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EAN : 9782918767916
192 pages
Asphalte (29/08/2019)
3.25/5   8 notes
Résumé :
Fin 1992, en bordure du Mississippi. Jeune photographe français, Adrien fait le taxi dans le Wisconsin et documente son périple américain : portraits de clients, paysages fluviaux. Repéré pour un de ces clichés, il est embauché par un centre photographique de prestige, dans le Maine. C’est là qu’il fait deux rencontres fondamentales : Gloria, la responsable de la galerie, qui détourne des tirages de grande valeur, et Travis, avec qui il se livre à des trafics de pet... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
«L'Amérique, je veux l'avoir et je l'aurai»

Le premier roman de Sébastien Verne a tout du roman d'apprentissage. Il retrace le parcours d'Adrien, un Français exilé aux États-Unis avec un appareil photo en bandoulière. Il va tutoyer son rêve avant de prendre la fuite et basculer vers le polar…

Les photographes et la photographie semblent particulièrement inspirer les romanciers. Après Une femme en contre-jour de Gaëlle Josse et La femme révélée de Gaëlle Nohant, voici le parcours d'Adrien, jeune photographe français qui s'est exilé aux États-Unis. On le retrouve à La Crosse, petite cité du Wisconsin qui borde le Mississipi au moment où débute le roman.
Il vient d'obtenir le droit de conduire un taxi et peut ainsi mêler l'utile à l'agréable, en réalisant des clichés de la région mais surtout de ses habitants et notamment de certains de ses clients. Celui qui l'intrigue le plus est un homme qui lui commande une bouteille de brandy qu'il doit lui livrer tous les matins et empoche pour cela cinquante dollars. Sans le connaître, il aimerait le prendre en photo. Mais ses demandes restent vaines jusqu'au jour où le silence l'accueille. S'enhardissant, il pénètre dans la maison et découvre une femme morte «encadrée d'animaux empaillés qui semblent lui survivre». Plutôt que d'appeler les urgences, il récupère son matériel et réalise une séance photo, m'hésitant à mettre le cadavre en scène. Ce sera son dernier rendez-vous, car son patron le vire illico.
«Du coup, Adrien a du temps à tuer. En fouillant à la bibliothèque, il trouve une quantité phénoménale d'articles. La vieille femme au brandy, c'est «madame Dahmer, mère de Jeffrey Dahmer, condamné pour multiples assassinats, tueur en série». Son fils a défrayé la chronique, il a marqué l'Amérique au fer blanc. On l'a appelé «le cannibale de Milwaukee» en 1991.»
Adrien n'aura pas chômé longtemps. Il est embauché comme technicien de laboratoire à Rockport, dans le Maine. Un travail à mi-temps qui va tout à la fois lui permettre de se perfectionner et de côtoyer photographes de renom et élèves du Rockport Photo Center où il ne tarde pas à faire son trou. Parce qu'il a aussi trouvé là deux personnes qui ont trouvé le moyen de mettre du beurre dans leurs épinards. Gloria, responsable de la galerie photo, s'occupe entre autres des tirages photo et n'hésite pas à se constituer une petite réserve personnelle. Travis pour sa part gère les commandes pour le laboratoire et complète ses revenus en organisant du trafic de matériel. Tout se passe bien jusqu'au jour où les soupçons se précisent et où la fuite semble le moyen le plus sûr d'échapper à la police. le road-trip qui s'impose alors nous conduit à travers le Maine vers le Canada…
Pour un premier roman Sébastien Verne combine parfaitement les codes du roman d'apprentissage et celui du roman «américain», y ajoutant même une touche de polar bienvenue. Dans les pas de ce trio improbable, dont il serait dommage, de dévoiler ici le destin, on se laisse emporter. Comme dirait Barbara,
Si la photo est bonne
Juste en deuxième colonne
Y a le voyou du jour
Qui a une petite gueule d'amour

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Dans le Wisconsin en 1992 : Adrien, un jeune français, passionné de photographie, travaille comme taxi dans la petite ville de la Crosse. Son objectif est clair, travailler le plus possible pour gagner l'argent nécessaire pour aller dans le Maine et s'adonner à sa passion. Quelques mois plus tard, la chance lui sourit, une de ses photos a été repéré par le Photo Center de Rockport, Maine, où on lui propose un job de technicien à mi-temps.
Arrivé à Rockport, Adrien se lie avec Gloria, la responsable du centre et Travis, le technicien avec lequel il travaille en binôme. Très vite, ils deviennent inséparables et se lancent dans des petits trafics peu recommandables pour arrondir leurs fins de mois. En parallèle, ils ont l'occasion de rencontrer des pointures de la photographie, qui ne sont pas avares de conseils. Et puis, tout s'emballe, Travis décide de cambrioler les réserves du centre, les deux hommes s'enfuient en voiture puis Travis abandonne Adrien dans une station-service. Heureusement que Gloria vient pour le sauver de la police et qu'elle l'emmène au Québec tout proche pour qu'il regagne la France.
Vingt ans, plus tard, alors que Adrien est devenu professeur de français auprès de migrants, il reçoit une invitation de Gloria à un hommage organisé en l'honneur de Travis, photographe professionnel mort en reportage en Somalie. L'occasion lui est donnée de retraverser l'Atlantique et de retrouver les lieux de sa jeunesse.

C'est un roman organisé en trois parties, inégales. La première, la plus courte, à peine une quarantaine de pages, est superbe, rythmée. On accompagne Adrien dans ses courses, ses haltes dans les bars, ses pauses photo sur les bords du fleuve Mississipi, une séance de pêche avec Slim. Les descriptions sont précises, rapides, on est tout de suite dans le décor.

La deuxième partie, c'est la période au centre photographique. Elle commence très fort par une partie de pêche au homard, où on retrouve le style du début. Il y a aussi une séance où Adrien bénéficie des conseils en développement de photo d'un des pontes du centre. En très peu de phrases, on comprend tout de l'art du développement, de la maitrise de la nuance, de la fabrication de l'image. Mais à côté de ces moments précieux, il y aussi des instants bâclés, des accélérations superflues, des faiblesses dans l'histoire. Les petits trafics, le cambriolage, la fuite d'Adrien, je suis restée un peu à côté de ces péripéties, la magie n'est plus là.

Troisième partie, vingt ans plus tard. Face aux photos de Travis, Adrien replonge dans sa jeunesse passée et perçoit la banalité de son existence. Gloria, elle, n'a pas renoncé à ses projets d'antan et la présence d'Adrien lui permet de finaliser l'arnaque où tout le monde trouve son compte, à part le lecteur, peut-être, qui ne sait plus dans quel style de roman il s'est laissé entraîner. Un bref séjour dans la tribu dont est originaire Gloria, on espère retrouver l'authenticité de la nature et des coutumes ancestrales, mais non, c'est déjà la fin, on ne sait quoi en penser !

Premier roman, très prometteur au début et c'est ce que je retiendrai de ce livre. Dommage que Sébastien Verne ait voulu juxtaposer plusieurs histoires – et encore, je n'ai pas parlé de celle de la souris qui donne lieu à une utilisation d'une chanson bien connue pour nommer les chapitres de la deuxième partie – avec des styles de narration et des rythmes différents. Mais cette juxtaposition m'a paru sans réelle nécessité, comme si l'auteur n'avait pas réussi à choisir le type de roman qu'il voulait écrire. J'espère qu'il n'en restera pas là, je lirai son prochain roman, c'est certain !
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Le résumé de ce livre a éveillé ma curiosité en promettant un récit d'apprentissage où la photographie à une grande place, je remercie donc Babelio et son opération Masse critique pour me l'avoir fait découvrir.
Hélas même si j'ai apprécié suivre le cheminement de ce jeune français et sa passion de la photographie dans la première partie du récit j'ai rapidement décroché. Ce roman court m'a semblé très décousu dans la seconde partie et je n'ai pas réussi à appréhender les deux personnages que rencontre le protagoniste. La troisième partie, elle, m'a laissée de marbre, je n'ai tout simplement pas compris l'intrigue que l'auteur nous y propose.
Ce roman n'était pas pour moi. Dommage ! Cela commençait pourtant très bien.
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J'étais vraiment emballée pour lire cet ouvrage, à la couverture d'ailleurs sublime, mais après quelques pages... Une très grande déception. Soit je suis très embêtante au niveau de la langue soit l'auteur ne s'est pas trop foulé ou alors est-ce un style que je n'arrive pas à saisir... ?
Sincèrement, toutes ces phrases courtes, trop simples, collées les unes à la suite des autres... C'est terrible à lire ; d'ailleurs, je ne suis même pas parvenue à rentrer dans l'histoire...
Bref, une très grande déception... Mais merci quand même à Babelio et aux éditions Asphalte.
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Je me réjouissais de lire ce petit livre, ode aux espaces américains et au roman américain, sous forme de road-trip. J'ai assez vite déchanté et je suis restée hermétique à cette histoire.

Pourtant sur le papier, cela avait l'air bien. Adrien, français, parcourt les USA avec son appareil photo. Il vit de petits boulots: chauffeur de taxi puis technicien dans un labo photo. Si le début du roman a correspondu à ce que j'attendais, la suite m'a déçue. En fait, j'ai la sensation que l'intrigue n'a jamais décollé. On stagne pendant longtemps et quand il se passe enfin quelque chose, ça ne prend pas.

Ainsi, Adrien va être plus ou moins mêlé à un cambriolage mais je n'ai à aucun moment ressenti une quelconque adrénaline ou sentiment d'urgence. C'est plat, morne, sans émotions. Alors est-ce dû au style de l'auteur? Ses phrases sont courtes, sobres. A aucun moment le lecteur n'est en empathie avec les personnages laissant un goût d'inachevé dans la lecture. Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas, décidément. Pas d'émotions, pas de sentiments, j'ai presque eu la sensation de lire un roman dont le point de vue adopté était externe créant une béance, un fossé entre le lecteur et le personnage.

La fin du livre m'a paru un peu embrouillée: tout ça pour ça? C'est une histoire racontée juste pour être racontée sans jamais rentrer dans les détails ou dans les émotions d'Adrien et c'est bien dommage car je suis passée complètement à côté.

« Des vies débutantes » est une lecture ratée, une déception alors que le roman offrait tant de belles promesses.
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Période d’essai
Une Oldsmobile Sedan 1987 franchit lentement le portail, son ombre déformée se dessine sur le mur, elle se gare à dix mètres de là. Le chauffeur, bedaine en mauvaise santé, s’extirpe de la voiture, quelques miettes accrochées aux rayures vertes de son pull-over. Rikkie observe puis s’approche. Il aime qu’on prenne soin des véhicules, Adrien l’a immédiatement compris.
« Tu remplaces toujours un gars, tu prends sa voiture. Il finit la nuit, tu prends la journée. Pour l’instant, on fait comme ça, on verra après comment ça se passe. Tu t’arrangeras avec les autres, tu prendras la nuit ou la journée, c’est pas mon problème. »
La buée sort de sa bouche comme d’un pot d’échappement.
«La Sedan revient toujours avec le plein, sinon c’est toi qui payes. Tu me dois 75 dollars de location et le reste, c’est pour toi.»
Voilà pour la fiche de poste. Les règles doivent être simples pour les chauffeurs de taxi, ça limite les embrouilles. La radio, c’est déjà assez problématique. Le téléphone sonne, Rikkie se presse à l’intérieur.
Dispatch: «University Main Hall vers l’aéroport. Phil, c’est pour toi dans la foulée!»
10 h 30, calé au fond d’une lourde américaine jaune pétant, Adrien parcourt l’étendue d’un territoire qu’il partage désormais avec l’immense Mississippi, monstre de boue.
La Sedan a déjà le ventre vide, le pull rayé vert est un arnaqueur. Il fait le plein au Kwik Trip, spécialiste en remplissage, gasoil, estomac, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, café tiède. Helen est une balise au comptoir, ils se voient tous deux pour ne pas se sentir seuls, passer la mauvaise saison ensemble, blottis parfois l’un contre l’autre. Elle habite l’immeuble le plus haut de toute la ville, au coin de Cass Street et de Third Street, au-dessus du Piggy’s. Avant d’entrer, il passe toujours sous une tenture à la belle calligraphie blanche sur fond bleu d’où se détache « Elliot Arms Apartments », ça donne un air citadin à leur liaison, mais ça ne suffit pas. Il se lasse parfois très vite des jouets, surtout de ceux qu’il n’a pas vraiment voulus.
Un taxi fonctionne comme les griffes d’un râteau. Il agrippe tout. Rikkie possède la compagnie. Quoi qu’il arrive, il prend 75 dollars au chauffeur du matin et autant en fin de journée. Tous les taxis de La Crosse, Wisconsin, appartiennent à Rikkie, tous les taxis sont jaunes, c’est comme ça, la règle est immuable, un numéro de téléphone, 782-9492, sur chaque portière. Le véhicule fonctionne sans taximètre. Dès son premier jour, préliminaire à toute chose, Adrien passe au lavage et astique vite fait l’intérieur de la Sedan. Touche finale, il asperge l’habitacle de quelques gouttes d’huile essentielle de lavande ; un taxi présentable est un taxi aimable. Chacun des chauffeurs se souvient de cette pancarte accrochée au-dessus du coin de table qui fait office de bureau, réalisée dans un point de croix grossier. Rikkie la pointe volontiers du doigt, elle rappelle sans ambiguïté la devise éclairée du patron : «Qualité, disponibilité, ponctualité.»
«Quoi qu’il arrive, tu règles le compteur à zéro en début de trajet, tu multiplies par un dollar cinquante le mile et tu as le prix de ta course. Facile de t’en souvenir, non?»
Bien que l’usage de cette arithmétique ait objectivement quelque chose d’effrayant, il semble que c’est la norme acceptée. Ne manque plus qu’un joli canevas «tu t’y conformes ou tu dégages!». Il faut à Adrien une demi-douzaine de courses avant de payer la location et le gasoil. Son travail finance la rente de Rikkie. C’est normal, il en a fait, des efforts, le boss, pour se garder une place au soleil. Une compagnie de taxis, ça se construit à la force du poignet, et Adrien a toute sa place dans cette petite chaîne alimentaire. Son visa expire bientôt et il a besoin d’argent.
Dispatch : « Au 3035, 31st Street vers Kmart… »
Alors, en arpenteur, des journées entières, Adrien parcourt un bout du comté et tente de reconstituer sa trésorerie. Il s’aventure jusqu’à Shelby, Coon Valley ou Lake Delton. Il emprunte des routes désertes, improbables et qui parfois figurent à peine sur sa carte. Il pousse jusqu’à Trempealeau tout au bout, après State Road 61, pour une dame qui veut se rendre chez le coiffeur à La Crosse. C’est une excellente course, il fera l’aller-retour.
À cette époque de l’année, les rives du fleuve sont prises par les glaces, à Trempealeau. Les semaines d’hiver se succèdent et le ciel crache de la neige lorsqu’il ne fait pas trop froid. Le village est recroquevillé sur une route principale que le fleuve, glacé et poissonneux, peut avaler à la première crue. Au bout, l’embarcadère des barques à fond plat. Lorsqu’à l’été elles rentrent, ventrues, c’est pour laisser la famille Dubois décharger, vider, fumer des carpes et des poissons-chats au bois de hêtre. Dubois Smokery est un passage obligé avant l’expédition vers les quartiers juifs de New York. La lumière se rend complice, devient propice. Adrien prend quelques photos, documente un village hibernant. Il se gare à l’écart, laisse le moteur de sa voiture tourner et s’éloigne d’une centaine de mètres environ, puis il photographie son taxi jaune dans la grisaille.
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Du coup, Adrien a du temps à tuer. En fouillant à la bibliothèque, il trouve une quantité phénoménale d'articles. La vieille femme au brandy, c’est «madame Dahmer, mère de Jeffrey Dahmer, condamné pour multiples assassinats, tueur en série». Son fils a défrayé la chronique, il a marqué l’Amérique au fer blanc. On l’a appelé «le cannibale de Milwaukee» en 1991; Slim a presque mis dans le mille. Le type, il a tué dix-sept homosexuels, ils l’ont chopé c’était il y a deux ou trois ans. Sa tête au regard vitreux, vestige unique, relique, est conservée par sa tordue de mère. La légende veut qu’il ait été scalpé et décapité par son codétenu, un Indien. C’était partout dans les journaux.
Adrien a quitté La Crosse le soir du 16 avril 1993, suite au message téléphonique d’une certaine Gloria Underwood, responsable au Rockport Photo Center lui signifiant que son tirage intitulé Roue de la fortune est porteur de bonnes nouvelles et qu’on l’attendait dès que possible à Rockport, Maine pour un job à mi-temps de technicien labo. p. 50-51
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À cette époque de l’année, les rives du fleuve sont prises par les glaces, à Trempealeau. Les semaines d’hiver se succèdent et le ciel crache de la neige lorsqu’il ne fait pas trop froid. Le village est recroquevillé sur une route principale que le fleuve, glacé et poissonneux, peut avaler à la première crue. Au bout, l’embarcadère des barques à fond plat. Lorsqu’à l’été elles rentrent, ventrues, c’est pour laisser la famille Dubois décharger, vider, fumer des carpes et des poissons-chats au bois de hêtre. Dubois Smokery est un passage obligé avant l’expédition vers les quartiers juifs de New York. La lumière se rend complice, devient propice. Adrien prend quelques photos, documente un village hibernant. Il se gare à l’écart, laisse le moteur de sa voiture tourner et s’éloigne d’une centaine de mètres environ, puis il photographie son taxi jaune dans la grisaille.
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INCIPIT
Entretien d’embauche
« Tu veux du café?
– Non merci.
– Comment tu t’appelles?
– Adrien Beausure.
– T’es canadien?
– Oui, Québec francophone.
– Tu as le permis ? »
Il hoche la tête, connivence.
«Jamais condamné?»
Il secoue la tête, connivence à nouveau.
Le voilà presque au volant d’un taxi jaune, à la suite du plus rapide entretien d’embauche de sa vie. Il a menti – il n’est pas plus canadien que portoricain –, mais il est recommandé par Slim, le reste est convenu. Celui avec qui Adrien a rendez-vous est un Indien qui se fait appeler Rikkie. Le téléphone sonne, il répond, attentif, puis reformule quasi instantanément : «Hillview Homes, pour Lutheran Hospital, dans cinq minutes, entendu.»
Bande-son, l’annonce au dispatch : «Hillview Homes, pour Lutheran Hospital, dans cinq minutes pour Phil, tu te dépêches !»
Le business de Rikkie donne sur State Road. Pour y entrer, on passe un portail vaguement grillagé, à l’ombre en cette saison. Le soleil distille de longues silhouettes sur le rectangle d’asphalte à l’opposé. Ses rayons, sur le mur d’en face, aux briques peintes en rouge, réchauffent un peu le parking, au moins visuellement. Deux taxis hors d’usage sont garés là, à l’écart. Le premier, enfoncé à l’avant, est amputé d’une portière ; l’autre patiente, essoufflé, sur un cric. Rikkie se réserve l’exigu garage comme atelier et, à l’arrière, il camoufle tant bien que mal des bidons d’huile usagés, vestiges encombrants d’une flottille de taxis en bordure du Mississippi.
Le local de Rikkie est ouvert à tous les vents. Il y habite, aussi. Le rez-de-chaussée est équipé d’une cuisine qui ne sert qu’à faire du café. L’endroit est assez propre. Dans le flot des appels matinaux, Rikkie s’active, seul à gérer sa minuscule plate-forme logistique, son mug à la main ; il pioche un donut nappé au chocolat avec des pépites roses. On se réveille tout juste dans cet îlot de La Crosse, Wisconsin. Au talk-show du matin, des soldats américains débarquent en Somalie, ils sont en nombre, opération « Restore Hope », ni Adrien ni Rikkie ne savent vraiment pourquoi. Ils se laissent distraire par l’écran, après la pub, des images de routiers en déroute dans le blizzard plus au nord, à la frontière du Minnesota. Il est 8 heures, Channel 8 WKBT, les news, mercredi 9 décembre 1992, moins onze degrés Celsius à La Crosse, pas de précipitations, soleil toute la journée.
Dans cette pièce basse de plafond, un cerf empaillé, trophée de chasse, toise les deux hommes. Le téléphone sonne à nouveau, Adrien s’écarte et sort du terrier. Depuis la porte, il entend Rikkie qui fait l’annonce au dispatcher :
«Hillview Homes, pour Lutheran Hospital, t’es sur place Phil?»
Rikkie s’affaire aux urgences du matin. Adrien joue avec son ombre contre le mur ; ça l’occupe et le réchauffe sûrement. Il traîne sur le parking en attendant son taxi jaune.
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Alors Adrien fait encore deux, trois passages au dancing, les veuves et les veufs patientent jusqu’à son retour de course, réputation de taxi qui sent bon. Le compteur tourne et les miles s’égrènent. Il ouvre la fenêtre, ça sent le vieux. Ses oreilles sifflent. Le vent, le bruit et le froid remplissent son véhicule. Il traverse le fleuve. Maintenant, vers la fin de l’hiver, les berges du monstre sont un fruit flétri attaqué de pourriture, un compost en devenir, mordu jusqu’au cœur par le froid tyrannique de la saison. Une boule informe de billets verts usagés profite au fond de ses poches, il palpe sa recette, satisfait. Les danseuses en ligne du Concordia sont toutes rentrées, les rengaines country se sont enfin tues. Après son dernier passage, il s’arrête au Kwik Trip. Devant lui, un pickup hors d’âge. Du coffre dépasse, à moitié sanglé, un grand cerf abattu par balle. La langue sanguinolente, ses deux yeux rivés sur les étoiles. Du sang coagulé sur le pare-chocs, ses grands bois dépassent, il garde une présence inquiétante. Adrien fait une image et s’éloigne.
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