Dans cet entrelacs d'aventures, toutes plus rocambolesques les unes que les autres, c'est un instantané de l'Amérique contemporaine que nous offre Andrew Sean Greer. L'humour étant, semble-t-il nous dire, la réponse à tous les maux. Rire de tout, des maladresses mineures, des bouleversements majeurs, rire jaune d'un humour noir, comme si le rire était en vérité la seule planche de salut.
le nouveau roman d'Andrew Sean Greer est en librairie.
Lire les premières pages : https://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature-etrangere/arthur-mineur-court-sa-perte
#litterature #roman
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Le chagrin passe - il passe toujours -, non sans nous avoir forcés à faire ces choses absurdes, nous faire du mal et engendrer de la douleur, car le chagrin, parasite suprême, refuse de mourir et il lui faut créer ces moments terribles de pleine dévastation pour se sentir exister.
Buzz me fit soudain une suggestion. Je tirai un carnet de mon sac et, muette comme une secrétaire, en pris note mot pour mot. Cela paraissait aussi anodin et impossible que le reste, une intervention à laquelle on se livrerait dans un rêve. Plus tard ce soir-là, chez nous au sous-sol, je recopiai ce qu’il m’avait dit sur notre machine à écrire dont le T se coinçait, je pliai la lettre et la glissai dans l’enveloppe. Mais ensuite, comme au sortir d’une transe, mes doutes me reviendraient. La lettre allait donc demeurer là durant des semaines, gisant sur l’étagère du sous-sol.
« C’était le comité du Pulitzer, dit-il d’une voix égale. Il s’avère que j’ai mal prononcé ce nom toutes ces années.
— Tu l’as eu ?
— « Pulitzer » ne se prononce pas Piou-litzer. C’est Pou-litzer.
Robert jeta un autre regard circulaire sur toute la pièce :
— Merde alors, Arthur, j’ai eu le prix. »
Alors nous cachions nos peurs. Comme ma mère cachant une mèche des cheveux de son défunt frère sous le col haut de sa robe du dimanche, dans la poche qu'elle avait cousue. Vous ne pouvez pas aller et venir en laissant libre cours au chagrin, à la panique; les gens vous en empêcheront, ils vous offriront une tasse de thé pour vous calmer et vous diront de tourner la page, de faire des gâteaux et de repeindre des murs. ILs sont excusables; ne nous a-t-on pas inculqué de longue date que le monde s'écroulerait, que les villes seraient envahies par les bêtes et les lianes si on laissait le chagrin régner tel un roi fou ? Donc vous les laissez vous calmer. Vous faites le gâteau, vous repeignez le mur et vous souriez; vous achetez un nouveau congélateur comme si vous aviez les projets d'avenir. Mais, secrètement - au petit jour -, vous cousez une poche sous votre peau. Au creux de votre gorge. De sorte que chaque fois que vous souriez, ou hochez la tête à la réunion avec les professeurs, ou vous courbez pour ramasser une cuillère, ça appuie, ça pique, ça brûle et vous savez que vous n'avez pas tourné la page. Vous n'en avez même jamais eu l'intention.
Se réveiller chaque matin comme si les choses avaient tournées autrement - les morts sont vivants, ceux qui étaient partis reviennent, l'être aimé est dans nos bras -, est-ce tellement plus prodigieux que la folie ordinaire de l'espoir?
Il existe une vérité connue de tous sauf de soi. Chacun la sienne, personne n'y échappe. Ni secrète ni scandaleuse, c'est quelque chose d'évident uniquement aux yeux des autres. Ce peut être aussi simple que de perdre du poids, aussi difficile que de quitter un mari. Quelle horreur de sentir que tout le monde sait ce qui changerait votre vie mais que personne n'est assez ami avec vous pour vous le dire! C'est à vous de deviner, tout seul. Jusqu'à ce que cela se révèle à vous, mais cette révélation arrive toujours trop tard.
Au moment de quitter la pièce, un éclat s'est allumé dans ses yeux. J'ai d'abord cru au contrecoup de la guerre, mais je sais maintenant que ce n'était pas cela. C'était un aspect de lui que seules la solitude, la faim et la fierté peuvent faire surgir chez un homme, même le meilleur d'entre eux, comme l'était Nathan à sa manière. Et qui était toujours resté latent chez le Nathan que j'avais connu. Une part infime de lui, mais là, elle brillait dans ses yeux avec l'éclat d'une dent en or. C'était de la souffrance pure.
Les poètes doivent pétrir des morceaux d’argile pour l’éternité.
"Nous croyons connaître ceux que nous aimons. Nous croyons les aimer. Mais ce que nous aimons se révèle n'être qu'une traduction approximative, notre propre traduction d'une langue mal connue. Nous tentons d'y percevoir l'original, le mari ou la femme véritables, mais nous n'y parvenons jamais. Nous avons tout vu. Mais qu'avons nous vraiment compris ?"
Qu’est-ce qu’une chamelle peut bien apprécier ? Eh bien, je dirais volontiers : absolument rien. Ni le sable qui l’écorche, ni le soleil qui la brûle, ni l’eau qu’elle boit comme un abstinent qui a dû renoncer à l’alcool. Ni s’accroupir en battant des cils comme une starlette, ni se relever en battant des cils comme une starlette, ni se relever en râlant, furieuse et indignée, maîtrisant tant bien que mal ses membres d’adolescente. Elle n’aime ni les chameaux, ses semblables, à qui elle témoigne le dédain d’une héritière forcée de voyager en classe économique, ni les humains, qui ont fait d’elle une esclave. Ni la monotonie de l’océan des dunes. Ni l’herbe insipide qu’elle mâchonne, mâchonne, encore et encore, dans une lutte renfrognée pour la digérer. Ni le jour infernal. Ni la nuit paradisiaque. Ni le coucher du soleil, ni son lever. Ni le soleil, ni la lune, ni les étoiles.