C'était sa troisième incursion dans le monde du polar.
Jean-François Vilar avait abandonné temporairement le Paris de son photographe fétiche Victor Blainville (entre "
Passage des Singes"1983 et "
Bastille Tango"1986) pour sillonner les rues et les canaux d'une Venise submergée par une vague rouge sang alors même qu'elle se cachait derrière les masques et les oripeaux de son carnaval.
Nous sommes en 1982 et le sang en question est celui versé par une résurgence des tristement célèbres Brigades Rouges, décidées à mettre la cité des doges sous un feu roulant qui atteint d'abord une juge de l'anti-terrorisme. Un attentat perpétré sous les yeux du cinéaste Adrien Leck, qui vient juste de faire la connaissance de la victime avec qui il entamait une relation amoureuse. C'est à travers son regard acéré et cynique que nous suivons le déferlement de violence dont il devient le témoin privilégié, puis un acteur de premier plan. Venu, accompagné d'un repenti, faire des repérages pour son futur film sur le terrorisme, il est servi, vivant en réel ce qu'il voudrait inscrire sur pellicule.
La réédition bienvenue de ce roman du regretté JF Vilar (disparu en 2014) démontre, s'il était besoin, la large palette du talent d'un auteur qui réussit à mêler avec bonheur un mirage politique, une histoire d'amour impossible et une réflexion désenchantée sur la société des années 80. En outre la poésie mélancolique, qui émane de cette odyssée tragique et qui doit beaucoup à une cité de tous les fantasmes, ajoute au charme du livre. Vilar met en scène avec brio ses personnages ("des êtres singuliers", dit
Hervé le Corre dans une préface éclairante), leurs failles, leurs illusions, leurs compromissions, rendant très crédibles ces révolutionnaires aux causes viciées, que lui-même eut l'occasion de côtoyer dans sa jeunesse.
Enfin, on a même le plaisir de retrouver Victor Blainville dans un rôle secondaire, qui vient photographier Venise avec la même passion qu'il le fait pour Paris et que Vilar magnifiera dans ses romans majeurs que seront "
Les Exagérés" (1989) et "Nous cheminons entourés de fantômes au front troués" (1993) qui séduiront tous ceux qui ont une âme de piéton de Paris.
Décidément, une excellente initiative que cette réédition, qui est une invitation à aller plus avant dans l'oeuvre d'une des meilleures plumes du roman noir français du XXe siècle finissant.