Chronomachine lente

Mon destin à moi, Juif Errant des routes en feu, c’est de rôder plus loin, toujours plus loin, autour de la Tache de Considine, avec des rations et de l’essence pour mon buggy – gratuites – avec la haine, à la rencontre de mes adorateurs, bourreaux, météorologues (la météorologie n’a-t-elle pas absorbé toutes les autres sciences ?) encore et encore submergé par un délire de mots débordant de la bouche de Tezcatlipoca – sarcasmes, exigences, supercheries, malédictions, tout un essaim de paroles venues d’ailleurs et transmises par ma bouche, comme des oiseaux captifs qu’on a libérés, comme les âmes de ses victimes fuyant vers le ciel.

Tu ne ressens plus de certitude ? C’est parce que tu as perdu ce qui donne la conviction, la foi, la croyance. Je sais. Parce que j’ai toujours la mienne, répandue dans tout mon être. Mais la tienne s’est rétrécie, elle s’est coagulée depuis des mois maintenant. Elle a quitté tes lèvres, ton cœur, tes doigts. Elle a quitté tes yeux, ton ventre, ton pénis. Elle a battu en retraite, elle s’est ramassée sur elle-même pendant tout ce temps, je le sais.

Un philosophe peut découvrir par la simple réflexion des vérités universelles. Un homme d’affaires peut échafauder des empires. C’est le conditionneur ultime. Les cheveux repoussent – les cellules même du cerveau se régénèrent. L’impuissant retrouve sa virilité. Le système immunitaire est capable de dévorer n’importe quel cancer, si métastasé soit-il. Mais ils ne peuvent récolter que les arbres adultes – pour avoir une section transversale suffisante de circuits supraconducteurs.

Le cancer n’est pas l’ennemi, l’intrus que nous croyons. C’est un vieil, vieil ami. Une partie de la Grande Administration Conservatrice, celle qui veille sur tout notre héritage génétique et le garde intact ! C’est une administration à l’esprit féroce, je te l’accorde. Elle doit l’être, pour être restée au pouvoir pendant un milliard d’années et plus. Thibaud était fasciné quand je lui ai décrit les grandes lignes de ma théorie.

Le hara-kiri n’est pas un simple processus de suicide ; c’est un raffinement de l’autodestruction, et nul ne peut l’accomplir sans le plus grand calme et la plus grande maîtrise de soi…