"Des Livres et Vous" Evelyne Trouillot
(07 Juillet 2017)
Des livres et vous
avec la voix la plus modeste des lettres haïtiennes.
Écrivaine à la plume somptueuse à l'imagerie renversante.
Evelyne Trouillot fait poèmes et romans dans un souffle fin et généreux. Mirador aux étoiles, La mémoire aux abois, Par la fissure de mes mots, Rosalie l'infâme, Je m'appelle Fridhomme. Evelyne Trouillot travaille dans la retenue, la presque timidité mais son uvre est pétrie d'une importante sûreté esthétique.
Cette semaine, DLV, vous propose son univers. Tout est dans le concept RTVC.
Nudité
J'aurais aimé te dire
un poème tout cru
à l'odeur encore verte
un secret sur sein muet
au sourire invisible
arabesques codées
en pointillé de baisers rêvés
que toi seul comprendrais
Rayon assoupi de tendresse
corps sans contours
sexe au bois dormant
suspendu à l'esquisse carnassière
de tes lèvres
J'aurais voulu t'écrire
un poème nu et fou
une goutte
blottie entre la page et le néant
anxieuse de tracer sa buée
pour retrouver
la rondeur du désir
Ma mémoire s'affole, emmêlée entre souvenirs et réalités, assiégée par tes cauchemars et mes rêves à moi.
Un jour
Un jour je renierai ma mère, les yeux fermés j'irai
sans vagues ni bateaux dans mes prunelles affronter
la sécheresse et les immeubles en verre d'où l'on
apprend à aimer la beauté froide des palissades
Un jour, je renierai la mémoire de mes sens, j'irai
avec sous mes pieds l'odeur des algues broyées, avec,
sous mes bras des éclats d'embruns en bandoulière
Un jour, je renierai la douleur de ma naissance, j'irai
sans estampes ni mains offertes pour retenir le sel
de mes larmes
J'irai sans bâton ni colère dans mes entrailles
Un jour, bientôt peut-être, j'apprendrai à courir
sans rêver de soleils verts, de rire en cascade
et de nasses folles
Mais aujourd'hui mon île a plié son aile et j'y blottis
ma peine d'oiseau écartelé entre l'incertitude
et l'envol dans la beauté émeraude de son histoire
frémissante
La sienne (son histoire) ressemblait à tant d'autres récits de terre volées, de fils disparus, de chagrins enterrés avec les morts. Mais ta mère savait aussi que chaque détresse érige ses propres lois et que, pour les effacer ou les changer, il faut tant de larmes et d'éraflures qu'elles en deviennent irremplaçables.
Secousses
La terre a soulevé mon cœur
d'un mouvement sec et violent
elle l'a déchiré
éparpillant mille morceaux
comme larmes d'oiseaux errants
aux quatre vents de mon île
et depuis
chaque nuit
j'entends les battements
hésiter à mi-chemin
entre décombres
et étoiles
Un jour la vie aura goût terre mouillée et mangue mûre.
Secousses
La terre a soulevé mon cœur
d'un mouvement sec et violent
elle l'a déchiré
éparpillant mille morceaux
comme larmes d'oiseaux errants
aux quatre vents de mon île
et depuis
chaque nuit
j'entends les battements
hésiter à mi-chemin
entre décombres
et étoiles
(L'errance devenue chair)
Je bois ma terre
par la fissure de mes mots
bris de bleu
en convalescence
brins de rêves
égarés entre ma paupière et
l'incertitude de la mer
Je veux vivre. Sans cette charge oppressante qui m'a été léguée. Sans peur et sans angoisse autres que celle que la vie m'amènera au rythme du temps présent.
(Larmes bleues)
Le poème refuse l'adieu
plonge dans les couleurs nouvelles
d'une rivière indolente
pour échapper aux syllabes
trop vraies
qui s'éparpillent
en cris retenus
chansons qui se glacent
pour calfeutrer la douleur
ballotée
endormie
par la magnificence
étalée sans souci