Citations de Ahmadou Kourouma (285)
Les soleils des Indépendances s'étaient annoncés comme un orage lointain et dès les premiers vents Fama s'était débarrassé de tout : négoces, amitiés, femmes pour user les nuits, les jours, l'argent et la colère à injurier la France, le père, la mère de la France. Il avait à venger cinquante ans de domination et une spoliation. Cette période d'agitation a été appelée les soleils de la politique. Comme une nuée de sauterelles les Indépendances tombèrent sur l'Afrique à la suite des soleils de la politique. Fama avait comme le petit rat du marigot creusé le trou pour le serpent avaleur de rats, ses efforts étaient devenus la cause de sa perte car comme la feuille avec laquelle on a fini de se torcher, les Indépendances une fois acquises, Fama fut oublié et jeté aux mouches.
Il y avait une semaine qu'avait fini dans la capitale Koné Ibrahima, de race malinké, ou disons-le en malinké : il n'avait pas soutenu un petit rhume...
Comme tout Malinké, quand la vie s'échappa de ses restes, son ombre se leva, graillonna, s'habilla et partit pour le lointain pays malinké natal pour y faire éclater la funeste nouvelle des obsèques. Sur des pistes perdues au plein de la brousse inhabitée, deux colporteurs malinké ont rencontré l'ombre et l'ont reconnue. L'ombre marchait vite et n'a pas salué.
La politique n'a ni yeux, ni oreilles, ni cœur; en politique le vrai et le mensonge portent le même pagne, le juste et l'injuste marchent de pair, le bien et le mal s'achètent ou se vendent au même prix. (p.164 / éd. du seuil, 1970)
Le genou ne porte jamais le chapeau quand la tête est sur le cou.
Mépriser son adversaire,
même petit et frêle,
est toujours une erreur
stratégique.
Toute épreuve pour un peuple ou bien sert à purger des fautes ou bien signifie la promesse d'un immense bonheur.
La vie est toujours douloureuse pour les gens qui aiment ceux qui les excluent et méprisent ceux qui les acceptent.
Quand on dit qu'il y a une guerre tribale dans un pays, ça signifie que des bandits de grand chemin se sont partagé le pays.
Ils se sont partagé la richesse; ils se sont partagés le territoire; ils se sont partagés les hommes.
Ils sr sont partagé tout et tout et le monde entier les laisse faire.
Il y avait au Liberia quatre bandits de grand chemin: Doe, Taylor, Johnson, El Hadji Koroma et d'autres fretins de petits bandits.
Les fretins bandits cherchaient à devenir grands.
Quand, au moment de la séparation entre deux individus, personne ne ressent de regret, la séparation est arrivée trop tard.
Fama Doumbouya ! Vrai Doumbouya, père Doumbouya, mère Doumbouya, dernier et légitime descendant des princes Doumbouya du Horodougou, totem panthère, était un "vautour". Un prince Doumbouya ! Totem panthère faisait bande avec les hyènes. Ah ! les soleils des Indépendances !
Rien en soi n'est bon, rien en soi n'est mauvais. C'est la parole qui transfigure un fait en bien ou le tourne en mal.
Mais alors, qu'apportèrent les Indépendances à Fama ? Rien que la carte d’identité nationale et celle du parti unique. Elles sont les morceaux du pauvre dans le partage et ont la sécheresse et la dureté de la chair du taureau. Il peut tirer dessus avec les canines d'un molosse affamé, rien à en tirer, rien à sucer, c'est du nerf, ça ne se mâche pas. Alors comme il ne peut pas repartir à la terre parce que trop âgé (le sol du Horodougou est dur et ne se laisse tourner que par des bras solides et des reins souples), il ne lui reste qu'à attendre la poignée de riz de la providence d'Allah en priant le Bienfaiteur miséricordieux, parce que tant qu'Allah résidera dans le firmament, même tous conjurés, tous les fils d'esclaves, le parti unique, le chef unique, jamais ils ne réussiront à faire crever Fama de faim.
Un pet sorti des fesses ne se rattrape jamais.
Pourquoi les Malinkés fêtent-ils les funérailles du quarantième jour d'un enterré ? Parce que quarante jours exactement après la sépulture les morts reçoivent l’arrivant mais ne lui cèdent une place et des bras hospitaliers que s'ils sont tous ivres de sang. Donc rien ne peut-être plus bénéfique pour le partant que de tuer, de beaucoup tuer à l'occasion du quarantième jour. Avant les soleils de Indépendances et les soleils des colonisations, le quarantième jour d'un grand Malinké faisait déferler des marigots de sang. Mais maintenant avec le parti unique, l'indépendance, le manque, les famines et les épidémies, aux funérailles des plus grands enterrés on tue au mieux un bouc. Et quelle sorte de bouc ? Très souvent un bouc famélique gouttant moins de sang qu'une carpe. Et quelle qualité de sang ? Du sang aussi pauvre que les menstrues d'une vieille fille sèche. C'était pour ces raisons que Balla aimait affirmer que tous les morts des soleils des Indépendances vivaient au serré dans l'au-delà pour avoir été tous mal accueillis par leurs devanciers.
Balla m'expliquait que cela n'avait pas d'importance et intéressait personne de connaitre sa date et son jour de naissance vu que nous sommes tous nés un jour ou un autre et dans un lieu ou un autre et que nous allons tous mourir un jour ou un autre et dans un lieu ou un autre pour être tous enfouis sous le même sable
Ingérence humanitaire, c’est le droit qu’on donne à des Etats d’envoyer des soldats dans un autre Etat pour aller tuer des pauvres innocents chez eux, dans leur propre pays, dans leur propre village, dans leur propre case, sur leur propre natte.
La politique n'a ni yeux, ni oreilles, ni coeur ; en politique le vrai et le mensonge portent le même pagne, le juste et l'injuste marchent de pair, le bien et le mal s'achètent ou se vendent au même prix.
Il n’y a pas de justice sur cette terre pour le pauvre.
Le bébé des humains ne se présente pas plus fort qu'un bébé panthère
Et le matin d'harmattan comme toute mère commençait d'accoucher très péniblement l'énorme soleil d'harmattan. Vraiment péniblement, et cela à cause des fétiches de Balla. Le féticheur jurait que le soleil ne brillait pas sur le village tant que ses fétiches restaient exposés. Comme le matin il se réveillait tard, il les sortait tous pour leur tuer le coq rouge. Donc pendant un lourd moment le soleil gêné s’empêtrait et s'embrouillait dans un fatras de brouillard, de fumée et de nuages. Les fétiches de Balla rengainés, entrés et enfermés, le soleil réussissait à se libérer, alors qu'il était au sommet du manguier du cimetière. D'un coup il éclatait. Et après le soleil éclatant et libéré, comme les poussins après la mère poule suivaient tous les enfants de l'harmattan : les tourbillons, les lointains feux de brousse, le ciel profond et bleu, le vol des charognards, la soif, évidemment la chaleur ; tous, tous les enfants de l'harmattan.