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sur 152 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
°°° Rentrée littéraire 2019 #24 °°°

Comment puis-je autant aimer un livre qui semble tout faire pour se rendre mal aimable ? Un chaos narratif assumé où les digressions semblent divaguer erratiquement en faisant fi de toute chronologie ... Un narrateur dépressif, embourbé dans sa solitude, quinqua bourré d'alcool et de cachetons, au désespoir si profond que toute empathie immédiate est impossible alors qu'il pleure la mort de ses vieux parents dont il ne se remet pas.

Ce texte très singulier ne se laisse pas facilement apprivoiser, il exige dès les premières pages une lecture concentrée et surtout un lâcher prise total. Très rapidement, j'ai été happée par le flot des mots qui construisent une cathédrale élégiaque dans laquelle l'auteur déverse toute sa rage intranquille et la douleur dévorante de son deuil, comme si j'étais directement plongée dans cet esprit en pleine tempête.

Son impudeur est saisissante : «  Mon coeur ressemble à un arbre noir couvert d'oiseaux jaunes qui piaillent et me perforent la chair dans une sorte de martyre. Je comprends le martyre qui consiste à s'arracher sa chair pour être plus nu ; le martyre est un désir de nudité catastrophique. »

Ici aucun désir de polissage ou de retenue. Manuel Vilas s'abandonne totalement au sentiment de désastre. Il livre ses tripes en offrandes au lecteur sans se soucier de l'image qu'il renvoie, ruminant le drame en toute anarchie dans l'espoir d'une catharsis apaisante qui n'arrive jamais. le moindre détail, la moindre photographie, un lieu, un simple objet peuvent faire surgir un souvenir à la fois banal et poignant sur ses parents et sa famille : l'odeur de l'huile d'olive, une cigarettes blondes fumée jusqu'au filtre, la vallée pyrénéenne d'Ordesa. Il sait trouver les mots, entre amertume exaltée et humour féroce, sans que la lecture ne soit plombée de désespérance, magie de l'écriture.. Certaines pages sont absolument splendides et sondent dans nos coeurs notre propre histoire.

«  Je suis dans la salle de bains, je me brosse les dents et sens derrière moi un être qui marche dans mes pas. Ce sont les restes de mon père et de ma mère défunts, ils s'accrochent à ma solitude, s'incrustent dans mes cheveux, leurs minuscules molécules fantomatiques suivent le parcours de mes mains et de mes pieds dans la salle de bains, tiennent à mes côtés la brosse à dents, me regardent en faire usage, lisent la marque du dentifrice, observent la serviette, touchent mon reflet dans le miroir ; quand je me mets au lit ils 'allongent près de moi, quand j'éteins la lumière, je les entends murmurer. Ce ne sont pas toujours eux ; ils sont parfois accompagnés de fantômes malades, de fantômes sales, horribles, furieux, malins ou bénins, peu importe, la condition de fantôme transcende le bien et le mal. Des fantômes de l'histoire de l'Espagne, qui est elle aussi un fantôme. Ils me caressent les cheveux pendant que je dors. »


Mais si ce récit est devenu un best-seller en Espagne, s'il y a été sacré Meilleur roman 2018, c'est aussi qu'à travers cette intimité rageusement dévoilée, c'est toute une époque qui revit, celle d'une province espagnole ( Huesca ) dans les années 1960 – 1970, à l'heure du franquisme déclinant, celle d'une famille de «  classe moyenne basse » , de parents nés après la Guerre d'Espagne, hantés par la peur du déclassement. Celle des oubliés, des invisibles, des aliénés au système, de ceux dont on ne parle pas : «  l'Espagne n'a rien donné à mes parents. Ni l'Espagne franquiste, ni l'Espagne monarchique. Au moins sous le franquisme, ils étaient jeunes, c'était au moins ça.  »

Se dessine ainsi une oeuvre inclassable, profonde, d'une sincérité totale, un hommage bouleversant à des parents qui deviennent au fil de la lecture les tiens. Un livre difficile d'accès, qui ne plaira pas à tous, mais qui moi m'a profondément plu.

Lu dans le cadre du jury Grand Prix des Lectrices Elle 2020 ( n°9 )
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Ordesa est un roman désarmant, plein d'humour et d'une tonifiante ironie, dont on n'en sort pas indemne. Manuel Vilas convoque ses souvenirs. ‘Le souvenir allume une lampe', écrivait Borges, le souvenir est exigeant. Il raconte son histoire. Son récit dense, serré, loin d'être un lamento inlassable, un mea culpa plombant et improductif, est un appel d'air bienfaisant. Il y a des passages à mourir de rire, d'autres, d'une irrémissible désolation; des envolées inattendues à vous couper le souffle avec des situations cocasses et insolites. Un mélange bien assemblé de registres et de genres, dans une langue souple et coulante, très agréable à lire.
Il refuse le dualisme et discourt sur tout sans complexes ou fausses hontes. Il nous parle de la mort, du sentiment de déracinement dans un monde mondialisé, de la perte de repères de la personne vieillissante. C'est en quelque sorte un exutoire qui lui permet de suppurer la douleur d'un impossible deuil.
Pour Vilas, ce récit est une lettre d'amour et de reconnaissance à ses parents disparus. En vérité c'est beaucoup plus que ça.
Une voix unique et tonitruante. Un récit d'une sincérité implacable. Intrépide et transgresseur. J'ai souvent pensé en lisant ce livre, à ce que disait Genet à propos de la lecture :"si je n'écris pas Les Frères Karamazov en même temps que je lis, je ne fais rien."Je lisais quelques pages, puis je m'arrêtais pour méditer, soupeser, en attendant que ça fasse son effet. C'est une lecture qui m'a apportée, qui m'a pris du temps, le temps qu'il faut, son histoire c'est aussi la nôtre, qu'il raconte d'une manière bouleversante, libératoire et vigoureuse.
Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu un ouvrage de cette carrure, qui nous brise le coeur et nous soulage à la fois.
Si la vérité, dont nous parle ce livre nous tient en haleine du début jusqu'à la fin, c'est parce que, comme dirait Joan Manuel Serrat « nunca es triste la verdad, lo que no tiene es remedio. »




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Vrai phénomène éditorial en Espagne, en France prix Femina du meilleur roman étranger en 2019, ORDESA est un récit autobiographique dont la simplicité et la portée poétique sont de mon point de vue tout à fait exceptionnelles et m'ont tout particulièrement touché.
Dans un genre littéraire qu'on a pris l'habitude depuis quelques décennies déjà de qualifier d' «autofiction», toujours très à la mode de nos jours, mais que d'habitude je n'apprécie pas spécialement, j'ai pourtant éprouvé en lisant ORDESA un sentiment rare que peu de lectures ont le pouvoir de susciter. Amis lecteurs, je ne parle pas tout à fait de ce sentiment très agréable d'être tombé sur un livre dont on dit qu'il est ou sera «inoubliable», même si on sait qu'en fin de compte tout s'oublie avec le temps, n'est-ce pas, les histoires, les intrigues elles-mêmes s'effacent peu à peu de notre mémoire encombrée, ce qui reste pour nous en vérité, c'est la trace, le souvenir du plaisir particulier qu'on avait éprouvé pendant cette lecture qui nous avait transportés, émus, ouverts à des zones nouvelles de pensée et de sensation, inouïes et surprenantes, non, je parle ici plutôt d'un sentiment d'avoir littéralement «incorporé» un livre, j'évoque ici ce pouvoir exceptionnel d'une lecture plutôt de nature -excusez-moi l'expression barbare- anthropobibliophagique, sorte de cannibalisme littéraire qui vous fait métaboliser un récit à un niveau concret, intime, quasi organique. On ne peut donc plus juste le qualifier d'«inoubliable»; on ne dirait pas par rapport à un mécanisme interne qu'il s'oublie ou pas : une fois mis au point, ce dernier se déclenche automatiquement à l'occasion et au besoin!
En lisant ORDESA, je me suis mis moi-même, spontanément, à «ordeser». (Aïe! Je suis conscient du fait que là vous risquez de ne plus me suivre tout à fait..!). Au-delà des impressions qu'une lecture peut susciter habituellement, au-delà des remarques qu'on se fait tous silencieusement en lisant, qui nous conduisent à apprécier ou pas le livre qu'on est de train de lire, de nous dire au bout d'un moment « j'adore », ou bien « je n'aime pas », ou encore «j'aime ceci, mais pas cela» (...), comment en l'occurrence, décrire exactement le fait qu'une lecture vous imprime une sorte de reflexe nouveau, une manière inédite d'approcher votre propre histoire : en lisant, en quelque sorte on se mettrait à "se relire" soi-même.
Peut-être vous dites-vous à ce stade : «OK, ce Creisifiction doit être en pleine «crazyfication», il n'a rien compris, le pauvre, il vient de lire une autofiction doublée d'un ouvrage de développement personnel, et il s'imagine être tombé sur «la révélation», «the Book»! ». Non ! Faites-moi confiance, s'il vous plaît, ce n'est pas ça : je n'aime pas beaucoup les autofictions, je ne supporte pas les ouvrages dits de développement personnel, le « feel-good » me fait en général l'effet inverse escompté...
Non, ORDESA est loin d'être tout rose et gentillet. ORDESA est à vrai dire jaune : «amarillo», ce joli mot espagnol pour une couleur à la fois amère («amaro») et solaire : couleur faite d'amertume et de lumière. Quand il est éclatant, le jaune c'est la couleur des dieux. Quand il est mat, c'est l'enfer, la perfidie. Rire jaune, étoile jaune. «Le jaune est la couleur qui parle du passé, de la désagrégation des familles, de la pénurie». ORDESA est ainsi dosé à la fois de chagrin et de désolation, d'espoir et de poésie, le tout conjugué en nuances de jaune. «Un endroit très montagneux appelé Ordesa, un souvenir jaune, la couleur jaune envahissait le nom d'Ordesa, et derrière Ordesa se dessinait la silhouette de mon père au cours d'un été, en 1969. Un état mental qui est un lieu : Ordesa. Et aussi une couleur : le jaune».
Issu d'une famille de «classe moyenne-basse» espagnole qu'on pourrait aisément identifier, selon les mots de l'auteur lui-même, comme étant « dysfonctionnelle», Manuel Vilas égrène dans ORDESA les souvenirs de ses parents morts et de son enfance à Barbastro, petite ville de l'Aragon, alors qu'il vient lui-même de divorcer et qu'il livre seul un douloureux combat contre la dépression et l'alcoolisme.
Par l'évocation de souvenirs en apparence tout à fait banals, souvent reliés au quotidien et d'une simplicité à toute épreuve, tant sur le fond que sur la forme, Manuel Vilas se sert de toute sa palette de jaunes au fil de petits chapitres empreints d'une poésie et d'un lyrisme d'autant plus percutants qu'ils s'appuient justement sur ce qu'il y a de plus ordinaire et universel, nous renvoyant en même temps directement à notre propre famille et à notre enfance.
Face au déroulement de l'existence humaine, vouée par principe au même néant d'où elle provient et vers lequel elle s'achemine, s'en affranchissant grâce à un langage purement intuitif et poétique, libre du carcan où nous risquons sans cesse de nous enserrer avec nos manques, nos blessures, nos récriminations, dépassant les limitations, qu'elles soient temporelles, entre passé, présent et avenir, ou bien existentielles, entre vivants et morts, Manuel Vilas nous invite nous aussi à «ordeser», c'est-à-dire à adopter un point de vue extrapolé et océanique de notre existence que seules l'imagination associée à la mémoire, l'intuition et la poésie peuvent nous révéler dans sa dimension d'épopée unique et singulière. Toute vie, même la plus ordinaire, nous glisse furtivement l'auteur, «réclame un destin légendaire».
Quand Manuel Vilas évoque par exemple le fait que sa mère ne cultivait absolument aucune forme de mémoire, qu'elle oubliait rapidement les morts, ne prenait jamais de photos de ses proches, jetait tout ce qui n'était pas utile (y compris ses livres à lui, puisque comme elle lui expliquait «il les avait déjà lus »), il conclut : «Ma mère n'a été que nature, si bien qu'elle n'avait pas de mémoire, elle vivait uniquement dans le présent, comme la nature (...) Ma mère était le présent. La force de ses instincts la conduit vers ma présence. Sa présence au travers de la mienne se change en présence dans mes fils présents, et en cela elle prévient de sa présence les fils de mes fils quand ceux-ci s'installeront dans le présent».
A voir les choses de la sorte, il y a sans doute une forme de «mystique», qui n'est absolument pas de nature religieuse, mais ancrée dans un sentiment vivant de gratitude et d'amour inconditionnel. Ceci pourra sans doute, je peux tout à fait le concevoir, déplaire à certains lecteurs. Moi, j'avoue, j'en ai été, à ma grande surprise, complètement subjugué.
En exergue d'ORDESA, Manuel Vilas cite ces vers merveilleux de Violeta Parra :
« Merci à la vie, qui m'a tellement donné
Elle m'a donné le rire, elle m'a donné les pleurs
Ainsi je distingue le bonheur du malheur,
Les deux matériaux qui constituent mon chant,
Et votre chant à vous, qui est le même chant,
Et le chant de nous tous, qui est mon propre chant. »
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Autoportrait d'un écrivain espagnol, né probablement en 1963. A perdu ses parents, le récit nous livre des questionnements sur la filiation, les oubliés, les silences. Lecture au démarrage difficile mais avec boulimie on insiste, comme de peur de manquer. Manquer sa compréhension du monde, manquer ses mots impudiques, manquer son intimité qu'il nous dévoile, pourquoi d'ailleurs? On est témoin de ses souvenirs qui prennent plus ou moins consistances dans des chapitres parfois très courts. Profondément sincère, c'est effectivement le sentiment que je ressens aussi. Un sentiment d'absurdité de temps en temps. de la beauté aussi très souvent. de combat pour démêler les fantômes de sa vie. Je ne sais pas comment on peut écrire un ouvrage comme celui-ci. Je suis fascinée.
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Ordesa est le récit intimiste, que nous livre l'auteur sur sa vie, profondément marquée par la disparition de ses parents.

Une catharsis brute et infiniment poétique, sur un retour nostalgique d'un passé révolu, un regard honnête face à la mort, la maladie et la souffrance, la pauvreté, l'enfance, une célébration de faits infimes, de ces petits chaos du quotidien...un constat existentiel livré sans tabous.

L'auteur revient également sur son rapport aux drogues, aux ravages de l'alcool, portant également un regard satirique sur le mariage, la politique et ses comédies, la mort...

L'occasion également de se questionner sur les énigmes du passé, ces questions restées sans réponse, à ses rendez-vous manqués, de parler aux morts, aux fantômes du passé qui hantent le présent.

Un récit de confidences d'une grande beauté, où la plume de l'auteur nous embarque avec une force incroyable à travers cette Espagne pleine de vie et de complexités, d'une grande profondeur, et bien que se soit parfois plus piquant que la ronce, on en redemande !
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Suite au décès de ses parents, l'auteur décortique sa vie, leurs vies, la relation qu'il avait avec eux enfant, adulte. Chaque détail a son importance : les gestes de la vie courante, les comportements, l'impact des évènements. Il analyse ainsi le monde, la famille, la pauvreté. Une prise de conscience de la similitude de certains de ses comportements avec ceux de ses parents. Introspection, mélancolie, nostalgie et regrets se mêlent dans ce beau livre poétique.
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EN MOI RÉGNAIT LA DÉSOLATION
J'avais lu Ordesa de Manuel Vilas une première fois, il y a quelques mois. Et avait alors été relativement secouée et bien incapable de partager avec vous mon ressenti. Grâce au Prix Bookstagram, l'occasion m'a été donnée de découvrir une nouvelle fois cet ouvrage, 11e et dernier de la sélection de cette année. Et d'enfin poser des mots.
🔹️
Et c'est pour moi une très belle conclusion :
Parce que c'est un ouvrage que j'ai profondément aimé
Parce qu'il promet un beau débat, le jury étant assez divisé.
🔹️
Avant de rédiger ces lignes, j'ai ouvert le recueil Quelque chose noir de Jacques Roubaud, récit du deuil de sa compagne. Je n'ai tilté qu'en fin de lecture d'Ordesa du lien que je faisais entre les deux ouvrages. La perte d'un être cher, la poésie, le tâtonnement du poète face à la gestion de cette crise intime.
🔹️
Manuel Vilas évoque dans son texte, par fragments, comme des micro-fresques poétiques, la mort de ses parents. Son incapacité à accepter leur départ. Il ouvre les albums photos de son enfance, et part en explorateur. de ce qu'il a été, de ce qu'il est, de la vie de ses parents, de ses racines, de ce qu'ils lui ont transmis. Mais ce que j'ai aimé, c'est aussi cet art de décrypter la vie de la classe moyenne inférieure de l'Espagne à partir des années 1960.
🔹️
Alors oui, ce récit peut sembler décousu. Toutefois, Vilas l'assume, évoquant le caractère « chaotique » de sa narration, héritage maternel. Explorer et dépasser les limites du récit classique et linéaire, déstabiliser son lecteur : ce sont des expériences que j'apprécie toujours.
🔹️
Mais cette lecture, c'est selon moi une invitation à suivre l'auteur-poète dans ses déambulations, se perdre entre ses lignes, et se retrouver pris dans les filets de passages bouleversants. Et en filigranes, derrière l'amertume et la douleur, une invitation à la vie. Exprimée dès l'épigraphe, extrait d'une chanson de la Chilienne Violeta Parra : « Gracias à la vida, que me ha dado tanto. Me ha dado la risa y me ha dado el llanto. Así distingo dicha de quebranto… » (Très jolie d'ailleurs, allez écouter ! Il existe aussi une version réunissant Joan Baez et Mercedes Sosa bien canon).
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Je viens de boucler ce grand roman et en ressors lessivée autant qu'émue. Récit d'un homme cinquantenaire désormais orphelin, Manuel Vilas nous introduit dans les arcanes de sa famille domiciliée à Barbastro, dans la province de Huesca (juste en-dessous de la France).

Et quelle famille il eut ! Gens modestes qui ont toujours cherché à s'élever, ils ont malgré eux stagné dans la classe pauvre à moyenne basse. Ils sont ouverts au monde mais paradoxalement peu enclins aux obligations familiales (personne ne va aux enterrements et les contacts avec le reste de la famille sont inexistants, à croire qu'ils vivent en autarcie). La mère est une perfectionniste qui écume tous les salons de coiffure. Quant au père, il est un commercial de petite envergure qui est toujours bien apprêté. le charme incroyable de ce livre c'est que Manuel Vilas nous rend ses parents vivants, féroces dans leurs emportements mais incroyablement bienveillants. Lui est un acharné qui ne jure que par sa télévision, elle est une maladroite qui s'assume, brisant tout sur son passage.

Ce livre est touchant au plus haut point car il s'immisce dans une vaste galerie d'une famille espagnole, des années 50 à nos jours. Les petits défauts des personnages font le sel de l'histoire comme quand l'auteur raconte qu'il n'a pris un bain qu'à ses 18 ans. Avant, sa mère le toilettait à la manière d'un chat. On sent une sorte de tendresse dans ce qui peut s'apparenter à de la pauvreté.

C'est un hommage vibrant à la famille au sens élargi ! Quelques photos parsèment le récit mais, sa mère étant une pyromane ne laissant rien traîner, les traces sont rares et la mémoire demeure la seule garante des archives familiales. Manuel Vilas prénomme tous ses proches de noms de musiciens, comme dans une joyeuse cacophonie perpétuelle. Ouvrez donc ce livre et côtoyez la facétieuse Wagner et l'élégant Jean-Sebastien. J'ai tout fait pour faire durer ce livre et dois dire que je suis chagrinée de devoir laisser tous ses personnages si attachants.

Première critique pour cette rentrée et premier chambardement dans mon coeur de lectrice !
Lien : https://chezmelopee.wordpres..
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Il y a des livres qui, alors que la lecture n'est pas achevée, ni même la moitié parcourue, vous happent. Vous savez qu'une fois vos yeux à l'affut des mots, vous serez immédiatement en immersion. Ces livres-là vous font comprendre qu'ils vous marqueront, qu'ils vous accompagneront... Tel est "Ordesa" de Manuel VILAS, dans sa traduction d'Isabelle GUGNON.
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Manuel Vilas explore ici l'Histoire, « ce corps bourrelé de remords », en se promenant dans la petite histoire, la sienne. L'homme crie une solitude absolue après les décès consécutifs de son père et de sa mère. Tout ce qui a été ne sera plus, et le scandale est d'autant plus grand que les corps ont été incinérés.
Ce qu'il perçoit aujourd'hui comme une tentative de « gommer le cadavre ». Parce que la mort effraie. Et le décès d'un parent nous renvoie à notre propre finitude. Or, « rien n'est plus indigne que la grisaille de l'inexistence ». Ne reste maintenant qu'à trouver un sens à tout cela, alors qu'il ne reste que le vide. C'est donc pour redonner vie à ses disparus qu'il se souvient et tente de combler le néant, parce que quand il ne reste plus rien, il reste encore un livre, à quelque part.
Il y a dans ce texte des oublis et des imprécisions, peut-être parce que ses parents sont fils de la guerre. Des fils du silence, des fils de républicains qui ne « voulaient pas de mémoire ». Qui se taisent et ne conservent aucune photographie, créant ainsi une « aristocratie de la distance ». C'est une famille de pierres que la sienne, des pierres qui oublient les noms comme les enterrements, des pierres qui refusent la religion, peut-être parce que la devise des nationalistes était « Dios y la patria ».
Manuel Vilas raconte donc les siens à partir de petits riens, qu'il visite avec ferveur afin d'y débusquer l'essence première de ses parents. L'auteur dévoile tout d'eux, et ce faisant dit tout de lui. Il dit le regret de ne pas les avoir regardés, il dit que la seule littérature qui importe est celle de la vérité. Et que la seule vérité qui importe, « c'est que quelqu'un t'attende quelque part ».
ORDESA est un livre puissant, qui vous renvoie à votre propre finitude. A votre propre livre de vie. Parce qu'un jour, vous érigerez une chapelle. Parce qu'un jour, vous vous direz aussi, je vis « de l'espoir de vous revoir, maman, papa. Je ne suis fait que de l'espoir de vous revoir ».
Lien : https://1dex.ch/2022/08/aime..
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