ISBN : 978-2702427064
Pierre Véry mit longtemps avant de se décider à choisir le genre policier non comme atelier de travail nettement défini, bien carré, aux canons duquel il était impératif d'obéir scrupuleusement, mais plutôt comme trame musicale sur laquelle il avait tout loisir d'improviser des livres surprenants, teintés parfois de merveilleux et toujours incomparablement poétiques. Il a aussi écrit pour la jeunesse mais quand on relit "
Les Disparus de Saint-Agil", on se demande finalement si seuls les adolescents sont visés comme public. Plus précisément, les adolescents de l'âge conforme aux trio de héros du roman : l'adolescent qui existe toujours en nous, qui rêve d'aventures, de cartes menant à des trésors incalculables ou à des mystères redoutables, cet adolescent-là, que nous avons oublié ou que nous avons voulu oublier, n'est-il pas avant tout dans la mire de l'écrivain même si, désormais, il a pris sa forme adulte ? Et la vision du film de Christian-Jaque souligne admirablement l'ambiguïté de la question.
"
Clavier Universel" est l'un des premier romans de Véry, qui débuta en littérature par la nouvelle. Il vient néanmoins après "
Le Testament de Basil Crookes", publié chez le Masque et qui recevra le Grand Prix du Roman d'Aventures de l'Année. Après ce succès incontestable, l'écrivain semble retomber non pas dans le néant mais dans l'indécision : c'est, pourrait-on dire, un roman "expérimental."
L'action se situe dans une pension de famille - un peu comme pour "
L'Assassin Habite au 21", du Belge
Steeman - dont tous les locataires, y compris la fille de la propriétaire, présentent la particularité pour le moins bruyante de, pour une raison ou pour une autre, taper à la machine. Attention ! Rien à voir avec nos claviers informatiques, si doux, si confortables et si discrets. Tout ce petit monde s'acharne sur des Remington, des Underwood et autres antiquités qui, lorsqu'elles fonctionnent toutes ensembles et malgré des portes bien fermées, font un bruit d'enfer - ou presque.
Un bruit qui pourrait très bien servir à dissimuler, par exemple, celui d'une détonation ...
Le roman débute par la découverte, affalé sur son clavier, de l'un des locataires, un bandeau sur les yeux, tué justement par une balle. La chute du malheureux a ainsi provoqué, sur la page qu'il avait commencée à remplir, la frappe d'un message incompréhensible, dans lequel tout le monde, du plus modeste des agents de police ("l'agent rose" comme le surnomme l'auteur) au plus hargneux des locataires, s'obstine évidemment à voir un code.
Un code pour quoi ? Un code pour qui ? Et pourquoi ce bandeau sur les yeux ? C'est ridicule, voyons ...
Avec ça, le défunt avait beau vivre dans une pension de famille bien tenue mais modeste, il n'en était pas moins fortuné, très fortuné - enfin, du moins, tout le monde le disait et, chaque semaine, il recevait des lettres de ses banquiers qui, visiblement, l'enchantaient. Et, voyez comment sont les choses : dans le même immeuble, vivaient ses deux neveux, un misanthrope toujours prêt à cracher sa haine contre n'importe quoi et à n'importe qui (y compris, soit-dit en passant, à des policiers qu'il se flatte de tenir pour de parfaits imbéciles) et un anarchiste aussi aimable que son frère est une véritable horreur humaine. Logiquement, l'assassin devrait être l'un des deux. Mais la logique, chez
Pierre Véry, n'a pas le même sens que chez un autre auteur.
D'ailleurs, le corps à peine rendu à la famille pour les obsèques, on découvre que la victime, après avoir éparpillé sa fortune dans le champagne et les petites femmes et ceci, bien sûr, dans le plus grand secret, n'avait pratiquement plus un fifrelin. Refait le misanthrope haïssable et haïssant ! Refait, l'anarchiste qui rêvait de consacrer sa part de l'héritage à la Cause !
"Bien fait pour les deux !" pensent en choeur les autres locataires.
En tous cas, une chose est sûre : l'enquête piétine . C'est l'une de celles menées par le commissaire Gaude, un personnage qui, bien que doté d'une calvitie un peu précoce, rappelle au lecteur un mélange entre Arsène Lupin et le Chevalier Dupin. ("Bizarre," direz-vous mais chez
Pierre Véry, et cela fait une partie de son charme malgré un style ça et là un peu vieilli ou trop "mélo-aventure", la Bizarrerie est comme chez elle.) Dans "
Clavier Universel", les dialogues sont, reconnaissons-le, pleins d'humour et rebondissent comme des balles de ping-pong. Certains personnages, comme la petite bonne de la pension dont la victime abusait sans vergogne, sont vraiment émouvants et pleins d'authenticité. D'autres auraient tendance à nous laisser froids, y compris d'ailleurs l'assassin qui, à mon humble avis, en fait un peu trop.
Toutefois, rappelons-nous que l'époque est, pour Véry, celle où il hésite encore. le policier l'attire mais il veut faire quelque chose de différent, de jamais vu dans le genre. Il n'a pas encore trouvé son personnage fétiche de Prosper Lepicq, l'avocat que l'on croisera un peu plus tard (et sous une double identité) dans "
L'Assassinat du Père Noël", ce dernier volume étant certainement plus représentatif de l'esprit poétique de son créateur que "
Clavier Universel", un bon petit roman, certes, et même une jolie petite partie d'échecs mais qui, malgré tout, demeure, à notre sens, un peu figée.
A lire, cependant. Par curiosité tout d'abord et pour découvrir les mécanismes qui, lentement, vont se mettre en place pour produire le
Pierre Véry dont nous avons l'habitude, celui de "Saint-Agil" bien sûr mais celui, aussi, du merveilleux (et carrément fantastique, celui-là) "Pays Sans Etoiles." ;o)