Remise du prix Nobel à K. Lorenz
La fidélité d'un chien est un don précieux, qui entraîne une responsabilité morale non moins contraignante que l'amitié d'un être humain. Le lien établi avec un chien fidèle est aussi durable que peut l'être un lien terrestre, et quiconque désire un chien doit se pénétrer de ce fait.
Rien n'est plus difficile à comprendre que le rythme de travail de l'humain.
[N. B. : comparativement à celui des autres vertébrés supérieurs.]
Il est facile de développer d'abord une théorie et de l'appuyer ensuite par des exemples, car la nature est si riche et si variée qu'en cherchant bien, on trouve toujours des exemples apparemment convaincants, même pour une théorie complètement aberrante.
LA NEF, LE COU ARQUÉ ET L'IMMERSION DU COU : Tandis que le " cou en équerre " signifie une demande d'union durable, les modes comportementaux que nous allons décrire expriment exclusivement une invitation à copuler sans aucune arrière-pensée de cohabitation. Le cou arqué, en sa qualité de posture d'intimidation, souvent arboré aussi par de jeunes oies immatures, n'est pas très facile à interpréter. Il manifeste sans aucun doute la disposition à l'accouplement, mais il constitue en même temps une démonstration de " virilité " et témoigne de l'intention de " se grandir ". Néanmoins, je n'ai jamais constaté que ce comportement ait une action déclenchante au sens d'une provocation au combat. Même quand la femelle — ce qui arrive parfois — répond à ce mouvement intensif, on ne peut en tirer aucune conclusion quant à la constitution d'un couple dans le futur.
Il faut une LONGUE PÉRIODE d'observation totalement détendue et objective pour rassembler et retenir la masse d'informations dont notre appareil de calcul [N. B. : il parle du cerveau humain] a besoin pour distinguer la forme du fond. Même un sage tibétain, rompu aux exercices de patience, ne réussirait jamais à fixer sans relâche son attention sur un aquarium, un étang peuplé de canards ou à demeurer à un poste d'observation spécialement ménagé dans la nature le temps qu'il faudrait pour recueillir la quantité d'informations dont l'appareil perceptif a besoin. Seuls peuvent fournir cet effort soutenu ceux qui sont fascinés par la beauté de l'objet qu'ils contemplent. Et cela nous conduit à évoquer l'immense valeur scientifique du prétendu " amateurisme " : les grands pionniers de l'éthologie, Charles Otis Whitman et Oskar Heinroth, étaient de grands " amateurs " de leur objet et ce n'est pas un hasard si tant de découvertes importantes de l'éthologie ont été faites sur la classe des oiseaux. L'une de nos plus grandes erreurs consiste à mettre dans l'expression " scientia amabilis " une note péjorative vis-à-vis de la science en question.
Un chien normal ne mordra jamais une femelle de son espèce. La chienne est absolument tabou et peut tout se permettre à l'égard du chien, du mordillement aux vraies morsures. Le chien ne dispose d'aucun moyen de représailles, à l'exception des gestes de déférence et du masque de politesse au moyen duquel il peut essayer de faire dévier l'attaque de la chienne vers le jeu. La dignité masculine interdit la seule alternative -la fuite- car les chiens se donnent toujours un mal fou pour sauver la face devant les chiennes.
Le chaînon entre l'animal et l'homme vraiment humain, ce chaînon c'est nous !
Il faut assez bien connaître la variabilité de l'acte instinctif et les lois régissant cette variabilité pour éviter d'imputer à l'expérience et à l'apprentissage des phénomènes qui , en réalité sont provoqués par des facteurs tout à fait différents .
Le premier obstacle est la ressemblance primitive du chimpanzé avec l'homme [...] le second obstacle qui s'oppose à la connaissance de nous-même est une certaine aversion sentimentale à admettre que nos propres faits et gestes puissent être causés par les lois de la nature. C'est ce que Bernhard Hassenstein appelle le "jugement de valeur anticausal" qui provient sans doute d'un besoin justifié de pouvoir vouloir librement et du désir de sentir que nos actes ne sont pas déterminés par des causes accidentelles, mais par des buts supérieurs [...] Un troisième grand obstacle à la connaissance de soi-même est l'héritage de la philosophie idéaliste : il provient d'une division du monde en un monde extérieur des choses, par principe de valeur neutre pour la pensée idéaliste, et en un monde intérieur de la pensée et de la raison humaine, le seul auquel soient attribuées des valeurs [...] Dans la pensée occidentale, il est devenu courant de considérer comme étranger au monde des valeurs tout ce qui peut être expliqué par les lois de la nature. Être scientifiquement explicable équivaut à une dévalorisation.
Deux animaux seulement ont pénétré dans la maison de l'homme autrement que comme des prisonniers, et ont été domestiqués par d'autres moyens que les travaux forcés : le chien et le chat. Ils ont en commun deux choses : ils appartiennent tous les deux à l'ordre des carnivores, et tous deux mettent au service de l'homme leur talent de chasseurs. A part cela, et surtout en ce qui concerne le style de leur association avec l'homme, ils sont comme le jour et la nuit. Il n'y a pas un animal domestique qui ait aussi radicalement changé son mode de vie, qui se soit fait aussi littéralement domestique, que le chien. Et il n'y a pas un animal qui, tout au long d'une association séculaire avec l'homme, ait changé si peu que l chat. Il n'est d'ailleurs pas exagéré de dire que le chat -à l'exception de quelques catégories de grand luxe : angoras, persans, siamois...- n'est pas en fait un animal domestique, mais une petite bête sauvage. Conservant toute son autonomie, il a choisi d'habiter les maisons des hommes et leurs dépendances pour la simple raison qu'on y trouve davantage de souris que partout ailleurs. Tout le charme du chien réside dans la profondeur de l'amitié, dans la force des liens moraux qu'il a développés avec l'homme. Mais la séduction du chat vient justement de ce qu'il n'a jamais formé de tels liens ; lorsqu'il chasse dans nos granges et nos greniers, il affirme la même indépendance jalouse que le tigre ou le léopard et il reste aussi mystérieux, aussi lointain au moment même où il se frotte gentiment contre les jambes de sa maîtresse, ou ronronne pieusement devant un feu de bois.