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EAN : 9782072943591
272 pages
Gallimard (12/05/2022)
3.53/5   863 notes
Résumé :
« Ma mère s'emmerdait, elle m'a transformée en poupée. Elle a joué avec sa poupée pendant quelques années et la poupée en a eu assez. Elle s'est vengée. »

Enfant, Elizabeth est une mini-miss exploitée par sa mère. Au fil des concours, la fillette ressent de plus en plus de rancœur envers ses parents. Comprenant qu'il lui faut maîtriser son corps si elle veut être maître de son destin, la jeune femme entame sa transformation physique tout en préparant ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (207) Voir plus Ajouter une critique
3,53

sur 863 notes
Moi qui avais été déçue à l'époque par le célèbre En attendant Bojangles (mauvais timing), j'ai voulu laisser une chance à cet auteur. Et j'ai bien fait.

L'histoire est ici d'une vérité effroyable qui fait froid dans le dos. L'écriture est en corrélation avec la trame, pas de burlesque pour traiter d'un sujet grave : la fin de l'enfance sur les podiums de mini miss sous les paillettes, strass, faux cils, string et l'obsession de gagner à tout prix. Devenir bimbo à sept ans, la folie, non ?

À sept ans Elizabeth fête son anniversaire. Comme cadeau, sa mère lui a réservé une surprise de taille, une robe de princesse. À travers cette robe, Elizabeth signera la fin de son enfance et de son insouciance. Sa mère, la Reine mère, vouera une obsession maladive pour ces concours de mini miss occultant les besoins essentiels d'une enfant de cet âge. Son père sera le Valet de l'ombre de ce désastre familial.

Lorsque Elizabeth grandit, sa rage se décuple pour faire éclater la vengeance et la haine de ce monde absurde et perfide. La jeune fille nourrira surtout une haine féroce contre elle, son image, son corps.

Effarante réalité de ce bas monde qui met sur un piédestal le paraître sans la moindre préoccupation des dommages collatéraux. Olivier Bourdeaut signe ici un roman d'une incroyable justesse disséquant habilement le cheminement insidieux d'une personnalité saccagée faute à des parents obnubilés par l'image. Il y a un côté Amélie Nothomb ici où le côté tragique est allégé par des touches d'humour jaune et sarcastique. L'héroïne n'a pas sa langue dans la poche pour crier haut et fort ce voyage en absurdie. Son regard est affûté et poignant. La détresse d'Elizabeth est transcrite crescendo avec la rage au ventre et des scènes shakespeariennes de grande puissance évocatrices.

J'ai aimé ce roman sans pouvoir le lâcher. Il m'a révoltée, envoûtée, et placée en totale empathie avec l'héroïne.
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Pour ses sept ans, la petite Américaine Elizabeth reçoit un cadeau dont elle ignore encore le poison. En lui offrant une robe de princesse et en l'inscrivant à son premier concours de mini-miss, sa mère vient de faire d'elle une jolie poupée qui lui fera vite oublier la véritable fillette. Devenue le jouet d'une mère bientôt obsédée par la course au podium, outrageusement transformée en infantile Lolita, Elizabeth ne tarde pas à réaliser que l'amour maternel ne tient plus qu'à ses performances lors de ses exhibitions. Elle croira trouver le moyen de s'échapper, mais, sa vie durant, ne connaîtra plus que haine et désir de revanche. Ce corps qu'elle déteste désormais, elle va s'en occuper à sa façon…


L'histoire d'Elizabeth est d'abord celle de ces enfants qui, investis malgré eux de la réalisation par substitution des rêves de leurs parents, sont poussés sans limite vers l'atteinte d'une performance qui dévore leur existence, dans le culte d'une passion que souvent ils ne partagent pas eux-mêmes. Circonstance aggravante, la prouesse attendue d'Elizabeth est directement liée à son apparence, à laquelle elle se voit bientôt réduite, pour le grand préjudice de sa construction psychique. Forcée dans une image artificielle et réductrice d'elle-même, hypersexualisée avant l'âge, l'enfant se retrouve non seulement dépossédée de son existence, mais aussi de son corps et de sa personnalité. Quand elle ne parvient pas sur la plus haute marche de ses podiums, c'est tout son être qui est marqué du sceau de l‘échec et de la déception de ses parents.


Rédigé du point de vue d'Elizabeth, le texte n'est que rage, haine et rancoeur. Et puisque c'est son corps qui alimente les fantasmes de cette mère qu'elle déteste de toute son âme, c'est à lui que l'adolescente, puis la jeune femme, va n'avoir de cesse de s'en prendre, dans un processus d'auto-destruction qui l'aspire irrésistiblement. Paradoxalement, ou peut-être fatalement, c'est encore à un autre culte de l'apparence qu'elle va finir par s'adonner, sculptant dangereusement ses muscles en vue d'une nouvelle compétition, culturiste cette fois, à grands coups de souffrance physique et de produits anabolisants.


Immensément crédible – j'ai retrouvé la rage et le trou noir intérieur qu'André Agassi, ce champion qui déteste le tennis, dévoile dans sa biographie « Open » -, le récit envoie ses phrases courtes comme une volée de bois vert, dans un crépitement de haine de soi assorti d'acides sarcasmes. Olivier Bourdeaut réussit un roman d'une terrible férocité, totalement aux antipodes de son si poétique succès « En attendant Bojangles ».

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Nous sommes aux Etats-Unis. Dans une famille ordinaire, qui se distingue cependant lorsque l'enfant unique atteint l'âge de sept ans et présente aux yeux de sa mère suffisamment d'arguments en matière d'esthétique pour prétendre à un titre de mini-miss ! Rapidement l'affaire prend des proportions déraisonnables, dans la mesure où les exhibitions et leur potentiel échec sont une source de souffrance pour cette petite fille. Jusqu'au jour où elle craque et rejette en bloc le projet, de façon spectaculaire à la fin d'un des concours, se fermant définitivement tout accès à ce type de manifestations.

La narratrice est cette enfant en rupture avec sa famille, quelques années plus tard. Et son corps instrumentalisé dans ses premières années est à nouveau l'objet de manipulations, de modelage, jusqu'à l'extrême, et cette fois c'est un choix personnel.

C'est lorsque l'on parvient à cette phase de l'histoire que l'on comprend le ton abrupt du discours, plein de rancoeur, de haine même, pour ses parents.

"Ils ont l'air piteux et désespéré, ils me dégoûtent, je les déteste. Ils ne sont pas morts pour moi, car pour être mort, il faudrait qu'ils aient existé. Ils n'existent plus. Ils n'existent pas."

On est loin de la poésie de En attendant Bojangles, mais l'auteur fait ainsi preuve d'une capacité à adapter le style au propos.

Eduquer un enfant est parfois pour ses parents une opportunité d'un rattrapage, d'une occasion de réaliser les rêves qu'ils n'ont pas pu atteindre, dans un aveuglement qui nie les conséquences délétères pour l'enfant.

C'est une lecture qui bouscule, et le style fait partie de l'arsenal destiné à provoquer . Et l'histoire rappelle le film Little Miss Sunshine, sur le propos et dans la forme.

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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« Merci, merci, je tiens tout particulièrement à remercier ma mère sans qui cela n'aurait pas été possible. » … D'avoir une vie de merde.

Mini-miss, mini-moi, mini-elle, maxi traumatisme, celui qui dès dix ans, des princesses coupe les ailes et façonne des rebelles.
Tu es belle, allez, sois sage, on fait comme on a dit ! Tu vas gagner.
Truculent, dégoutant, succulent. Ambiance second degré, glauque à souhait.
Petit chemin de gloire mais grand chemin de croix pour Elizabeth qui est très belle et pas trop bête.
Festival de formules. Feux d'artifice de leurres. Il en faut du talent pour escalader la haine, la répugnance, et l'envie de vengeance envers cette engeance qui lui a donnée naissance.
Devenue Florida, pour évacuer ça, elle fera du gras dans un pensionnat et tombera dans les bras de ceux qu'elle croisera. La boulimie, pour faire chier sera sa première addiction.
Olivier Bourdeaut m'a bousculé avec ses mots et perturbé avec les excès de sa Florida jolie fleur de dawa.
Anabolisants et amphétamines seront des malédictions et sa nouvelle addiction, la revanche visible sur ses hanches. Bodybuildée à outrance, peut-être sa chance !
Acide et poudre compléteront la sanction qu'elle s'inflige pour dissoudre la détresse.
« Tu te détruis pour détruire tes parents, c'est beau comme du Monte-Cristo, c'est fort comme Musclor et c'est complétement con ! »

Lecture rejet, lecture accusation à l'acuité et à l'acidité presque gastrique de l'incompréhension des motivations de parents qui estiment faire le bien et qui créent des maux plantés au coeur de leurs enfants, définitivement. Où est la limite ? Où s'arrête les bonnes intentions ou commencent l'embrasement de petites gloires ou de jets d'adrénaline ?
Olivier Bourdeaut a le verbe acerbe et piquant aux phrases courtes à digérer comme des piments et met en scène joliment et crûment sa re-belle Florida.
« J'ai été shooté à la gloriole, c'est la plus violente des drogues, le regard des autres. »

J'ai beau avoir aimer et souffert mais il faut que je file, j'ai Botox.
Patron, l'addiction…

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Florida, ce titre m'a fait penser à une fleur, une fleur artificielle que ses tuteurs auraient fini par faire pousser de travers.
Un roman sur les mini miss, il fallait y penser, et j'imagine que selon que le lecteur est parent de mini-miss ou non, le livre est plus ou moins bien reçu !

L'univers décrit est de prime abord doré, mais dès que l'on gratte un peu, les paillettes tombent vite pour laisser place à une enfance sacrifiée. C'est en tout cas ce que l'auteur semble démontrer, et la critique est acerbe, bien ficelée, amenée chapitre après chapitre chaque fois plus loin pour finir en apothéose, enfin, il ose. Je n'en dirai pas plus !

Alors, certes, c'est tentant de vouloir mettre sa jolie poupée sur un podium, mais se met-on vraiment à sa place ? Il me semble d'ailleurs qu'il est question d'interdire les concours de beauté aux mineurs de moins de 16 ans, si ce n'est déjà fait.
C'est tout un monde de l'art contemporain qui est abordé ensuite, avec des sujets surprenants ; parodie de certains vernissages dans le monde fermé des initiés ou l'absurde côtoie parfois le vrai génie.

Si j'ai apprécié le sujet, j'ai moins été séduite par le style d'Olivier Bourdeaut cette fois, peut-être par une légère vulgarité par moment, je ne saurais dire exactement.
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critiques presse (7)
MadmoizellePresse
08 janvier 2022
Un roman cruel qui traite d’un sujet souvent exploré par le cinéma (on se souvient tous du splendide Little Miss Sunshine) et la littérature mais avec une finesse analytique et un imaginaire bien spécifiques à son créateur, dont on aura décidément adoré chacune de ses œuvres.
Lire la critique sur le site : MadmoizellePresse
LaPresse
25 mai 2021
Florida, son troisième roman, nage encore dans les eaux de la maladie mentale et de la famille dysfonctionnelle, sauf que la tendresse et l'empathie qu'on y retrouvait se sont transformées en férocité et en humour noir très noir.
Lire la critique sur le site : LaPresse
On n’a pas été les seuls à avoir adoré En attendant Bojangles, le premier roman de l’écrivain français Olivier Bourdeaut. Et maintenant, on parie qu’on ne sera pas les seuls à apprécier Florida, son troisième roman.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
FocusLeVif
07 mai 2021
Sous la forme d'une autobiographie d'une mini-miss devenue bobybuildeuse, Olivier Bourdeaut livre un récit acide, mordant et jubilatoire.
Lire la critique sur le site : FocusLeVif
LeMonde
12 avril 2021
Mini-miss puis culturiste, une femme s’autodétruit. L’écrivain, au plus près du corps de son héroïne, s’en fait le témoin.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LaLibreBelgique
06 avril 2021
Des concours de beauté au bodybuilding, le roman coup de poing d'Olivier Bourdeaut
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Elle
08 mars 2021
Cinq ans après nous avoir enchantés avec le fantastique et mélancolique « En attendant Bojangles », Olivier Bourdeaut réussit un troisième roman musclé et jouissif sur le culte du corps.
Lire la critique sur le site : Elle
Citations et extraits (165) Voir plus Ajouter une citation
Ma mère s'emmerdait, elle m'a transformée en poupée. Elle a joué avec sa poupée pendant quelques années et la poupée en a eu assez. Elle s'est vengée.

Ma mère me disait que j'étais très belle et que je n'étais pas trop bête. L'ordre des compliments et important, la forme aussi. J'étais très belle, une affirmation. Je n'étais pas trop bête, une négation.

Je suis très heureuse, j'ajoute ma couronne, je suis fière de moi, ma mère ne touche plus terre et, pourtant, cette victoire est le début de l'enfer.

En rentrant à la maison, je me souviens l'avoir entendu dire à mon père, des faux cils sur une gamine de sept ans, non mais t'imagines, certains parents exagèrent. J'aurais des faux cils deux mois plus tard.

Je le constaterai plus tard, un homme qui crie tout le temps est souvent un homme faible. Le silence est fort.

Il a fait une chose pour moi, il s'en est foutu plein les poches. Il s'est largement remboursé l'argent dépensé pour sa tranquillité.

Parfois, il faut diriger son regard dans la direction inverse des gens qui vous entourent, la vérité se trouve de l'autre côté, pas toujours mais souvent.

Sur les photos de mon avant-dernier concours, c'est bien simple, je ressemble à une pute, une pute de douze ans. Et sur une de ces photos, ma souteneuse me tient par la main, et elle a de ces yeux, mon Dieu, de ces yeux. Si vous pouviez voir cette image, ça m'éviterait décrire tous ces mots.

Je suis plus intelligente que ma mère, je n'ai jamais eu besoin de la gifler pour lui transmettre des messages.

Le seul truc adulte que j'ai pu faire avec lui, c'est de lire le Miami Herald en buvant une limonade. Innocent mais puni. La dernière image que j'ai de lui, c'est de dos, sa veste marron maculée d'un crachat.

Je ne voulais surtout pas faire plaisir à la Reine mère. Je ne voulais plus être la cause de ses sourires, je voulais même devenir la raison de ses souffrances. Je n'ai pas eu le choix, autorité parentale on appelle ça.

Je vivais un tel merdier à la maison, mon monde continuant de s'écrouler, que l'effondrement des tours de New York m'est passé totalement au-dessus de la tête ; mon esprit n'a pas été percuté comme l'ont été les tours jumelles. L'adolescence, l'ambiance, l'égoïsme m'ont fait passer à côté de cet immense bordel. Au contraire, j'ai même été soulagée de voir mes parents s'avachir des jours entiers devant la télé. Ils me foutaient une paix royale pendant que le monde rentrait dans une guerre totale.

J'ai douze ans et demi et j'ai déjà besoin de tout reprendre à zéro, ça ressemble furieusement à un faux départ.

Souvent, le week-end, je regardais les nombreuses photos de la Princesse Kodak que j'avais été et, dans le miroir, la boule de graisse géante que je devenais, et je ne trouvais aucune ressemblance entre ces deux personnes. J'avais le sentiment d'être un ogre, le sentiment que je pouvais rentrer dans la photo et prendre cette petite chose fragile dans ma main comme King Kong avec la blonde.

Je l'enveloppais de honte et de faux sentiments. J'étais sa honte, son fardeau, et c'était mon cadeau.

Une envie compliqué, celle de crever, une envie simple, celle de vouloir les crever. Le diable dans sa grande perversité nous à dotés d'organes génitaux et d'une libido, le paradis. Dieu dans sa grande générosité nous a fourni une cervelle et un coeur, l'enfer.

Ce qui m'est arrivé ? C'est simple, j'étais avec le plus beau mec du monde sur la plus belle plage du monde, nous allions êtres maîtres de l'univers et, avant-hier, son père m'a vue sous la douche et s'est excité tout seul, et maintenant je suis la plus grosse merde de l'univers. Voilà ce qui s'est passé. Tu pourrais me prendre en photo, souriante, et peindre "merde de l'univers" sur ma gueule.

Fumer autant d'herbe rend le présent différent et le passé moins présent. C'est à peine si j'éprouve des pointes de mélancolie, ça me pique l'esprit parfois mais ça ne m'enfonce pas. Oui, voilà, ça me maintient à la surface, le visage à l'air, le corps dans l'eau, je peux respirer.

Mon image se résume à des chiffres bleus lumineux entre mes doigts de pieds et les chiffres ne sont jamais bons, ce n'est jamais suffisant, c'est toujours trop, c'est l'histoire de l'engrenage.

Personne ne console un type qui a la grippe en lui parlant des cancéreux, au pire ça mérite un éclat de rire, au mieux un pain dans la gueule. C'est inaudible comme discours. La théorie du pire ailleurs est la négation du bon sens et de l'ambition. Si je me compare tout le temps aux petits Nigérians, j'accepte ma condition toute ma vie et je ferme ma gueule toute la journée. Je regarde mes pieds et j'attends que la vie passe, qu'elle m'écrase.

Une mélodie vous transporte immédiatement dans un lieu, à une date précise, au coeur d'une ambiance particulière. Parfois même, un rythme fait revenir une odeur.

J'ai fait le contraire de Samson, pour décupler mes forces j'ai coupé mes cheveux, pour devenir plus puissante j'ai tout rasé.

Une couronne en plastique, une princesse en toc, un tableau royal. Car oui, je vais monter sur le trône, c'est la vocation d'une princesse d'un jour devenir reine. J'ai fait comme on a dit, j'ai obéi, j'ai attendu sagement, je suis récompensée.

Ma petite frimousse dominait leur nuit. J'étais là, princesse qui ne les a jamais quittés, souriante, chapeautant leurs rêves, je les protégeais. J'étais encore un beau projet, je suis devenue un sale regret.
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Nous avons emprunté des trajectoires différentes, ma mère et moi. Elle s'est engagée progressivement sur le chemin de la dépression. Chaque vendredi soir son accablement montait d'un cran, à chacune de mes apparitions elle prenait un coup sur la tête. Je lui faisais peur, elle me faisait pitié. Avant, mon père avait deux belles femmes à la maison, maintenant il croisait un squelette et un ogre qui se détestaient. Sur un plan esthétique, il a beaucoup perdu dans ce croisement des courbes. Bravement, il a remonté ses manches, a fait sauter les capsules de bouteilles de bière et a fait tournoyer les bouchons d'alcool fort. La photo de famille modèle n'a pas seulement jauni à toute vitesse, elle s'est craquelée puis s'est décomposée pour finir en poussière.
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INCIPIT
Ne trouvez-vous pas cocasse que dans un pays de gagnants, ma malédiction soit d’avoir un jour gagné ? Pas n’importe quel jour, celui de mes sept ans. Ma mère me disait que j’étais très belle et que je n’étais pas trop bête. L’ordre des compliments est important, la forme aussi. J’étais très belle, une affirmation. Je n’étais pas trop bête, une négation. Elle aussi était belle et plutôt intelligente. C’est la raison pour laquelle je ne comprendrai jamais cette journée d’anniversaire ni toutes celles qui ont suivi pendant cinq ans. Enfin si, je comprends maintenant. Je comprends, mais je ne pardonne pas. Je ne pardonnerai jamais.
C’est long cinq ans. Revenons à l’origine. C’est mon anniversaire ! ai-je dû m’écrier avec candeur quand je me suis réveillée. C’est mon anniversaire ! ai-je dû répéter toute la matinée. J’en ai beaucoup parlé, plus que les années précédentes, pour la simple et bonne raison que ma mère m’annonçait une surprise merveilleuse depuis deux semaines. Je ne l’avais jamais vue aussi fière d’elle, j’aurais dû me méfier. On ne connaît pas suffisamment ses parents lorsqu’on a sept ans. Un sourire mystérieux, une voix qui sonnait faux, et surtout une trop grande impatience à l’évocation de cette journée, j’ai même eu peur qu’elle souffle elle-même sur mes bougies et qu’elle avale mon gâteau en une seule bouchée. J’aurais préféré.
Il n’y aura pas d’amies invitées. Je le comprends lorsque maman se présente avec un grand carton blanc rectangulaire. Normalement on ouvre ses cadeaux lorsque tout le monde est là. C’est plus drôle. Si je dois ouvrir mon paquet seule à midi, c’est qu’il n’y aura pas d’amies. Enfin si, ma mère est là. Elle se pense suffisante, elle s’imagine peut-être qu’elle est ma copine, et pourquoi pas la meilleure tant qu’on y est. Ruban rouge, agrafes, papier de soie, je fais tout sauter. C’est une robe, quelle surprise ! Une robe blanche de princesse : perles, dentelles, frous-frous et tralalas, c’est le comble de la joie. Mais pourquoi en faire des tonnes pour une surprise si banale ? Eh bien, parce que la surprise n’est pas là. La robe est la première étape de la surprise. La douche et la brosse à cheveux sont la seconde. Il faut se presser, nous allons être en retard. Elle en tremble au point de m’enfoncer les poils de la brosse dans le cuir chevelu. C’est une belle surprise qui m’humidifie les yeux. Elle est désolée mais il faut vraiment se presser, nous avons rendez-vous avec mon cadeau, ce n’est pas rien.

Une salle polyvalente, une lumière jaune, du carrelage blanc, des fanions multicolores frétillants, nous sommes loin du palais de conte de fées. En parlant de fées, il y en a tout autour de moi. C’est un château moche avec des princesses partout. Les parents sont là, posant des diadèmes, ajustant les ourlets, prenant des photos ; ils sont fiers, souriants, angoissés, je les comprends, c’est quelque chose d’être les parents d’une princesse. Cela ne fait-il pas de vous un roi ou une reine ?
La mienne, de reine, me tend mon numéro. Elle me conseille. Tu dois seulement marcher délicatement vers le trône, enfin l’estrade. Tu dois sourire mais pas trop, recommande-t-elle, c’est tout, c’est simple. Elle semble rassurée depuis qu’elle est arrivée. Elle croit en mes chances. Pour elle je suis plus belle que les autres. Je vais donc les écraser. Voilà ma surprise, mon cadeau, humilier d’autres petites filles. Sur le moment, je ne vois pas les choses comme ça, évidemment. Et ça marche. Je fais quelques pas, quelques sourires, quelques demi-tours et me voilà reine de beauté. C’est assez simple d’être Cendrillon. Pour une surprise, quelle réussite. Mon titre me donne droit à un cadeau, encore un, un coffret de maquillage. J’ai une coupe, une robe et du rouge à lèvres. Un sacré anniversaire. Quelle petite fille ne rêve pas d’être la plus belle des princesses ? Quasiment aucune. Je suis très heureuse, j’ajuste ma couronne, je suis fière de moi, ma mère ne touche plus terre et, pourtant, cette victoire est le début de l’enfer.
J’ai souvent changé d’aspect dans ma vie, mais je n’ai jamais changé de prénom ni de nom. Voilà deux choses stables chez moi, mon prénom et mon nom. Ce sont les seules. Elizabeth Vernn, deux mots qui permettent de faire le lien entre ce que je suis aujourd’hui et ce que j’étais à la naissance. Depuis le jour de mes sept ans, mon corps et moi faisons chambre à part. L’éloignement s’est fait progressivement. Nous nous sommes séparés car pour rester bien dans ma tête, il fallait que le jugement des autres sur ma peau ne me concerne plus.

Après ma victoire, en rentrant à la maison, je m’appartenais encore. C’était l’euphorie. Nous avons dansé dans le salon avec ma mère, sauté partout. Elle m’a couverte de baisers, de compliments, de regards doux. J’étais vraiment la plus belle, pas de doute. Lorsque mon père est rentré, il semblait soulagé de voir que j’avais gagné. Il m’a félicitée, il s’est félicité de la joie qui régnait dans son foyer. Il ne voyait pas souvent son épouse de bonne humeur. Mes parents ne s’entendaient plus vraiment, depuis longtemps. Alors si ce concours de mini-miss couronnait sa fillette et rendait sa femme guillerette, pourquoi s’en priver ?
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Le Valet ne rentre presque jamais dans ma chambre, comme s’il avait peur de moi. Il ouvre la porte, me demande si ça va, si j’ai besoin de quelque chose. Comme d’habitude, il ne sert à rien. Il voulait que je rentre à la maison, c’est fait. Je réalise qu’en quelque sorte il est toujours resté sur le pas de la porte. Il y a des gens comme ça, qui ne s’impliquent jamais totalement, qui passent une tête pour montrer qu’ils existent, qu’ils sont là. Lorsque le samedi matin nous partions pour ces concours à la con, il se tenait dans l’encadrement de la porte. Au retour, même chose. Ce n’est pas un père de famille, c’est un portier, un valet. Un vrai.
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Il y a des gens comme ça qui, quand ils sont allés trop loin, au lieu de s’excuser, de revenir en arrière, se sentent obligés d’aller encore plus loin. C’est ce qu’a fait la Reine Mère.(...) Le problème avec les cons lorsqu’une chose ne marche pas, c’est qu’au lieu d’abandonner, ils accélèrent.
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Vidéo de Olivier Bourdeaut
Olivier Bourdeaut, écrivain (entretien audio publié le 19/04/24 par "un café au comptoir")
Un café au comptoir avec Olivier Bourdeaut, écrivain, enregistré au Café du Commerce Barbès à Paris, 13 rue Clignancourt, Paris (18e) Mon invité du jour est de ceux à qui la vie n'impose qu'un seul choix. Certains entendent depuis leur plus jeune âge l’appel du seigneur, lui c’est celui des rêves, de l’écriture qu'il a entendu . L’affaire aurait pu être, elle aussi, rapidement entendue, mais c’est d'abord un long chemin de croix qui s’est ouvert sous ses pas avant que le succès ne surgisse enfin il y a quelques années. Ecrivain. Le mot est lâché. Lui, se sentait auteur au plus profond de ses tripes. C’était comme s’il tenait déjà la première phrase de son roman ainsi que la dernière. Le plus compliqué ne résidait pas dans le fait de trouver la volonté de combler les 500 pages manquantes mais bien dans la difficulté matérielle de s’y atteler ! Car Dieu sait, hélas, que la vie n'est pas un paradis ! Mon invité a donc vécu un enfer sur terre, ou du moins un purgatoire pavé de petits boulots pour lesquels il ne possédait aucune aptitude particulière et dans lesquels il ne s'épanouissait pas. Mais je vous rassure, son existence ne se réduit pas à une visite du pandémonium. Il tire ainsi le diable par la queue jusqu'à ce que la publication en 2016 de son premier livre, en attendant Bojangles, ne le sorte de l'ombre pour la lumière. Le roman est rapidement sacré best seller, adoré par des centaines de milliers de lecteurs, avant d'être adapté en Bd au théâtre et même au cinéma. Mais il ne faut voir aucun miracle dans ce succès ! Le mérite en revient uniquement à son travail, acharné : religieusement dès 4 heures - prière de ne pas le déranger - le créateur à l’œuvre, chaque matin, donne vie à des personnages attachants, transformant le café et la fumée de ses cigarettes en passionnantes histoires. Ce parcours aux allures de parabole sonne comme une revanche, celle d'un homme qui adore les mots, qui les savoure, qui leur voue une véritable passion, quasi mystique. D’ailleurs quand ils se refusent à lui, quand l'inspiration l'abandonne, il grommelle dans son coin, il se sent en proie à tous les tourments, prêt à se crucifier. Non je ne me moque pas, et j’ai même personnellement beaucoup de tendresse pour mon invité qui, en grand pratiquant de l'autodérision, dévoile avec humour dans son dernier ouvrage, véritable petite perle autobiographique, ses peurs les plus intimes. De son angoisse de la page blanche aux difficultés d’exister, du sentiment d'illégitimité à trouver sa place dans la société à l'inconfort de s'affirmer quand tout ce qu’on sait finalement faire c'est inventer, écrire, conter. Et c’est afin d'évoquer tout cela , errances et révélation comprises, que je lui ai proposé de me rejoindre au café du commerce Barbes, pour prendre avec lui un café au comptoir. Emission présentée par Alexis Himeros
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