Ce
Gordon Zola est un type tout à fait étonnant. Auteur comique prolifique (des dizaines de romans) et éditeur indépendant, il dévide les plaisanteries, les jeux de mots et autres calembours à longueur de pages avec une facilité tout à fait déconcertante. J'avais déjà eu l'occasion de lire un de ses pastiches de Tintin (qui lui ont valu des ennuis avec les héritiers d'
Hergé, mais la justice lui a finalement donné raison) et un autre roman sur l'affaire Denoël, l'éditeur (concurrent de Gallimard) assassiné d'une balle de révolver à la libération. Une sombre et ténébreuse histoire que cette affaire Denoël traité par notre
Zola avec son humour habituel dans la forme mais aussi tout à fait sérieusement sur le fond. Déjà, à la lecture de ce deuxième livre, j'avais senti que cet auteur valait mieux que la case légère et inutile où ceux qui se piquent de littérature doivent l'avoir rejeté sans pitié en raison de la forme comique de ses romans.
Or,
Gordon Zola, c'est tout autre chose. Ou, plus précisément, cela peut être tout autre chose (je ne m'engagerai pas sur les dizaines de romans qu'il a produit et que je n'ai pas lus). Car, en retraduisant et en revisitant un grand classique, le fameux
1984 de
Georges Orwell, il réalise un tour de force dont peu d'auteurs, assurément, peuvent se vanter d'être capables.
D'abord, il y a la langue. Même si la langue n'est pas tout, en littérature, elle a tout de même sa petite importance. Et
Gordon Zola écrit bien. On pourrait s'en étonner (et pourquoi grand Dieu ?), mais il écrit très bien, excellemment même. L'écriture est fluide, équilibrée, construite, balancée. Et cet aspect n'y est pas pour rien dans le plaisir de la lecture de ce gros livre (350 pages denses dans une belle édition cartonnée). On savoure par moment, car il n'est pas donné fréquemment à notre époque de lire un texte bien écrit.
L'humour est là aussi. Et il est vrai, on le vérifie encore, que
Gordon Zola possède une tournure d'esprit peu commune capable de retourner les phrases et les expressions, de les tordre et de les transformer pour en tirer du jus comique. Ce n'est pas toujours absolument excellent, mais c'est souvent drôle et réussi. En plus, j'ai dû en louper quelques kilos, car j'ai souvent été pris par un autre aspect de la lecture.
Cet autre aspect, c'est la parfaite transposition réalisée par
Gordon Zola du
1984 orwellien à la période sanitaire covidique que nous avons vécue. Ou plutôt, pour le dire autrement, poussant plus loin le curseur de la période sanitaire totalitaire que nous avons vécue, il a su montrer que son fonctionnement constituait la base d'une société qui peut tourner à la dictature en moins de mots qu'il ne faut pour l'écrire. Son Blouse Brother est aussi terrifiant que le Big Brother d'Orwell. Tout y est. Effrayant. Et ce n'est pas la moindre des réussites de ce livre que de faire comprendre comment un virus (le Grand Virus) peut servir de prétexte et de moyen pour asservir les peuples. Je n'entrerai pas dans les détails, ce serait trop long. Ceux qui veulent savoir liront, les autres ne liront pas.
Par la même occasion, sans s'en rendre compte (en fait c'est tout à fait inexact, on s'en rend parfaitement compte), cette transposition de
1984 étant d'une fiabilité millimétrée, on relit le roman d'Orwell pour la seconde fois. Et c'est un nouveau et très inhabituel plaisir de lecture que de lire deux romans en un seul.
Deux réserves cependant. Si je me suis senti en phase tout au long du livre, adhérant aux réflexions multiples très profondes et pertinentes qui le parsèment, j'ai tiqué à deux reprises. La première est que
Gordon Zola a une vision des femmes qui est, disons-le gentiment, conservatrice. A mon avis, sur ce point, il a du chemin à parcourir. Heureusement, ce ne sont que quelques réflexions ou situations, rares vu la densité du roman, qui me font dire cela (mais c'est net et indiscutable). S'en rend-il compte, je ne saurais le dire (faudrait que j'en discute avec le bonhomme). La seconde réserve se trouve dans la lecture du livre interdit de Goldstein que Winston s'est procuré. Il s'y lit un paragraphe assez sidérant (page 233) où on comprend que notre
Zola ne croit pas au réchauffement climatique. Là aussi, notre auteur a du chemin à parcourir. Bon, disons que personne n'est parfait (ce qu'on sait déjà tous).
Malgré ces deux réserves qui toutefois me chagrinent profondément car, sans elles, ce roman était parfait (si, si parfait) et remarquable (si, si, remarquable), je vais friser le 5 étoiles que j'aurais bien aimé mettre. Dommage.