Le Tout-Texas prenait son avion pour se rendre à la réception de Jett Rink, c'est à dire tout ce qui, au Texas, possédait au minimum dix millions de dollars en bétail, en coton, en blé ou en pétrole. Les routes du ciel fourmillaient donc d'activité. Dans une gigantesque figure de ballet, les avions convergeaient de tous les points du Texas (...) ils prenaient de la hauteur et survolaient les ridicules gratte-ciel qui se dressaient niaisement sur la plaine infinie, les fleuves au cours paresseux et les ruisseaux, les luxueux hôtels modernes et les vieilles demeures à colonnades blanches, si anachroniques dans ce décor, les chevaux de course dans les gras pâturages, les piscines, les allées bordées de paliers acclimatés, les énormes cinémas, les troupeaux de bovins, les moutons, les montagnes, les antilopes sauvages, les champs de coton et les usines de produits chimiques, à l'allure de planète Mars, dont les toits d'aluminium poli ne brillaient pas d'un éclat moins arrogant que celui des avions.
Une frontière avec, d'un côté, des gens avides d'obtenir un coin de terre pour subsister et, de l'autre, de vastes espaces vierges, voilà l'Amérique à la fin du XIX° siècle. La tentation est forte de rendre caducs les traités conclus avec les Peaux-Rouges et les blancs y ont cédé progressivement.
L'avocat et le journaliste Yancey Cravat est un des plus acharnés à fustiger cette convoitise et les drames qu'elle provoque, à dénoncer la spoliation de fait dont sont victimes les Indiens. Pourtant en 1889, quand le gouvernement ouvre la frontière de l'Oklahoma jusque-là territoire réservé, il participe à la "course" pour s'emparer d'un emplacement à coloniser dans cette région que beaucoup appellent encore de son nom espagnol si évocateur : Cimarron, le pays sauvage.
Primitif et violent, le Cimarron l'est à un point que n'imaginait pas Sabra, la jeune femme de Yancey qu'il emmène avec lui à Osage. Mais tandis qu'il se lance avec fougue dans toute cette aventure nouvelle, Sabra s'affaire à modeler à son goût cette ville naissante.
Sabra et Yancey sont les archétypes de ces pionniers qui ont formé l'Amérique et à travers leur histoire mouvementée c'est l'épopée tout entière de la ruée vers l'ouest que fait renaître Edna Ferber.
(quatrième de couverture de l'édition de poche parue en 1973 - le roman datant lui de 1932 )
C'était le théâtre, peut-être, précisément comme il devait être. Un lieu où se réalisent les rêves. Un lieu où, par substitution, on vit une vie de splendeur et de succès ; en conquérant l'amour, en déjouant les malfaiteurs ; un lieu où l'on peut pleurer sans honte, rire aux éclats, céder à des émotions longtemps refoulées. Quand le spectacle était terminé, quand la musique s'était tue et qu'il ne restait plus que l'éclat décroissant des torches à pétrole, on voyait les spectateurs s'éloigner en trébuchant, les yeux clignotants, comme des gens quon a brusquement ramenés à la réalité alors qu'ils faisaient un rêve délicieux. (129)
Vingt-cinq années de vie fluviale avaient outillé le Capitaine d'un vocabulaire riche, varié, coloré. Il n'oublia ni les cieux qui étaient au-dessus de sa tête, ni la terre qui était sous ses pieds. La révolte, la rage secouaient son armature fluette mais nerveuse. Les années de sujétion domestique, les années pendant lesquelles il avait dû mettre une sourdine à sa gaieté, faire de tout petits pas et non de grandes enjambées, se taire au lieu de chanter, toutes ces années se trouvèrent balayées par le torrent de rage qui creva dans sa poitrine. C'était un torrent, une inondation, un Mississippi de blasphèmes où les mots enfer et damnation n'étaient que des gouttes au milieu d'un débit formidable et grondant.