À l'occasion de la 20ème édition du festival "Quais du Polar" à Lyon, Nicolas Lebel vous présente son ouvrage "Peines perdues" aux éditions du Masque.
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Note de musique : © mollat
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Latour en avait vu, des veuves accablées et des veufs éplorés, se mollifier comme des méduses à la vue de l'être aimé sur la table d'inox, se raidir au contraire et fuir la salle en couinant. Elle en avait vu des crises de nerf, des cheveux arrachés, des rognures d'ongle, des geysers de larmes et des torrents de bave. (…) Elle en avait entendu des hurlements de bête blessée, des promesses tardives et des souvenirs en sursis, quand tout prenait sens trop tard ou n'en avait plus. La mort, ça secoue les humeurs, ça bouscule les molécules. On est peu de chose.
[après les attentats de Bruxelles en mars 2016]
- Ils sont pas les musulmans qui font les bombes. Ils sont les assassins, reprit-il.
- Je sais, Jebril.
- Ils pensent que c'est le Dieu qui dit de faire la bombe, mais c'est l'imam fou !
Jebril s'agitait, clairement révolté par les récentes attaques.
- Je sais...
- Mais pourquoi elle dit pas, elle ?
Il désigna la journaliste de la main.
- Parce qu'elle a des ordres, certainement, pour orienter son débat ou pour apaiser les foules. Ou parce que, comme tout le monde, elle est perdue, abattue par les événements ; elle voudrait être en sécurité, mais pressent que ce ne sera plus jamais possible. Parce qu'elle se dit qu'elle a peur mais refuse de l'admettre pour qu'ils gagnent jamais. Parce qu'elle y pense dès que son mari ou ses enfants sortent dans la rue, dès qu'elle entend un pétard ou un cri, parce qu'il faut vivre avec ça désormais, et que c'est inhumain...
Parlons-en de l'air du temps, putain ! Il a une sale odeur. Ça fait trente ans qu'on progresse vers la pestilence avec une indignation courtoise. On peut traiter une ministre de la Justice de "singe" et lui jeter des bananes parce qu'elle est noire, on peut appeler "ayatollah" une ministre de l'Éducation nationale parce qu'elle est d'origine marocaine. Il y a trente ans, on pouvait rire de l'autre, on pouvait même rire avec lui. Je me souviens des Smaïn, des Coluche, des Boujenah, des Desproges, des Fellag et d'autres qui endossaient le rôle de l'autre, de l'étranger, avec plus ou moins de talent, et se marraient d'eux, de nous, du choc de la rencontre. Finalement, de l'homme dans tous ses états. Aujourd'hui, les fachos de tout poil ont distillé le pire de ces différences pour faire de cette moquerie fraternelle une haine politique. On parlait hier de Branly et du musée des Colonies. Aujourd'hui, en France, on laisse revenir les conceptions colonialistes des années 30, dignes de Hergé : on jette des bananes au Noir ; l'Arabe est jihadiste ou délinquant. Je repense à Sarkozy qui voulait renvoyer les délinquants dans leur pays, comme s'il y avait un pays dont les habitants sont les Délinquants ! On a morcelé l'espèce humaine en groupuscules rivaux pour mieux nous monter les uns contre les autres : les Noirs, les Jaunes, les Arabes, les Juifs, les homos, les fonctionnaires, les riches, les communistes, les rentiers, les retraités, les banquiers, les francs-maçons, les politiques, les chômeurs, les Roms, les intégristes, les profiteurs... À la fin de la journée, on a tellement d'ennemis qu'on ne sait plus qui on doit haïr en priorité ! Heureusement qu'il y a le "20 heures" pour nous donner des repères !
Après avoir consulté les fichiers officiels et n'avoir trouvé aucune trace de la jeune femme, Dossantos s'était naturellement tourné vers le plus gros fichier de données individuelles et personnelles dont disposait la police : Facebook. Le lieutenant sourit. Parce que si le quidam était prêt à hurler à la violation de sa vie privée à la première occasion, il livrait lui-même cette vie privée en pâture au public, affichant à longueur de pages les photos de ses enfants, de ses animaux, de son intérieur, détaillant ses activités, ses achats, ses déplacements, ses voyages, dessinant son réseau d'amis, ses connaissances professionnelles, jusqu'à ses émotions et sentiments concernant son emploi, ses collègues, sa famille. Une source inestimable pour l'enquêteur qui, en quelques clics, pouvait construire un portrait-robot assez détaillé et plutôt fiable de l'individu ciblé. (…) On avait beau mettre les gens en garde, se répétait Dossantos, l'égo était le plus fort. Alors ils disaient tout. Facebook et Twitter étaient devenus des confessionnaux planétaires où le virtuel s'accommodait d'une vérité embellie pour le prix d'un like, un pouce pour seul salut et l'indifférence comme pénitence.
Il n’en apprendra pas plus. Et il sait d’expérience que lorsqu’on est coincé, on dit oui. Ça laisse toujours un peu de temps pour se retourner. Tous les mariés vous le diront.
On ne naît pas tueur. On est contraint de le devenir par des forces irrépressibles. Son deuil en est une, selon lui. Et son désir dévorant de vengeance.
- Hugo, récupère une pelle ! (…) T'as vu Le bon, la Brute et le Truand ? Le moment avec Clint Eastwood et la pelle ?
Hugo soupira.
- Non, commissaire. Mais ça veut dire que je creuse, c'est ça ?
- T'es balaise, Hugo. T'es sûr que t'as pas vu le film ?
Il y a deux jours, j'étais invité à un dîner chez un client. Le repas de l'angoisse : j'avais deux grosses bourgeoises de chaque côté qui parlaient d'une voix haut perchée et me sortaient des banalités au kilomètre. Pour te donner une idée, j'étais entre Bachelot et Boutin, tu vois ? Non, tu ne vois pas, il y a des choses que le cerveau se refuse à imaginer par instinct de conservation.
- Il habite avec sa femme, Jeanne Crémieux, dans le cinquième arrondissement, 34, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève.
- Là, tu peux dire « habitait » parce ce que, en ce moment, il habite dans le douzième arrondissement, 2, place Mazas, à l’institut médico-légal.
Théo contemple son plateau, la « gamelle », la même tambouille collective qu’on sert chaque jour dans les casernes militaires et les EHPAD, en somme à tous ceux qui vont mourir.