Vermette rejoint la prestigieuse collection Terres d'Amérique chez Albin Michel avec la traduction de son premier roman :
Les femmes du North End (The Break, 2016).
D'ascendance Métis, l'un des principaux peuples autochtones canadiens, l'autrice nous parle à la fois de la condition féminine mais aussi de la lutte permanente des peuples autochtones tiraillés entre leurs racines et une société moderne violente et cruelle.
Récits de femmes
Le roman s'ouvre par un arbre généalogique, comme un avertissement au lecteur : l'ouvrage que vous tenez entre les mains est l'histoire d'une famille, celle des Charles.
Katherena Vermette appuie pourtant son récit sur un drame terrible, le viol d'une gamine de 13 ans, Emilie, retrouvée dans une mare de sang au levée du lit. de ce fait tragique et insoutenable, l'autrice va brosser le tableau de plusieurs générations et, surtout, celui des femmes de cette famille brisée mais pas foutue.
Louisa, Paul, Stella, Emily ou encore Flora, leur Kookom (la grand-mère en langue Cree), le récit en devient presque choral, retraçant non seulement le vécu de ce drame mais tirant aussi patiemment les souvenirs des unes et des autres pour reconstituer une histoire plus vaste et plus complexe qui, derrière l'aspect intime, révèle tout du sentiment autochtone et féminin dans le Canada actuel. Si l'aspect enquête-policière n'est qu'un prétexte, le mystère du déroulé de cette agression tiendra lui aussi en haleine le lecteur : pourquoi a-t-on vraiment agressé Emily et, surtout, qui l'a vraiment fait ? Ne croyez cependant pas que
Les femmes du North End est un simple jeu de pistes, c'est même tout le contraire. La révélation sur l'identité de l'agresseur participe d'une entreprise plus forte et audacieuse : celle de retracer et d'expliquer la violence dans cette communauté et d'en expliquer les répercussions sur plusieurs générations de femmes.
Il faudra pourtant bien s'accrocher pourtant et retenir l'arbre généalogique familial pour arriver à imbriquer correctement les différentes pièces du puzzle entre elles.
C'est là certainement le plus gros défaut, mais qui semble inévitable, du roman de
Katherena Vermette : le nombre des personnages et leurs liens multiples et complexes.
Car aux femmes suscitées s'ajoutent d'autres protagonistes : de Phoenix, l'adolescente délinquante en fuite, à Tommy, le jeune flic Métis victime du racisme ordinaire de son co-équipier blanc, en passant par Ziggy, la meilleure amie d'Emilie.
Les femmes du North End n'est pas un récit instinctif et facile, mais l'immersion totale qu'il demande a une raison : celle de l'émotion et de l'authentique.
A History of violence
Construit littéralement sur les portraits de femmes que l'on y croise, le roman de
Katherena Vermette est d'une densité étonnante. Il nous parle avec une justesse incroyable des douleurs du passé, de ces actes de violences qui ont forgés cette famille et ces personnages dont les blessures semblent saigner à chaque page. En évitant les clichés, la canadienne raconte l'indicible et mesure les conséquences d'actes terribles, du viol au passage à tabac, de la mort dans la neige à l'addiction aux drogues et à l'alcool. Au sein de cette histoire, les hommes sont violents ou instables, ils partent et ne reviennent pas ou, au contraire, restent et détruisent à petit feu. Et lorsqu'un homme bien surgit, la confiance est d'une extrême difficulté, car le mal est fait.
Mais au lieu d'en faire un livre à charge, un récit aveugle sur les racines du mal qui condamne sans nuance ou réflexion,
Katherena Vermette trouve quelque chose de totalement inattendu : la beauté. Car
Les femmes du North End, malgré toute l'horreur et les tragédies qu'il renferme, regorge aussi d'instants de beauté, il dit la sororité et l'apaisement de l'âge, il dit la compréhension et le pardon, il explique et tente de comprendre avant de condamner. Même le plus odieux personnage a ses raisons, même la violence la plus terrible trouve son origine dans un abandon et une foule de familles d'accueils. Derrière ces multiples portraits se cachent aussi la mélancolie d'un peuple et sa difficulté à choisir entre tradition et modernité.
Katherena Vermette nous fait suivre des femmes Métis dans une urbanité canadienne qui semblent en décalage avec leurs racines autochtones. Et pourtant, il en reste toujours quelque chose, comme un besoin intraduisible ou un fantôme qui s'attarde. L'histoire des femmes du North End ne serait pas complète sans celles qui sont passés de l'autre côté et qui, elles aussi, se souviennent. Alors
Katherena Vermette leur donne aussi une voix, sublime et fugace, pour boucler la boucle et comprendre la grâce qui habite ses héroïnes. Tout s'arrangera, à la fin, tout ce qui importe se résume à ce que nous laissons.
Roman complexe mais poignant,
Les femmes du North End explose son cadre policier pour investir le champ de l'intime.
Katherena Vermette esquisse une fresque générationnelle où la violence ronge les femmes comme les hommes, elle tente de comprendre et de dire les secrets des uns et des autres, trouvant une beauté inattendue au-delà des blessures les plus profondes, offrant une sororité qui sauve et apaise malgré les épreuves, comme un baume réparateur pour le coeur et l'esprit.
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