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Eduardo Viveiros de Castro (Autre)Ailton Krenak (Autre)Julien Pallotta (Traducteur)
EAN : 9782367510248
64 pages
Dehors (30/06/2020)
4/5   6 notes
Résumé :
Les peuples autochtones d'Amérique du Sud ont connu une forme de fin du monde au xvie siècle après l'invasion de leurs terres par les Européens. Dans ce petit livre Ailton Krenak, figure éminente des luttes autochtones du Brésil, se demande en quoi cet héritage ne pourrait pas fournir un regard averti pour affronter les conséquences du nouveau régime climatique de l'Anthropocène. Cette parole, véritable anthropologie inversée, se situe au lieu d'un renversement de p... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Ailton Krenak appartient au peuple Krenak dont le territoire se situe dans la vallée du Rio Doce, dans l'État du Minas Gerais, au Sud-Est du Brésil, et dont l'environnement est affecté par les extractions minières. À la fin des années 1980, il participe à la création de l'Union des nations indigènes, milite et organise l'Alliance des peuples de la forêt. Il interroge ici l' « idée d'humanité » construite au long de « ces deux ou trois mille ans » : « La colonisation du monde par l'homme blanc européen a largement été guidée par le principe qu'une humanité éclairée devait aller à la rencontre d'une humanité, restée dans l'obscurité sauvage, pour l'irradier de ses lumières. Cette aspiration au coeur de la civilisation européenne a toujours été justifiée par le postulat qu'il n'existe qu'une manière d'être ici sur la Terre, une certaine vérité, ou une conception de la vérité, censée guider la plupart des choix effectués à différentes périodes de l'histoire. »
« Si nous sommes une seule humanité, comment justifier que, selon de savants calculs, près de la moitié de celles et ceux qui la composent soient totalement dépossédés des conditions minimales qui leur permettraient de subvenir à leurs besoins ? La modernisation a poussé ces gens hors des campagnes et des forêts pour en faire de la main-d'oeuvre, et aujourd'hui ils s'entassent dans des favelas en périphérie des métropoles. Ces gens ont été arrachés à leurs collectifs, à leurs lieux d'origine, et ont été jetés dans ce broyeur appelé “humanité“. »
(...)
Ce recueil de textes de conférences, prononcées à Lisbonne en 2017 et en 2019, permet d'avoir un accès direct et rare, du moins en langue française, à la parole d'un intellectuel et activiste indigène, d'entendre l'expression d'une certaine « cosmovision », sans passer par le filtre de l'anthropologie.

Article complet sur le blog :
Lien : http://bibliothequefahrenhei..
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Ce livre très court rassemble trois transcriptions de conférences d'Ailton Krenak, indien du Brésil, militant pour les droits des peuples autochtones et pour l'environnement. Il donne sa perspective sur l'idée d'humanité, et les dégâts faits en son nom depuis les colonisations, jusqu'à la destruction du monde en cours. En parallèle, il propose de s'inspirer de l'expérience des peuples amérindiens, qui ont déjà survécu à une "fin du monde", et aussi de leurs rapports à la Terre, équilibrés contrairement à ceux des occidentaux.

"La colonisation du monde par l'homme blanc européen a été guidée par le principe qu'une humanité éclairée devait aller à la rencontre d'une humanité, restée dans l'obscurité sauvage, pour l'irradier de ses lumières. Cette aspiration, au coeur de la civilisation européenne, a toujours été justifiée par le postulat qu'il n'existe qu'une manière d'être ici sur la terre, une certaine vérité, ou une conception de la vérité, censée guider la plupart des choix effectués à différentes périodes de l'histoire."

L'humanisme et sa vérité sont, pour les peuples indigènes, synonyme d'extermination. Les institutions internationales, sous couvert de préservation, prolongent la démarche impérialiste des colonisations, et contribuent à déraciner les autochtones de leur terres et de leur identité, intrinsèquement liée à la terre. Ensuite, les entreprises peuvent exploiter la terre d'un côté et les individus de l'autre. Nous vivons maintenant dans des environnements parfaitement artificiels, produits par ces entreprises qui transforment tout en marchandise : forêts, montagnes et fleuves.

Nous sommes attachés à une image fixe : la Terre est inépuisable et au bénéfice exclusif de l'humanité. Plus qu'une idéologie, c'est un imaginaire collectif constitué sur de longues périodes et dont nous héritons de nos ancêtres.

Ce qu'on appelle la fin du monde serait une interruption dans ce processus de plaisir extatique dont nous voudrions qu'il dure éternellement. L'incertitude que nous ressentons, cette profonde crainte de la chute, est synonyme d'abandon.

Nous avons créé cette abstraction d'unité : l'homme comme mesure de toute chose. Sur cette base nous avons tout écrasé sur la planète jusqu'à ce qu'il n'existe qu'une humanité à laquelle s'identifier, agissant sur un monde à sa disposition. Cette humanité devenue uniforme se sépare irrémédiablement de la Terre, cet organisme dont elle fait pourtant partie et dont nous en sommes venus à penser qu'elle est une chose et nous une autre.

En opposition à cette uniformisation du monde, Ailton Krenak expose la conception de peuples indigènes quand à leur rapport à la Terre. Ces peuples ont déjà vécu une fin du monde avec l'arrivée des colons au XVIè siècle, mais les survivants sont aujourd'hui encore capables d'habiter sur cette planète en partageant une cosmovision complètement différente, en vivant dans leurs milieux de telle manière que chaque chose est pourvue de sens. Ces gens dansent, chantent, font tomber la pluie et pour eux, les pierres, les montagnes, les rivières ont une personnalité. Les hommes communiquent et communient avec elles. Tout est nature.

"Nombre de personnes ne sont pas des individus, mais des sujets collectifs qui tissent des relations sociales avec tout ce qui les entoure, et sont parvenus à transmettre leurs visions du monde à travers le temps. Je me nourris de la resistance obstinée de ces peuples qui gardent une mémoire profonde de leur terre. Dans le monde amazonien, les humains ne sont pas des êtres d'exception, qui seraient les seuls à avoir une perspective sur l'existence. Ils partagent cela avec beaucoup d'autres qu'humains, si bien que tous sont sans cesse préoccupés par leurs relations. Chanter, danser et vivre l'expérience magique de suspendre le ciel est une chose partagée par beaucoup de traditions. Suspendre le ciel c'est élargir notre horizon; non pas l'horizon que nous pourrions conquérir, mais notre horizon existentiel. C'est enrichir notre subjectivité, qui est aussi ce que l'époque veut consommer. S'il existe une aspiration à consommer la nature, il en existe aussi une à consommer les subjectivités, nos subjectivités."

Pourquoi ces récits ne nous enthousiasment pas ? Pourquoi faisons nous le choix de les réfuter au profit d'un récit globalisant et superficiel ?

Nous avons été, pendant très longtemps, conditionnés par la fable que nous sommes l'humanité. Résister à cette idée et tenter d'entrer en contact avec un autre point de vue suppose d'écouter, de respirer, de ressentir et de sentir avec les différentes couches composées à la fois des êtres qui nous entourent, mais aussi des paysages, et de toutes sortes d'entités, restées hors de nous et qui se confondent avec ce qui peut être désigné comme la "nature".

Finalement l'auteur explique que, dans de nombreuses cultures, la nature est synonyme du rêve. Ce lieu, l'homme civilisé ne peut pas le nommer car il n'en éprouve pas le sens profond. Ce lieu, qui nécessite un apprentissage pour y accéder, permettrait de trouver des ressources pour amortir la chute de notre monde qui s'écroule. Il nous invite à nous initier à ces pratiques.

Développons nos forces pour raconter une histoire de plus, un autre récit. Si nous y parvenons, alors nous retarderons la fin du monde. Alors nous allons vivre avec la liberté que nous serons capables d'inventer, celle qui résistera au marché.

Ce livre est très précieux car il donne le point de vue d'un homme issu d'une société indigène, sans même le filtre de l'anthropologie. On pourrait lui reprocher son manque de structure dans l'enchaînement des idées, mais c'est sans doute le propre de la transcription d'une parole. Il m'a fallu plusieurs lectures, et même l'écriture de cette synthèse (qui reprend mot à mot plusieurs formulation du livre) pour comprendre les articulations du raisonnement de l'auteur. Au delà du constat dramatique de la destruction engendré par notre idéologie, il nous invite à une remise en question radicale de notre point de vue et propose des moyens de s'en extraire.
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Idées pour retarder la fin du monde

Ailton KRENAK est une des figures emblématique des mouvements ethniques d'Amérique du Sud et plus particulièrement du Brésil. Je n'en dis pas beaucoup plus car il est intéressant à mon sens d'aller voir par soi-même la biographie du personnage (1), qui d'ailleurs est sommairement dépeinte en ouverture. Ce petit opus d'une cinquantaine de pages est composé de trois textes issus d'entretiens ou de conférences entre 2017 et 2019.

En guise d'introduction et en fin spécialiste, Ailton KRENAK revient sur l'Histoire de la colonisation en Amérique du Sud en resituant le contexte philosophique occidental de l'époque – qui ne semble pas s'être dissout au fil des siècles – l'Homme Blanc comme détenteur de la Lumière et dont la vocation est d'aller « à la rencontre d'une Humanité, restée dans l'obscurité sauvage [...] ». Il note d'ailleurs avec une crue pertinence que cette « aspiration » européenne trouve sa justification dans le « postulat qu'il n'existe qu'une manière d'être sur Terre ».
Cette remise en cause de l'unicité de ce qu'il nomme la « cosmovision », la façon de se représenter le monde, est la clé de voute de son discours. Tout en analysant les méfaits et l'absurdité de la logique de la « marchandise », il présente les façons de concevoir le monde d'ethnies pour lesquelles le rapport à la Terre n'a pas été altéré, voire supprimé, dans la création d'un imaginaire humain hors de la « Nature ». « Il y a l'humanité respectable, et il y a une couche organique, plus brute, rustique, cette sous-humanité est composée de gens qui s'accrochent encore à la Terre ». Ce terme de « sous-humanité » est lui aussi volontairement provocateur pour nous faire prendre conscience du dédain avec lequel nous considérons les peuples respectant leur lieu de vie et leurs traditions depuis des siècles ; résistants forcené à l'envahisseur et ses velléités de domination.
Krenak en profite d'ailleurs pour étrier au passage ce « mythique » développement durable : « pour faire quoi ? », « Que s'agit-il de faire durer ? », des questions auxquelles peu nombreux sont ceux à pouvoir répondre.
Si ces peuples, dont notre société occidentale dévore les territoires, ont réussi à résister durant ce temps, c'est avant tout, explique Krenak grâce à leur façon d'envisager leur monde, leur Terre, sans s'en extraire mais en étant fier d'en être que des éléments parmi tant d'autres : animaux, plantes, rochers, rivières, montagnes. Il développe une succincte critique de l'Anthropologie biaisée par le prisme occidental comme ce fût longtemps le cas jusqu'au début du XXème siècle – et encore maintenant à bien des égards.
Toujours autour de l'auto-centrage d'une vision unique de l'Humain, il généralise le problème de cette attrait pour l'unité standardisée : « Les avancées de la monoculture généralisée à toute chose causent la perte de la diversité de la vie et des modes d'existence », image que de nombreux écologues ne renieraient pas.

La voix d'Ailton KRENAK apporte une réflexion précieuse de par son point de vue sur la période que nous vivons et que certains résume sous le terme « anthropocène », à la fois en remettant en cause le principe d'une Humanité qui se devrait d'être unique tout en pointant les postulats mortifères sur lesquels reposent notre « marchandisation » de la « Nature ». Si le texte est cours et concis, il n'en perd pas sa force, portée par les convictions, l'expérience et la culture vivante de cet « indigène-moderne ».

Une lecture agréable et un point de vue pertinent qui peut être complété par les oeuvres de Descola pour l'aspect Anthropologie, ainsi que par Piggnochi ou encore par Anna BEDNIK et son passionnant ouvrage sur l'Extractivisme pour en savoir plus sur la dévastation de la Terre et des peuples sous la pression du profit.
Quelques photos en noir et blanc ornent également les premières pages de l'ouvrage en faisant forte impression.



(1) https://en.wikipedia.org/wiki/Ailton_Krenak
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Ce leader autochtone brésilien devenu un célèbre militant écologique présente le texte de conférences où il exhorte de renverser la prétentieuse référence à «l'Humanité» pour bâtir une vision du monde bâtie sur un nouveau récit où chaque élément a une âme qui peut nourrir notre sens de l'existence sur terre, et où l'humain doit nourrir ses subjectivités de ses rêves. Un appel plein d'espoir qui met la poésie au coeur de la vie. Très stimulant.
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critiques presse (1)
NonFiction
03 août 2020
Sous la forme d’une belle édition, trois textes, originellement des conférences parues en portugais (Brésil), entièrement révisées par l’auteur pour l’édition française, arrivent à nous.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
La colonisation du monde par l’homme blanc européen a largement été guidée par le principe qu’une humanité éclairée devait aller à la rencontre d’une humanité, restée dans l’obscurité sauvage, pour l’irradier de ses lumières. Cette aspiration au coeur de la civilisation européenne a toujours été justifiée par le postulat qu’il n’existe qu’une manière d’être ici sur la Terre, une certaine vérité, ou une conception de la vérité, censée guider la plupart des choix effectués à différentes périodes de l’histoire. 
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Si nous sommes une seule humanité, comment justifier que, selon de savants calculs, près de la moitié de celles et ceux qui la composent soient totalement dépossédés des conditions minimales qui leur permettraient de subvenir à leurs besoins ? La modernisation a poussé ces gens hors des campagnes et des forêts pour en faire de la main-d’oeuvre, et aujourd’hui ils s’entassent dans des favelas en périphérie des métropoles. Ces gens ont été arrachés à leurs collectifs, à leurs lieux d’origine, et ont été jetés dans ce broyeur appelé “humanité“.
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Alors que l’humanité est partout poussée à quitter son sol, les grandes entreprises très intelligentes, elles, s’emparent de la Terre. Nous, l’humanité, nous vivrons dans des environnements parfaitement artificiels, produits par ces mêmes entreprises qui dévorent les forêts, les montagnes et les fleuves. Et ils sont prêts à inventer n’importe quoi pour nous maintenir dans cette situation, dépossédés de tout, et si possible, pourvu que nous absorbions beaucoup de médicaments. Après tout, il faut bien faire quelque chose des déchets qu’ils produisent. On pourrait résumer ce reste à un tas d’objets destinés à nous divertir, et à une montagne de médicaments.
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Notre époque s’est spécialisée dans la création du manque : de sens pour la vie en société, de sens pour l’expérience de la vie elle-même. Cela engendre une très grande intolérance à l’égard de quiconque est encore capable d’éprouver le plaisir d’être en vie, de danser, de chanter. Et il y a plein de petites constellations de gens éparpillées dans le monde qui dansent, chantent, font tomber la pluie. Le genre d’humanité zombie que nous sommes appelés à intégrer ne tolère pas tant de plaisir, tant de jouissance de la vie. Alors, il ne leur reste, comme moyen de nous faire abandonner nos propres rêves, qu’à prêter la fin du monde.
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S’il ne fait aucun doute que le développement de technologies efficaces nous permet de voyager d’un endroit à un autre, que ces équipements facilitent notre déplacement sur la planète, il est également certain qu’ils s’accompagnent d’une perte de sens de nos déplacement. 
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Video de Eduardo Viveiros de Castro (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Eduardo Viveiros de Castro
Intervention de l'anthropologue Eduardo Viveiros de Castro lors du colloque "Gaïa face à la théologie" le 7 février 2020. #bernardins#ecologie#colloque
En savoir plus : https://bit.ly/34CQMin
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