http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=53065&motExact=0&motcle=&mode=AND
PAROLES D'EXIL
Treize auteurs latino-américains témoignent
Marianne Boscher-Gontier, Mathieu Vicens
Documents Amériques latines
Cet ouvrage regroupe les témoignages de treize écrivains latino-américains, exilés politiques au temps des dictatures de 1960 à 1990. D'origines multiples, ils évoquent les circonstances de leur départ, leurs souffrances physiques et morales, leur résilience dans les pays d'accueil et les vertus de l'écriture comme autre forme de combat. Autant de destins qui donnent à relire les périodes les plus sombres de l'Amérique Latine. Parmi eux : Isabel Allende, Zoé Valdés, Carlos Liscano, Eduardo Galeano, Sergio Zamora...
Broché
ISBN : 978-2-343-11164-3 ? mars 2017 ? 162 pages
+ Lire la suite
Si le torturé parle il affrontera son pire ennemi.Il sera seul avec lui.même, des semaines, des mois, des années, il aura le sentiment d'être une merde, il se demandera pourquoi, il se dira qu'il aurait dû et pu en supporter davantage, un peu plus encore, une autre nuit, une autre séance, une autre immersion de sa tête dans le baril.
Entre 1982 et 1984, en prison, mon activité principale était la réflexion sur l'écriture. Ce n'était pas une réflexion ordonnée, pas profonde non plus. Elle était aussi primitive que peut l'être la réflexion d'un individu sans formation, sans expérience intellectuelle, isolé. C'était vraiment une réflexion douloureuse. On dit que la souffrance permet aux petits artistes de ressembler aux grands, et il s'agissait peut-être de ça. Les petits souffrent autant, mais jamais ils ne seront grands. C'est une injustice flagrante. Pourtant la souffrance en général, et celle du petit écrivain en particulier, n'a jamais été la garantie de quoi que ce soit, et encore moins d'une bonne littérature. (p.149 / Belfond, 2010)
On pourrait se demander comment la même université qui forme les médecins qui meurent sous la torture forme ceux qui aident à torturer.
Dans ce quartier de Rinkeby, parmi les immigrants en provenance du Sac, comme disait Lumumba, un Noir que je connus plus tard, quand je travaillai à l'hôpital, se déroulait une silencieuse guerre mondiale de tous contre tous, excepté les rares Suédois qui y habitaient, qui ne participaient pas à la bagarre parce qu'ils se savaient en territoire étranger. Ils restaient neutres, ne livraient bataille à personne, fidèles à la tradition. Les Finlandais se croyaient presque Suédois et méprisaient le Reste comme disait Lumumba, le Reste comprenant presque tout le monde.
Jusquà quand peut-on en permanence ne pas se prendre au sérieux ? parce que chaque matin on se réveille et on a besoin de forces pour se réinventer. Parce que l'ironie empêche de croire à ce en quoi on sent qu'on devrait croire, détruit tout ce qu'on tente d'ériger. Parce que, derrière l'ironie, il y a toujours quelqu'un qui cherche à croire en quelque chose. Parce que même si rien ne vaut la peine on a besoin de soi-même. Parce que je suis encore vivant. Parce que je ne suis pas encore décidé à mourir. (p.15)
La seule chose qui l'intéressait, c'était d'avoir son enfant, et que je fasse fonction de père. Mais elle me laissait entendre que le cas échéant elle pouvait aussi s'en passer. Même si elle ne le disait pas, c'était sa technique, comme elles font toutes. La fatigue d'autrui, la mienne et la nature étaient de son côté. Elles sont toutes pareilles, les femmes, elles se copient entre elles.
Son plus grand rêve était d’écrire un livre, d’exposer ses idées, à sa façon, celle d’un fou, celle d’un homme qui a perdu son enthousiasme. Comme ça, plein de folies, d’affirmations catégoriques, tout à fait lui, avec humour, avec ironie, contre le monde entier.
Si on ne veut plus, si on ne veut pas faire la queue et qu’on souhaite penser de temps en temps ce qu’on veut, alors il n’y a plus que l’asile. La société n’a pas prévu d’autre endroit pour ça. Le reste n’est qu’hygiène, policiers, juges.
le rapporteur
20 mars
Je marche. Du moins suis-je en marche, bien que je n'avance pas. Je raconterai d'autres choses, j'ignore si elles sont vraies. Je ne sais même pas si je les raconterai. Que peut-on attendre de moi ? Je me traîne un peu, sur quelques centimètres. On ne peut pas exiger beaucoup de moi. Par moments, quelque chose surgit, une étincelle. Mais, dans ce cas, que dis-je? Mais que peut-on dire ?
J'entre dans les cratères sans fond, sans flancs, sans haut ni bas. Et je reste là, tranquille, et je tombe. Pendant des millénaires.
D'abord j'écris, puis je réfléchis à ce que j'ai écrit. Il faut donner une certaine finalité aux choses. Pas une grande finalité, pas beaucoup d'ambition, un peu, quelque chose. Car, sinon, quoi?
On se distrait et on commence à prendre les choses au sérieux. Mais si, malgré tout, on conserve un peu de bonne humeur et qu'on essaye pas de comprendre le monde, alors on est sauvé.
Je viens d'avoir sept ans. J'apprends à lire l'heure, mais je n'ai pas de montre. À cette époque, seuls les adultes ont une montre. Une montre est un instrument sérieux, cher, dont il faut prendre grand soin. Ça ne se confie pas aux enfants.