Sara Agnès L.

Quel luxe d’enfiler des vêtements qui sentent bon. J’avais oublié à quel point c’est agréable. Pendant que mon téléphone se charge, je redescends, prêt à boire mon deuxième café que s’empresse de me resservir Lily dès qu’elle me voit arriver.

Hormis pour la barbe, il ressemble à un gamin, perdu dans cette vie qui s’est jouée de lui. Je reste un moment à le contempler pendant qu’il dort. A-t-il terminé la lecture de son manuscrit ? Cela suffira-t-il seulement à lui donner envie de reprendre l’écriture ?

Moi qui pensais que la solitude était le meilleur remède pour passer mes nerfs. J’avoue que le bruit de sa respiration me calme. Au bout de deux gorgées, mon histoire me revient en tête et je baisse à nouveau les yeux en direction de mon texte, heureux d’avoir retrouvé mes personnages.

C’est qu’elle est vraiment mignonne. Comment une femme aussi jolie s’est-elle retrouvée à venir s’occuper d’un homme comme moi ? Je devais avoir l’air d’un ours, hier matin ! Mécaniquement, je passe une main sur ma barbe qui n’a pas encore été rasée. Je pourrais le faire, bien sûr, mais l’idée qu’elle le fasse m’inspire beaucoup. Surtout si elle accepte de le faire avec les seins nus.

Un esprit doit être libre de toutes contraintes pour pouvoir créer. Alors si vous ne buvez pas trop, que vous mangez bien, dormez bien et que votre corps est… dans de bonnes dispositions, je crois que cela vous aidera à retrouver goût à l’écriture.

Je suis dur comme du bois ! Est-ce qu’elle ne le voit pas ? Sait-elle seulement que ça fait des lustres que je n’ai pas ressenti le moindre désir pour une femme ? Comment peut-elle me refuser ça?

Je n’ai quand même plus seize ans pour dévisager une femme nue de la sorte ! Du coin de l’œil, je vois la pointe d’un sein qui tangue au rythme de ses gestes. C’est plus fort que moi, je n’arrive pas à en dévier mon attention. Quand elle m’époussette, elle revient se pencher devant moi pour vérifier de quoi j’ai l’air. Là, je vois tout. Et j’avoue que c’est drôlement joli à regarder.

Je reste un moment perdu dans ma contemplation de ce corps à moitié nu, sans réaliser qu’elle reprend ses coups de ciseaux alors que ses seins se promènent sous mon nez. Le doux parfum me revient et me donne envie de toucher cette peau chaude. La peau d’une femme. Si douce…

Autant l’avouer, je ne pense qu’à ça depuis qu’elle promène ses seins sous mon nez. Si je n’étais pas aussi idiot, je les prendrais entre mes mains et je repousserais ce tissu qui les masque à ma vue. J’ai l’impression que ça fait une éternité que je n’ai pas vu un corps de femme.

Je savoure ses gestes, ses coups de peigne, ses petits coups de ciseaux derrière ma nuque, puis de chaque côté de ma tête. Je n’ouvre les yeux qu’au moment où elle se plante devant moi, sa jambe entre les miennes, pour poursuivre sa tâche correctement. Je dévore sa poitrine du regard, bien coincée dans cette robe bleue. D’ici, je vois qu’elle ne porte aucun soutien-gorge, car le vêtement, élastique, la comprime parfaitement. Le tout étant soutenu par deux bretelles toutes fines. Si fines qu’en deux mouvements, je pourrais les arracher.

Il y a une éternité que mon corps n’a pas eu d’érection. Pendant que je commence à me détendre sous l’eau chaude, je savoure les prémices d’un orgasme que je compte bien ressentir totalement, cette fois. Je pose une main sur le mur pour y prendre appui pendant que je m’active plus vite. Je songe à la poitrine de Lily que je n’ai pas vue.

 Je ne suis pas là pour vous ficher la paix. Je suis là pour vous aider. Ce ne sera pas une partie de plaisir, ni pour vous ni pour moi, mais c’est nécessaire pour que vous puissiez vous remettre à l’écriture.

Lily est là, et elle semble déterminée à me pousser vers l’avant. Je vois bien ce qu’elle fait : elle essaie de chasser ce qui me rattache au passé. Qu’elle balaie le souvenir de Jeanne avec sa bouche, si elle veut, mais pas Nathan. Je ne veux pas qu’on touche aux affaires de Nathan. C’est mon fils, bon sang !

Perdu dans mes pensées puériles, je reporte mon attention vers elle et ne tarde pas à comprendre que ses yeux sont rivés sur ce qui se passe dans mon pantalon.

Même si les mots sont sortis un peu vite, je suis conscient d’avoir dit n’importe quoi, et je m’attends à une riposte. Merde. Je suis peut-être saoul, en fin de compte. Ou alors c’est le fait d’être en présence d’une femme qui me rend aussi bête. Pourtant, elle ne me gifle pas, même si ses doigts se resserrent autour de ma peau et me font signe de revenir en direction du canapé pour m’asseoir.

J’ai l’air d’un adolescent en manque qui essaie de tout voir. C’est peut-être le fait de ne plus être saoul, ou parce que j’arrive à distinguer autre chose que la forme d’une bouteille. Dans un soupir, je reporte mon attention sur mon verre et je bois une bonne rasade de vin, ravi qu’elle m’en fournisse sans que j’aie à le quémander. Il est bon, en plus. Je scrute la bouteille pour éviter de reporter mon attention quelque part où je ne m’en sens pas le droit, et écarquille les yeux devant l’étiquette.

Il n’y a que ceux qui n’écrivent pas qui ignorent à quel point c’est difficile d’écrire un roman. Comme s’il suffisait que je m’installe devant mon ordinateur pour que les mots sortent.

Quand je crève de faim, je me contente de me réchauffer des conserves ou un plateau-repas surgelé. Mais cette fille, elle fait cuire mon steak à point, comme je l’aime, et me le sert avec des frites maison. Des frites comme ma Jeanne en faisait, il y a une éternité. Des frites qui rendaient Nathan tellement heureux.

Je serre les dents devant son décolleté qui accroche mon regard. Énervé et déterminé à la faire réviser sa décision, je balaie le tout d’une main avec fracas. Le verre se déverse sur le sol et l’assiette éclate à mes pieds, aux côtés d’un sandwich complètement défait.

Sans réfléchir, je me penche en direction de l’armoire et je récupère une bouteille de quelque chose de fort. De la vodka, m’indique l’étiquette, et même si je déteste cet alcool, tant pis. C’est tout ce qui reste. J’ai besoin de m’étourdir l'esprit.