Même si, avouons-le d'emblée, je n'ai pas aimé "Les Larmes de Brouages", je tiens à remercier Babelio et les éditions "In octavio" pour cet ouvrage que la dernière masse critique m'a permise de découvrir. On ne peut pas tomber juste à chaque fois et au fond, ce n'est pas si grave.
"Les larmes de Brouages" se propose de retracer l'amour fou du tout jeune
Louis XIV et de
Marie Mancini, la nièce de Mazarin, une passion qui se termina comme souvent par un renoncement face à la raison d'état et des larmes, un feu même qui dit-on inspira à Racine ce vers magnifique de Bérénice: "Vous êtes empereur, Seigneur, et vous pleurez".
L'histoire est romanesque -comme toutes les amours du Roi-Soleil- et mérite qu'on s'y attarde, qu'on la traite sur le mode biographique, historique (historiciste même) ou qu'en en fasse un roman.
Le fait est que quelque soit l'approche choisie, le résultat sera très différent mais qu'il parait compliqué de mêler ces deux voies. Or, c'est là que le bât blesse: le livre se présente comme une "biographie romancée" ce qui me semble un exercice très, très périlleux. Parfois, bien sûr, c'est une réussite et j'en veux pour preuve le très bon "
Frieda, la véritable histoire de Lady Chatterley" d'
Annabel Abbs. Parfois, c'est médiocre voire raté et c'est la sensation que m'a laissé "Les Larmes de Brouage". Je vais tenter de m'expliquer et de le faire sans maladresse.
Férue de romans historiques, friande de XVII°siècle, je n'aime rien tant que les romanciers qui "emploient" des figures historiques, qui les "malmènent" un peu pour les transformer en personnages. C'est malin, c'est souvent passionnant et de bonne guerre. Dumas l'a fait par exemple et on sait fort bien aujourd'hui que sa Margot et sa Catherine de Médicis n'ont pas grand chose à voir avec la véritable
Marguerite de Navarre et sa royale mère, comme on sait que son
D Artagnan est bien plus passionnant que Charles de Batz Castelmore d'Artagnan. C'est décevant, mais c'est ainsi.
Passionnée d'Histoire également, je ne dédaigne pas les biographies ou les travaux d'historiens sur les êtres et les périodes qui m'intéressent.
Je trouve passionnante la créativité des premiers et j'idolâtre la rigueur des seconds qui souvent, tout en faisant oeuvre d'historiens, peuvent se fendre d'une belle plume pour relater des faits, les analyser et pourquoi pas les interpréter.
Ainsi, dans une biographie, on peut analyser les paroles d'un personnage, faire des hypothèses sur ses pensées en adéquation avec les faits, les témoignages, les correspondances, les interpréter. Dans un roman, on peut les inventer, en adéquation avec le modèle et y ajouter des sentiments, des émotions...
C'est l'une des choses qui m'a gêné dans l'ouvrage: l'usage du point de vue interne est omniprésent. On est dans la tête du roi, de sa bien-aimée, de leurs proches et l'auteur leur confère leurs pensées, des sentiments; Clairement, ça ne passe pas (ça ne peut et ça ne doit pas passer!) dans une biographie, surtout quand c'est rédigé avec tant de sentimentalisme précieux et dégoulinant. Ainsi, d'un point de vue romancé, c'est très bien. Pour le côté biographique, historique, on repassera. A l'inverse, la narration au présent, très chronologique et un peu aride pourrait très bien convenir à un travail historique mais pour l'aspect romancé, c'est raté.
De plus, et si elle n'est pas désagréable, l'écriture pèche par trop de mièvreries (n'est pas confiseur qui veut) et de préciosité (n'est pas non plus
Madame de Lafayette qui le souhaite). Pour un texte qui se veut biographique, cela manque de pertinence. Pour le côté romancé… Oui, d'accord, c'est un parti pris… Mais c'est vraiment trop plein de guimauve. Les atermoiements amoureux du roi sont développés avec trop de lyrisme, trop de bleu pastel… Certes, il état jeune et amoureux, mais la mièvrerie. Non. Je vais vomir et je passe mon tour.
Enfin, j'ai été un peu gênée par l'interprétation proposée: je ne nie pas qu'un premier amour demeure inoubliable, qu'il marque pour toujours mais supposer que cette idylle avec Marie colora de son romantisme toute la vie sentimentale à venir du roi et sa vie tout court… Je trouve cela peu convaincant. C'est l'issue qu'aurait inventé un romancier. Dans la "vraie vie", les choses durent être moins tranchées, plus compliquées et forcement moins jolies et romanesques.
J'ai vraiment eu l'impression de lire une version édulcorée et fantasmée de l'histoire… Un roman se voulant oeuvre d'Histoire. Un oiseau qui voudrait être un poisson (ou l'inverse).
Je n'aime guère les étiquettes, mais il me semble que ce livre aurait gagner à choisir un camp et à s'y tenir plutôt que d'osciller entre la biographie et le roman et de n'être convaincant dans aucun.
C'est d'autant plus dommage que l'auteur a accompli en amont un formidable travail de documentation, qu'elle a collecté de merveilleuses citations de Racine qui ont pris place dans son récit à chaque étape importante de l'idylle. Ce parallèle entre "Bérénice" et
Marie Mancini était une très bonne idée, clairvoyante et belle. Cela aurait pu être, pourquoi pas, le véritable fil rouge du livre, son point de départ et d'analyse.
Les seules larmes que m'auront fait verser le roi et sa maîtresse ici furent de lassitude. Les seuls sentiments qu'ils auront convoqué: l'ennui assorti d'une tenace sensation de ratage et d'écoeurement.
M'en vais relire Dumas, moi. Et Simone de
Bertière. Et tiens, tant que j'y suis: Racine aussi.