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Critiques de Raharimanana (35)
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Rêves sous le linceul

Plus que des nouvelles, j'ai trouvé que ces brefs textes de Raharimanana étaient de véritables poèmes en prose, tant le travail sur les sons, les rythmes, sur les constructions syntaxiques, jouent sur le sens, voire l'essence même, de chacun.



Car oui, ces textes-rêves, tour à tour d'une violence à la limite du soutenable, tour à tour d'un onirisme évanescent à la limite du compréhensible et du discernable, sont d'une grande beauté stylistique, qui frappe, qui écorche, qui ne laisse pas indemne, malgré, parfois, un certain hermétisme.



Je réitèrerai la lecture de l'auteur, dans tous les cas.
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Lucarne

Ainsi parlait Raharimanana,



Ces nouvelles, parues en 1996, se font les témoins de la misère et de la violence de Madagascar.



“Voici la nuit, voici mon univers. C’est un univers de silence. De silence, oui ! On écoute le silence comme on écoute une femme murmurer “je t’aime”. Voluptueux ce silence, sensuel, doux, comme une prière que ressentent tous les fibres du corps.”



La misère cynique d’un enfant qui ne peut ni boire ni manger car il a avalé sa pièce de monnaie, la cruauté d’un poseur d’appât pour prendre les riches conducteurs en embuscade, le sadismes de gosses de riches qui jouent à Guantanamo avec des miséreux, ou encore celle de cette femme contrainte de coudre de la drogue dans les corps d’enfants morts.



A ce stade, on peut oser une petite corrélation, qui fait jamais plaisir tant on voudrait traiter l’insécurité comme si elle n’avait aucun lien avec la précarité, mais là où il y a misère, surtout lorsqu’elle côtoie l’opulence, il y a aussi violence. L’auteur nous contraint à regarder ça droit dans les yeux.

Le ciel malgache de Jean-Luc Raharimanana est foudroyant de désespoir, de lutte pour la survie et de refuge érotique ; matricide, infanticide, viol, meurtre et torture se succèdent impitoyablement.



Qu’est ce qui peut bien alors motiver la lecture jusqu’à son terme de ce petit recueil ?



Il y a indéniablement une aventure de la langue. Un style déstructuré, hagard, les impressions l’emportent parfois sur la narration. C’est aussi une limite car on peut perdre le fil de certains textes un peu trop abstraits.



“L’enfant mort roula sur le plancher de bois du navire. On aurait dit une poupée de pierre, une sculpture d’argent, d’or ou de cuivre. La femme gémissait, lovée sur son propre corps. Elle voulut que ses pleurs fussent de pointes et de sagaies. Elle voulut s’empaler sur les lames de ses larmes.”



La cruauté et la douleur, les sentiments très forts, physiques même, des personnages et la belle langue, poétique, qui convoque la mer, la nuit forment un mélange tantôt éprouvant, tant sur le fond que sur la forme ,tantôt indéniablement esthétique et captivant.



L’auteur déclare que parfois “face à des choses innommables il faut reposer la beauté du monde” d’où son choix d’aller vers la photographie, vers la musique.. suivant son conseil je m’en vais respirer les paysages alpins, les lacs translucides et le duvet des forêts; on tous a besoin d’entrevoir cet équilibre entre la beauté du monde et la conscience de son horreur à travers la lucarne.



Qu’en pensez-vous ?
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Tisser

Il y a des lectures dont on se dit : «Ca, ce n’est vraiment pas pour moi ». Tisser m’a fait cet effet-là. Pire. J’ai eu envie de le fuir très rapidement, et la seule raison qui m’a fait tenir, c’est que l’auteur est malgache, et allait me permettre de poursuivre mon tour du monde de la littérature ! A plusieurs reprises, je me suis retrouvée dans le même état que lorsque je vais au théâtre voir des pièces d’avant-garde, et que mon esprit se perd à ne pas comprendre où veut en venir l’auteur. Je m’endors, je me lasse, je ne trouve pas d’intérêt et j’ai envie de quitter la salle. Ici, l’auteur donne la parole à un bébé mort-né, dont l’esprit rôde encore pour un temps sur cette terre. Et ce bébé, très lucide, oscille entre les récits de mythes et l’analyse sociologique, pour arriver de temps en temps à des conclusions (et celles-là sont les parties les plus compréhensibles, auxquelles je m’accrochais pour ne pas sombrer) sur le passé et le devenir de l’Afrique, les méfaits de la colonisation, la nécessité de revoir notre manière d’appréhender la Terre et nos relations aux autres, qu’ils soient du Nord ou du Sud. Quelques beaux passages, donc, mais que ce fut laborieux !
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Nour, 1947

Un homme ère, tirant le cadavre de son amour, Nour.

Durant sept nuits, dans un récit assez décousu, possédé, quasi délirant, il nous raconte son histoire, celle de Nour fille d'esclave tombée sous les balles des colons français, celle de ses compagnons d'insurrection, celle de la « Grande Ile » et de ses peuples. Des siècles de violence : guerres tribales, esclavage, colonisation française avec ses missionnaires chrétiens chargés d'éradiquer l'impiété, jusqu'au carnage de la répression de l'insurrection en 1947.

Tirailleur enrôlé de force en France et plongé dans l'horreur d'une guerre qui n'est pas la sienne, à expédier des wagons d'humains vers la mort, à son retour sur son île il jure « de ne plus jamais obéir à aucun des coloniaux » et rejoint le camp des rebelles qui mènent l'insurrection. Survivant du massacre, il est à bout de forces, de désespoir, de maladie. Boue, putréfaction, mouches, pluie, vagues, feu, vent, sont omniprésents. Il est guidé dans son errance par des êtres légendaires : Konantitra, vieille femme danseuse et chanteuse de mort ; Dziny, la Mère, femme des eaux et des lumières ; Retany le maître des terres, à l'origine de toute plante, de tout arbre.

Chant de lamentation, complainte, désolation. Ambiance glauque. C'est un texte d'abord difficile, dans une langue poétique, il faut y pénétrer comme dans une transe, accepter de se laisser traverser et transporter par les esprits de cette terre, laisser opérer l'envoutement. Mais le voyage est rude, inconfortable, il vous remue les tripes.

C'est toute la magie et l'art du poète de rendre belles autant d'horreurs.
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Tisser

Véritable expérience de lecture. Il y a de ces livres dont on a l'impression de ne jamais avoir rien lu de semblable ailleurs.

Assez irracontable et développant des réflexions puissantes, cette plongée dans l'inconnu vallait le coup.

Le principe est que le narrateur, esprit d'enfant mort-né, vit des fragments de vies des vivants. Chaque courte partie développe alors un mythe, une bribe d'histoire personnelle ou un concept philosophique qui s'entremêlent et se répondent.



La mythologie malgache telle que la dépeint Raharimanana est toute en dualité. Tout y est question d'équilibre et de lien.

Pour l'auteur, le mythe est ce qui lie au passé et aux autres. Nous avons toutes et tous des histoires qui au delà de fonder des groupes humains par un mythe fondateur commun, leur donnent du sens. Ainsi, toute amitié a son vécu, toute nation a son roman national, toute vérité a son histoire des sciences...

Le narrateur parle aussi du déchirement que représente l'arrachement à ses racines lorsque l'on perd ses mythes et de son Histoire. Car en effet, certains peuples n'ont pas ou plus de vestiges prouvant les civilisations d'où ils viennent. Vestiges qui d'ailleurs pas ne limitent pas aux constructions physiques, mais aussi à la culture immatérielle, la philosophie, la science ou la médecine.



Naturellement, il est donc beaucoup question de colonisation. Selon l'auteur, une idée continue d'être profondément ancrée dans les mœurs : le capitalisme, se considérant lui-même comme l'apogée, est perçu comme ce vers quoi les pays en voie de développement devraient se diriger.

La critique est faite au capitalisme d'asservir les peuples, allant même jusqu'à les tuer. La mère du narrateur par exemple, ouvrière dans une usine d'une multinationale, a dû avorter pour éviter de perdre son emploi. Cela m'évoque malheureusement de nombreuses images choquantes du monde réel (l'usine Camaïeu au Bangladesh construite au rabais pour économiser qui s'est effondrée sur les employées, ou plus récemment l'entreprise sud-coréenne SPC Group qui n'a pas fermé son usine alors qu'une ouvrière était tombée dans une broyeuse...).



Le narrateur s'excuse de dire « nous », car ce mot a évolué dans un sens qui exclue un « vous ». Il précise que ce « nous » concerne tous les humains, il raconte leur histoire telle qu'il l'a vécue lui-même à travers ses périgrinations de corps en corps. Mais à un moment, il souhaite parler de l'Afrique en particulier et ce « nous » devient spécifique, et donc au malheur du narrateur aussi excluant. J'ai trouvé le développement de cette idée très fort.



À travers l'exposé de ces idées philosophiques sur le rapport au passé, la politique et la place des femmes, le fil rouge reste « tisser ». Il s'agit sans doute de l'un des livres qui porte le mieux son titre. En effet, cette nasse de fils entremêlés forment un tout cohérent. Et ce n'est pas le « tissage » ou le « tissu », mais bien l'action « tisser » qui importe. Et l'auteur de filer cette métaphore.

Tisser est un savoir-faire qui se transmet, il est lié aux vêtements, aux apparences que l'on se donne (vêtements, langage, culture, sagesse, philosophie). Quand l'humain se dénude, enlève le tissu, il fait face à sa propre fragilité, qu'il ne doit pas oublier.

Les mythes tissent des liens entre humains. Mais tisser n'est pas spécifiquement humain, car l'araignée tisse pour se nourrir et le papillon pour se transformer.

Tisser c'est aussi devenu une industrie, qui en forçant des populations à s'habiller uniformément à l'occidentale, heurte leur identité. Cela affecte aussi à l'équilibre de la planète avec le désordre écologique auquel elle participe.

Si un fil manque, la toile risque de s'effilocher, mais aucun fil n'est plus important qu'un autre. Et lorsqu'il y a une déchirure dans un tissage, il faut d'abord l'identifier pour la réparer.



En conclusion, ce livre ne pourra pas plaire à tout le monde.

Personnellement, j'ai énormément apprécié découvrir cette forme de narration tissée de mythes, de philosophie, de poésie même parfois, de bribes de fictions et de sentiments vrais.

Cette lecture m'a enrichie de visions du monde provenant d'un autre vécu, d'une autre Histoire. Et même si je ne sais pas encore si j'adhère à toutes, cela a soulevé nombre de questionnements sur l'impact encore actuel que peut avoir le colonialisme sur les esprits. Sujet vaste, complexe, passionnant, et surtout important.
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Nour, 1947

Je retrouve ici tout le suc des écrits de Raharimanana : une langue aussi belle que violente, des tableaux cruels et révoltants qui se succèdent, l'histoire de la grande île qui s'entremêle aux esprits malgaches qui ne semblent jamais vouloir laisser en paix les victimes de la guerre.



Certains passages révulsent, repoussent le lecteur, bien qu'ils ne fassent rien d'autres que de décrire ce que subissent les corps face à la guerre et les pires bassesses de l'humanité. Les corps violentés et en putréfaction, mais non dénués d'attraction, ne sont pas sans rappeler Baudelaire.



Toujours aussi séduite par la plume de cet auteur qui sait si bien faire retranscrire le souffle de Madagascar à travers ses romans.
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Lucarne

Le rythme de la langue emmène superbement à Madagascar, île de misère pétrie de violences : les mots dansent mais ils sont crus, acérés et poignants, les histoires sont pleines de douleurs, de sexe et de folie. Par cette Lucarne, le paysage de mer et de vent est sculpté par Eros - désir de vie - et Thanatos - désir de mort - et fait frémir d'horreur... d'autant plus qu'on se dit que ce livre est beau alors que vraiment, ce qu'il raconte...
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Nouvelles de Madagascar

Cette petite Edition - Miniatures, Magellan & Cie, qui se spécialise dans le recueil de Nouvelles de différents pays est d'habitude une valeur sûre, mais là, c'est la grosse déception.



A part la première Nouvelle "Ambilobe" de Raharimanana qui à elle toute seule mériterait 5 étoiles, les autres ne m'ont pas plu et la dernière, une histoire de viol, m'a totalement écoeurée.



La première est vraiment amusante : le narrateur essaie de rentrer de Ambilobe à Diego Suarez, à deux heures de route, en partageant un taxi-brousse. Après moult péripéties toutes plus amusantes les unes que les autres, il partira enfin, 6 heures après s'être assis dans le taxi :)
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Tisser

J’ai succombé à ce récit dès la première phrase. J’ai su que j’allais éprouver une sorte de fascination qui resterait ancrée en moi pour toujours (je l’espère vivement).





TISSER vous happe dans sa toile en un tour de main. Magie, obsession hypnotisante, Raharimanana, grand orateur, oracle de son temps, narre avec une telle évidence, spontanéité et fascination de ce temps qui fût, qui est et qui sera.





Entre contes, mythes et réalité, il nous confesse le grand mal du monde. L’absence d’écoute des peuples quelques qu’ils soient et surtout ceux de l’Afrique. Il expose une vision panoramique de ces vies détruites par le colonialisme et la perte d’identités riches, culturelles et communautaires.





Au travers du prisme d’un enfant mort né, le flux va et vient entre aperçu du temps présent, légende, hypothèse, futur.





Raharimanana parle de la vie et de la mort, lien ténu et indivisible, il tisse ses vies au travers de ce filtre étonnant reliant une vision merveilleuse et horrifique.





TISSER c’est hurler et pleurer la vie. C’est donner un sens à l’héritage, à la mémoire, à la nature, à la femme, à l’amour.





Mémoire universelle du berceau de la vie.





TISSER chante une chanson mélancolique, douce, tendre où l’amour s’accorde avec la tristesse et la mort.





TISSER se chante, se crie, se chuchote. Poème reflétant une immensité où le plus infime est d’une beauté rare.





TISSER est sans contexte un voyage inédit. Un voyage au bout du monde où la liberté est chère et la vie un fruit défendu.




Lien : https://lesmisschocolatinebo..
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Tisser

« Tisser, c’est se connaître comme fibre, et accepter de se lier à d’autres pour une existence plus vaste. Tisser les mémoires. Tisser les vies. Tisser l’utopie. »



Dans ce court texte hybride, où conte, poésie et essai se côtoient, Jean-Luc Raharimanana, à travers son narrateur un enfant mort-né, nous raconte le monde. « Je suis mort, l’ourlet de tous les vivants, le point de finition entre les générations. Imaginez-moi comme une fumée bleue évanescente, se brumant, dès qu’on l’aperçoit, je me déroule d’un recoin qu’on ne remarque pas, rappel d’azur et l’infini pressenti. » En convoquant les mythes et légendes malgaches, la conscience de cet enfant nous parle de la genèse de la civilisation. On y découvre deux entités : le Ciel et la Terre. Le Ciel est le Dieu d’en haut, le principe mâle et il se nomme Ralanitra. La Terre est le Dieu d’en-bas, le principe femelle et se nomme Ratany. En s’unissant, ils ont pu donner vie aux corps de toutes les espèces. « Tu as des statues qui n’ont pas de vie. J’ai de la vie qui n’a pas de corps. Unissons-nous. Je te donne la vie. Tu me donnes les corps ». Un point de départ pour aborder par la suite ces périodes douloureuses qui ont touché l’Afrique, telles que l’esclavage et la colonisation, mais il est également question d’aujourd’hui avec la mondialisation.



Il est difficile de résumer cet ouvrage. Un texte singulier dans lequel je me suis laissé porter et qui m’a parfois perdue. Une plume poétique et travaillée, exigeante mais sans contexte magnifique.

Tisser, c’est à la fois un plaidoyer politique et un récit de transmission. Transmettre l’Histoire, ne pas l’occulter. Comprendre et être fier de ses origines. Tisser, c’est un hommage à l’Afrique et sa grandeur !
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Tisser

« Tisser » (2021, Mémoires d’Encrier, 96 p.) de Jean-Luc V. Raharimanana, auteur malgache, dont le nom signifie « celui qui a le don de créer ». C’est un petit livre imprimé en France sur du papier (c’est important de le noter) issu de forêts durablement gérées (tout comme celui du lapin) et de sources contrôlées (mais il est précisé en janvier 2021, donc depuis ???). Il me paraissait important de l’écrire, vu que l’imprimeur a gâché l’encre de 80 caractères pour nous prévenir. Je viens de vérifier dans le beau « Rien du Tout » de Olivia Tapiero (2021, Mémoires d’Encrier, 136 p.), donc du même éditeur/imprimeur. Les deux livres ont bien été élevés sous la même mère au vrai grain bio et non en hors-sol.

L’auteur donc de « Tisser » vit en France à Tours et a déjà publié un certain nombre d’autres romans, de la poésie, et un « beau-livre » (c’est décrit ainsi) « Portraits d’insurgés » avec des photos de Pierrot Men (2011, Vents d’ailleurs, 64 p.) sur la révolution de 1947, qui suit de « Le Bateau Ivre Histoires en Terre Malgache » avec Pascal Grimaud (2004, Images en Manœuvres, 64 p.). On lui doit aussi l’édition de livres sur la littérature malgache et un intéressant ouvrage « Les Comores, une littérature en archipel », avec Magali Nirina Marson (2011, Revue Interculturel Francophonies, Lecce, Italie, 384 p.).

En fait l’auteur s’interroge depuis 1989, c’est-à-dire depuis qu’il a monté une pièce « Le prophète et le président » (2008, Editions Ndzé ), pièce commandée par l’Alliance Française d’Antananarivo. Mais la liberté de ton agace et le dossier atterri sur le bureau du ministre de la culture, un certain Jack L. qui envoie derechef un émissaire pour demander d’interrompre la création « pour préserver les relations entre la France et Madagascar ». L’auteur bénéficiera d’une bourse en France et en 1993, la pièce sera diffusée sur RFI. Il y est question de deux fous, qui veulent s’évader en entraînant les autres à leur suite. Dans leur bouche, l’auteur a mis des mots de politiciens qui parlent. « Vive la République de mon trafic ! Quel dommage que la République n’accepte pas un roi ! Mais moi ! Moi, je serai un Président à vie. Par compensation ! Si on ne se prosterne pas devant moi, du moins aurais-je la satisfaction de voir tous ces gens me lécher les bottes ». Il faut reconnaître que depuis la fin de la première république de Madagascar en 1975, la grande ïle en est à sa quatrième république. Ce genre de gouvernement s’use vite sous les tropiques.



« Tisser » c’est tisser l’utopie, à travers les mémoires et les vies. « Tisser les mémoires. Tisser les vies. Tisser l'utopie ». Un enfant mort-né raconte la genèse du monde. Pour cela, il fait appel aux mythes qu’on ne lui a pas encore raconté. Et il décrit la quête de liberté, puis les dérives des régimes totalitaires et les luttes pour la libération ou les formes de résistance.

Il invoque Ralanitra-Nanahary, le principe mâle, que d’autres nomment Zanahary-Ambony, le Dieu d’en-haut. Mais il y a aussi Ratany, le principe femelle ou la Terre, que les autres appellent Zanahary-Ambany, le Dieu d’en-bas, femelle. Bagarre, comme il se doit, entre eux, ce qui fait que le soleil alla d’est en ouest. « Le Ciel recula pour ne pas brûler. / La Terre se retira pour ne pas ombrager. / Et l’Humanité fût ». C’est aussi simple et beau que cela. Suivent ensuite des vers « sous l’encre du Grand Césaire », « pains des mots et minerais secrets » avant de constater que l’on est chez « Les demoiselles d’Avignon » entre visages et masques.

C’est oublier les deux jeunes gens qui habitaient sur une île. « Zatovotsinataonjanahary, le Beau-jeune-homme-que-Dieu-n’a-pas-créé. L’autre se disait Zatovotsinataonolo, le Beau-jeune-homme-que-personne-n’a-créé ». Ce sont des jumeaux qui se ressemblent, comme il se doit et comme deux gouttes d’eau. Cependant, pour correspondre au mythe, l’un a identifié Dieu, le second a identifié la mère.

Et les luttes post-coloniales dans tout cela ? Il faudra bien y venir. Ne pas oublier que l’auteur est marqué par l’histoire de l’ile, de la grande révolution de 1947. L’arrivée des colonisateurs, qui imposent de plus leur religion, catholique de préférence, implique aussi la parte du folklore local et des traditions qui vont avec. « Et c’est toute l’histoire de l’Afrique qui est sous-jacente ? » « A quel endroit de notre tissu notre déchirure a-t-elle été engagée. La trace de la déchirure est-elle toujours nécessaire ? »



La vie est faite de toute une série de fibres, chacune a sa nature, sa force, son identité, sa faiblesse aussi. Unies entre elles, tisées elles forment un motif différent. Tisser, dans l’idée de l’auteur, c'est s’identifier à une fibre, accepter de se réunir à d'autres pour une existence différente, forcément plus forte et plus vaste.



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Tisser

Le nouveau livre de Raharimanana, publié sous les auspices de Rodney Saint-Eloi en sa maison de Mémoire d’encrier, n’est pas tout à fait un récit, ni un essai, ni un poème, mais il tient un peu de tout cela. On imagine bien ces pages portées à la scène. Parler de genre inclassable est devenu, en régime postmoderne, une facilité critique, mais ce qui fascine ici, c’est la manière dont ce texte s’inscrit dans un genre très défini, celui de l’essai-récit-discours post-colonial ; de W.E.B. Du Bois et Franz Fanon aux livres essentiels d’Ama Ata Aidoo, Our Sister Killjoy [1977] et de Shailja Patel, Migritude [2010].



Textes aussi poétiques que politiques, dans lesquels il est impossible de dissocier, de détisser la trame poétique de la trame politique : la parole poétique n’est pas là pour formuler un pré-pensé politique, et encore moins un quelconque prêt-à-penser. C’est dans la parole, le tissage de voix/phrases, que se forme le discours politique.



lire la suite suite ici : http://litteralutte.com/ecrire/?exec=article&id_article=37#
Lien : http://litteralutte.com/ecri..
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Nour, 1947

La langue de Raharimanana est celle du silence qui succède au rêve et précède l'éveil. Sa poésie est un plat qui se mange cru, un cri qui dilate les dédales du vide. Elle entame les ciselures du coeur, ruisselle de larmes viscérales vers un ciel inversé, ouaté d'une transcendance sucrée-salée.



Ici il est le chef d'orchestre d'un récit-choral se déroulant lors des émeutes anticoloniales de 1947 à Madagascar où des dizaines de milliers de Malgaches ont été massacrés par l'armée française. Dans ce contexte dramatique, c'est l'histoire d'amours pour une terre et pour une femme, victimes de ce carnage.



"Transcrire. Tout transcrire."

Les apôtres des candeurs coquettes et doucereuses lui reprochent la violence de ses images... mais ce sont les civilisations humaines qui sont violentes !

Le poète est une colonne érigée en cortège de vertèbres qui soutiennent l'ossature de la résistance au scandale du monde. Il se saisit de l'abject à deux mains, comme nos ancêtres éblouis de voir le feu jaillir de la friction des silex, le décrasse, le lustre avec sa radieuse salive puis le dégrade en fines incandescences sublimées. Avec l'impudente pudeur de la lune lorsqu'elle éclaire le soleil, ses mots, acrobates des cloaques, déferlent dans la fosse des charniers et en distillent de l'or...



Raharimanana est, selon moi, le phénix des poètes contemporains.
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Œuvre monumentale à l'écriture ensorcelante de poésie. L'image y erre tandis que l'imaginaire envahit le réel et voilà que de l'histoire d'un homme, transpire celle d'un pays, du monde depuis ses origines jusqu'à l'éternité et de l'humain dans sa plus haute bassesse et ses rêves transis. La colère devient cendre manuscrite pour revenir, vers sa terre, son père, son Aimée, soi-même...
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Rêves sous le linceul

Une fois de plus, Raharimanana me sidère par la violence crue de sa langue, qui tranche le monde et les cadavres qui s'y empilent. Une poésie abyssale et mortelle, qui entremêle récits hachés de génocides, de meurtres et de naufrage dans la drogue, et qui ravive les thèmes chers à la culture malgache : la présence des morts dans le monde du vivant, le temps qui s'étire et nous perd, un monde d'esprits toujours à fleur de peau.



C'est magnifique et horrible en même temps, et la prose si particulière de Raharimanana nous suspend entre cette terrible réalité et un flottement dans un autre monde, comme pour s'abstraire des atrocités terrestres, sans toutefois y parvenir.
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Za

beaucoup de violence
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L'auteur nous emmène dans un voyage, un aller-retour, au rythme de respirations saccadées, au rythme des vagues, au rythme de ses voyages aussi: ses voyages dans sa mémoire, ses voyages bien réels au Rwanda, en Europe au fil de ses lectures publiques, ses voyages dans son île. Mais qui est Elle? La mémoire, l'enfance, la mère, son île, Madagascar, sa femme, ou un peu tout ceci? L'histoire se mêle à l'histoire. Un magnifique poème.
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Za

Pas toujours facile à lire, le parti pris de cette voix intérieure peut-être déroutant. Mais, après avoir connu Madagascar où j'ai vécu plusieurs années, ce roman prend une résonnance particulière de vérité brutale sur ces coutumes qui resteront à jamais nébuleuses à l'occidental.
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Lucarne

Extraordinaire recueil de nouvelles sur Madagascar, où se mêlent nature luxuriante, violence inouïe des hommes et amour éperdu des femmes.

Un vrai coup de cœur, à la langue cependant très crue et pleine de noirceur malgré la très belle poésie qui sous-tend ce petit ouvrage.
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Nour, 1947

Lecture mitigée que voici. C'est un livre étrange dont je ne sais quoi penser. J'ai aimé certains passages que j'ai trouvé très beaux, très poétiques, tanfis que je n'ai pas supporté d'autres passages très violent, à la limite du soutenable (pour un en particulier). J'ai eu des difficultés à comprendre l'histoire pendant le premier tiers du roman, puis par la suite je me suis habituée à cette narration hachée, mélangeant différentes époques.

Il faut tout de même reconnaître que l'auteur a une très belle plume, très poétique (comme dit plus haut), il y a un rythme, des phrases qui reviennent comme une rengaine, un refrain, un leitmotiv. J'ai également aimé la description faite des sentiments, la mise en lumière sur les sentiments des colonisés , la cruauté des colonisateurs. Mais je pense tout de même que j'ai dû passer à côté de quelque chose.
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