Ostende 1936, un été avec
Stefan Zweig, de
Volker Weidermann, éd. Piranha
Pour diverses raisons personnelles, Ostende 1936 était à lire.
Le livre raconte un été d'attente, près d' une plage insouciante, quand la guerre est aux portes de l'Espagne, et que Hitler fait peur. Les Juifs sont en ligne de mire. Les écrivains émigrés s'interrogent.
Parmi eux,
Stefan Zweig (1881-1942) et
Joseph Roth (1894-1939) Zweig fait venir Roth à Ostende, parce qu'il a besoin de lui pour une question religieuse importante dans la nouvelle qu'il est en train d'écrire,
le chandelier enterré, et parce qu'il veut jouer son rôle de frère auprès de Roth, désargenté, en désarroi sentimental, alcoolique, réclamant les conseils littéraires de Zweig.
Ces deux hommes s'opposent par bien des points, le plus âgé est un Juif de l'Ouest, appartient à l'intelligentsia, connaît le succès, est riche, vit avec une femme qui lui fait du bien, Lotte Altmann (1908-1942); le cadet est un Juif de l'Est, pauvre, dont les livres sont interdits, et sa compagne vient de faire une dépression nerveuse. L'alcool l'abîme.
Mais ils s'aiment. Roth admire Zweig qui voit en lui un vrai poète.
Ostende est la ville d'
Ensor (1860-1949) l'homme qui fêtait la mort. C'est une ville de Belgique, qui représentait pour Zweig le pays de la vitalité dont le poète Verhaeren (1855-1916) sa première admiration littéraire, était une figure. Mais la guerre de 14 les a séparés, Verhaeren ayant écrit des poèmes de haine, et Zweig ne voulant qu'aimer.
En 36, Ostende réunit un groupe d'émigrés, pessimistes sur l'Espagne, le devenir de l'Autriche, des Juifs, de l'Allemagne, et de ce qui fut l'empire austro-hongrois. Zweig veut continuer à croire en ce monde civilisé, Roth a la nostalgie de la monarchie des Habsbourg.
Cependant, cet été-là est magnifique comme un soleil couchant; les deux amis sont réunis, et écrivent à quatre mains, se lisant et se corrigeant mutuellement. Roth rencontre
Irmgard Keun avec qui il forme un couple heureux.
Ensor n'est pas à Ostende alors.
Mais après le départ de Zweig et de Lotte, les choses vont mal. Pour Roth dont l'éditeur ne veut plus publier les livres, qu'Irmgard est obligée de quitter, et son pays va être annexé. Il meurt à Paris, il est une épave. Pour Zweig, c'est d'abord l'euphorie à Rio, mais le désespoir de voir l'écroulement de son monde le conduit au suicide, trop impatient qu'il est de voir se lever une nouvelle aurore. Il a aussi perdu l'amitié avec
Romain Rolland, pacifiste puis communiste puis fanatisé, alors que Zweig voulait lutter contre la haine avec ce qu'on avait à l'intérieur de nous.
En 2012, il ne reste rien de l'Ostende de 36, aucune trace sauf la maison d'
Ensor, mort à 89 ans.
C'est un livre qui met mal à l'aise, les temps sont dramatiques, les vies bouleversées, il faut agir selon ses convictions, et on est finalement impuissant. Zweig était contre la guerre, et sans aucun doute Roth était son frère. Toute vie est complexe, et encore plus en des temps troublés; l'amitié est contaminée par cette complexité et ces troubles.
Il reste à lire Anton, ce court récit de Zweig, où il nous donne son idéal d'humanité, et
La légende du saint buveur de Roth, où il semble qu'on puisse lire l'histoire de l'amitié entre Zweig et lui-même, d'après V. Weidermann.
le livre de ce dernier a le mérite de nous faire passer l'été 36, très incertain politiquement et humainement, mais en compagnie de Zweig et de Roth, ce qui est quand même quelque chose.