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Meurtre et mystère en terre natale

Interview : Joël Dicker à propos de L'Énigme de la chambre 622

Article publié le 27/05/2020 par Solène Spiguelaire

 

« Que sommes-nous prêts à faire pour défendre les gens qu’on aime ? »

Lauréat du Grand Prix du roman de l'Académie française et du Prix Goncourt des lycéens, Joël Dicker est un véritable phénomène littéraire. Repoussée de deux mois suite à la crise du coronavirus, la sortie du nouveau roman policier de l'écrivain genevois était attendue par de nombreux lecteurs, sur Babelio et partout ailleurs.

Nous avons rencontré l'auteur à l'occasion d'une interview au sujet de L'Énigme de la chambre 622, son cinquième roman, publié ce 27 mai. Un polar haletant où se succèdent rebondissements et enjeux narratifs, et qui plonge le lecteur au sein d'une enquête entre Genève et les Alpes suisses. Dans cet entretien, Joël Dicker présente son hommage à son éditeur, son processus créatif et sa propre quête identitaire.

 

Joël Dicker © Jeremy Spierer


On rencontre de nombreux écrivains dans vos romans : il semble s’agir d’un motif récurrent dans vos livres. L’Énigme de la chambre 622 ne déroge pas à cette règle, puisque l’un des personnages principaux n’est autre que vous-même, un écrivain s’efforçant de trouver l’inspiration pour son nouveau roman. Au-delà de votre implication personnelle, pourquoi cette envie d’écrire sur ce métier ?
 
Il y a beaucoup de questions que je me pose encore sur ce métier. Est-ce vraiment un métier ? La plupart des professions sont définies par des règles ou des cursus : un peintre ira aux Beaux-Arts, un musicien suivra un cursus au Conservatoire. Ce n’est pas le cas de l’écriture. Il n’existe pas d’autorité permettant de définir le statut d’un écrivain comme étant professionnel. Je me pose beaucoup de questions sur cette identité, celle des écrivains : qui sont-ils ? Écrivent-ils tous les jours ? Écrivent-ils des romans pour eux-mêmes, sans avoir envie de les partager ? Sont-ils moins des auteurs, à proprement parler, que ceux qui ont la chance d’être édités ?

C’est une période de ma vie où cette question identitaire est assez forte, puisqu’elle fait partie de la façon dont on m’identifie actuellement. Je pense qu’il existe une corrélation entre mes livres et le questionnement de mon propre statut.
 
Votre roman s’ouvre sur une énigme, presque métatextuelle, dont vous êtes l’un des héros. Préservant votre identité au sein du récit, vous vous imaginez apprenti détective, sur les traces d’un meurtre commis plusieurs années auparavant... Pourquoi vous mettre personnellement en scène ?
 
Ce livre a d’abord été construit à partir d’un récit dédié à mon éditeur Bernard de Fallois, un homme qui m’a appris énormément et a permis à mes romans de connaître leur succès actuel.
 
Après son décès en 2018, j’ai eu envie de raconter quelque chose autour de lui. Pas sous la forme d’une fiction, mais plutôt d’un véritable récit des souvenirs des quelques années pendant lesquelles il a été mon éditeur. Pour lui rendre hommage, il m’a semblé nécessaire d’inclure ce récit dans un roman, qui est le format qui nous avaient liés, lui et moi.
 
Pour une question de cohérence, le narrateur du récit devait être aussi le narrateur du roman : cela m’a permis d’explorer le jeu narratif, entre la narration fictionnelle et réelle. Cependant, bien que les codes et la répétition du prénom peuvent laisser à imaginer que le personnage de Joël, qui est le narrateur du roman, et le narrateur du récit, qui est vraiment moi, sont la même personne, on ne retrouve pas plus de ma vraie personnalité dans ce personnage que dans un Marcus ou dans un Harry (personnages de La Vérité sur l'affaire Harry Quebert.)
 
Entre New York, Boston et Baltimore, vous êtes un habitué des récits implantés au coeur des grandes villes américaines. Pourquoi avoir choisi la Suisse, votre pays natal, comme terrain d’investigation ?

C’est quelque chose qui me tenait à cœur depuis très longtemps. J’avais envie de parler de la Suisse, de partager Genève, la ville où j’ai grandi, avec mes lecteurs. La Suisse fait aussi partie de mon identité : quand je voyage autour du monde pour mes livres, on me présente comme un écrivain suisse. Si j’explore la thématique de l’écrivain depuis plusieurs livres, la piste de la Suisse a été plus difficile à suivre : Genève étant ma réalité, la ville où j’ai toujours vécu, j’ai dû réaliser un travail de détachement pour faire de cette ville un vrai personnage de fiction, non pas basé sur des faits, mais plutôt construit par rapport à mon imaginaire et mes sentiments.

 


Dans votre ouvrage, réalité, retournements de situation et fausses pistes s'entremêlent pour mieux désarçonner le lecteur. Décidez-vous de ces rebondissements en amont ou au fil de l’eau ?

Je travaille sans plan : je découvre le roman au fur et à mesure que je l’écris. Évidemment, la beauté du roman, c’est qu’on peut revenir en arrière pour reprendre des morceaux de l’histoire et les arranger. En général, tous les retournements de situation que j’écris surgissent d’une idée acquise au fil de l’écriture : ces retournements existent de manière à suspendre le fil de la narration. Poser des cliffhangers est une façon me permettant d’avancer dans ma propre conception de l’intrigue, dont je ne connais pas la suite au moment de l’écriture.  
 
Multiplication des points de vue, dédoublement des chronologies : la narration n’est pas sans rappeler celle de votre premier roman policier, La Vérité sur l’affaire Harry Quebert. Quelle est donc la recette d’un polar au suspense efficace ?

Je ne crois pas que le suspense "qui fait mouche" se trouve dans des éléments qu’on ajoute à l’histoire à un moment donné, mais plutôt dans la narration de celle-ci ; à savoir la façon de parler, de raconter, d’amener les éléments textuels à la manière d’un jeu. Selon moi, le roman repose sur cette idée de jeu avec le lecteur : il n’y a pas de manipulation de ma part, la réception du lecteur est aussi importante que la narration elle-même. Un livre ne peut exister que si l’auteur et le lecteur arrivent à jouer ensemble.

 



Sans rien dévoiler de l’intrigue, l’ultime chapitre formule une interrogation intéressante : « Que sommes-nous prêts à faire pour défendre les gens qu’on aime ? » (L’Écrivain) : pour vous, ces quelques mots reflètent-ils justement l’âme de votre livre ?

Oui, car il s’agit d’un livre sur les liens amoureux, affectifs, et familiaux. Pour les personnages, il s’agit de protéger physiquement, mais aussi émotionnellement leurs proches. Dans les relations en général, et c’est ce dont parle ce livre, chacun tente de ne pas blesser, de plaire, de « faire en sorte que ». Nous pouvons aller jusqu’à modifier le cours de nos actions par rapport au regard de l’autre, et oublier nos propres désirs dans le même temps.

Dans ce livre, l’idée de « défendre les gens qu’on aime » peut donc être interprétée de deux façons. Une interprétation littérale, celle que l’on peut être prêt à tout, jusqu’au sacrifice de sa propre vie, pour sauver l’autre. Mais ce qui m’intéressait surtout, c’était l’exploration de la grande résilience vis-à-vis de ses relations dont chacun est capable : cette capacité, par exemple, qu’ont mes personnages à faire ce que l’on attend d’eux. Tant pour Macaire, qui a suivi la route de la banque sans passion aucune, que pour Anastasia, qui a écouté les directives de sa mère toute sa vie.
 
Dans le courant de notre vie, nous avons tendance à oublier ce qui est véritablement important pour nous, et nous priorisons trop souvent ce qui est important pour les autres. Il faudrait être en mesure de penser à soi.
 

 

Joël Dicker à propos de ses lectures
 
Quel est le livre qui vous a donné envie d'écrire ?

La Promesse de l’aube de Romain Gary. C’est un livre que j’ai lu avec passion et avidité. La narration est extraordinaire. À travers ce roman, on entend la voix de Romain Gary, un auteur que j’admire en tant que personne.
 
Quel est le livre que vous auriez rêvé d’écrire ?

La Potion magique de Georges Bouillon de Roald Dahl. Il contient tous les éléments de ce que devrait comporter, selon moi, une bonne narration. Il s’agit d’une histoire qui possède une force narratrice incroyable : si vous lisez ce récit lors d’une réunion de famille, les enfants, les parents mais également les grands-parents s’arrêteront pour l’écouter. La force de la littérature, c’est ce pouvoir de nous arracher à la réalité pour nous emmener vers un ailleurs.
 
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?

Belle du Seigneur d’Albert Cohen. C’est le premier livre qui m’a époustouflé et marqué. Peut-être parce que c’était un coup de cœur inattendu : j’avais essayé de le lire plusieurs fois et m’étais arrêté au bout de 40 pages... Il s’est passé quelque chose lors de ma troisième tentative, et ça a été une aventure extraordinaire.
 
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?

Si c’est un homme de Primo Levi. C’est un livre fort qui reste encore d’actualité aujourd’hui et me bouleverse à chacune de mes lectures.

Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
 
Tous ceux que je n’ai pas lus ! Je ne sais pas si on peut vraiment avoir honte de ne pas avoir lu un livre. Il faut bien garder quelques livres pour la suite...

Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?

La soustraction des possibles de Joseph Incardona (éditions Finitude). Non pas parce qu’il est aussi Suisse, mais parce qu’il a écrit un livre véritablement extraordinaire.

Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?

Il y a des classiques qui m’ont moins parlé, comme Ulysse de James Joyce dont je n’ai pas nécessairement saisi l’importance. Néanmoins, ce n’est pas tant la faute du livre que du lecteur...

Et en ce moment que lisez-vous ?

Je n’ai pas lu grand-chose durant le confinement... Mais je viens de commencer le livre d’un autre auteur suisse, à savoir Représailles (éditions de la Braconnière) de Florian Eglin. Il s’agit d’un roman très prenant qui traite de la violence pouvant surgir chez ceux dont on ne soupçonne pas nécessairement ces traits.

 


 

Découvrez L'Énigme de la chambre 622 de Joël Dicker publié aux éditions De Fallois
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