- La Montagne ? (...). Voilà longtemps que la police aurait dû balayer toute cette engeance malsaine. Mais on avait peur (...).Non, pas un gendarme (..) qui ait osé s'aventurer là-haut... Quand on entend dire qu'il se passe quelque chose à la Montagne nos conseillers municipaux détournent la tête... et votent des crédits supplémentaires pour l'embellissement de l'abreuvoir communal !
Par un de ces après-midi, Charity Royall s'était étendue sur une hauteur, au-dessus d'une prairie ensoleillée. Son visage, caché dans l'herbe, se grisait de la chaude haleine de la terre qui semblait courir dans ses veines. Juste en face d'elle, une branche de ronce profilait, sur le ciel clair, ses fleurs blanches, si frêles, et ses feuilles d'un vert bleuâtre. Un peu plus loin, une touffe de fougères se dressait parmi les herbes folles où voletait, comme une tache de soleil, un papillon jaune.
C'était là tout ce qu'elle voyait ; seulement elle sentait, au-dessus d'elle, la douce et forte vie de la nature, la croissance des hêtres couvrant le sommet de la colline, le gonflement des cônes d'un vert pâle sur les branches des sapins, la poussée des myriades de fougères dans les interstices des rochers dévalant sur la pente, l'éclosion des reines-des-prés et des iris d'eau dans les pâturages humides. Tout ce bouillonnement de sève, ces bourgeons éclatants, ces calices s'ouvrant, emplissaient l'air de mille odeurs confondues. On eût dit que chaque tige, chaque feuille, chaque bouton donnait sa note dans ce concert harmonieux, suave et pénétrant où l'arôme puissant des sapins dominait sur la senteur du thym et le parfum subtil des fougères, pour se perdre dans une odeur de terre humide pareille à l'haleine d'une bête géante se chauffant au soleil.
Son coeur était ravagé par la découverte la plus cruelle que la vie nous réserve : le premier être humain venu vers elle à travers le désert de son existence lui avait apporté l'angoisse au lieu de lui apporter la joie.
Pendant un moment, ce qu'il disait alors - et quelque chose dans sa manière de le dire - lui avait fait comprendre pourquoi cet homme lui était toujours apparu si solitaire.
Vous dites que vous vous moquez de ce que l'on dit de vous. Mais vous êtes la fille la plus fière que je connaisse, et jamais vous n'admettriez qu'on vous critiquât. Or, vous savez bien qu'il y aura des jaloux pour vous épier.
Maintenant, tout à coup, elle le vit déjà détaché d'elle, repris par l'inconnu, murmurant à une autre des choses qui provoquaient ce même sourire que, si souvent, il avait fait fleurir sur ses lèvres. Le sentiment qui s'emparait d'elle n'était pas la jalousie : elle était trop sûre de son amour. C'était plutôt une terreur de l'inconnu, de toutes les attractions mystérieuses qui devaient déjà entraîner son amant loin d'elle, et de son impuissance à lutter contre ces influences.
« Sans doute il y avait dans son sang quelque chose qui l’attirait toujours là-bas à la Montagne, comme si c’était la seule réponse à ses questions, le seul moyen d’échapper aux angoisses qui l’assiégeaient de toutes parts. » (p. 208)
La nuit avait été si calme que la rosée était demeurée partout suspendue, non comme une buée légère mais en gouttes translucides qui frangeaient les fougères et posaient des diamants dans les herbes.
Croyez-moi, vous tous qui m'écoutez, la meilleure façon de faire du bien là où l'on vit, c'est d'y vivre en étant heureux d'y vivre.
" Et parfois elle se demandait lequel des deux était le plus mort, de lui dans son tombeau, ou d'elle dans sa bibliothèque ! "