Il rêve de la Patagonie et d'un voyage dans les mers du Sud. Toujours par goût des aventures il est même allé à la guerre et y a laissé son bras droit. Maurice Barrès, qui le sut, lui fit offrir une merveille d'orthopédie, un bras de frêne et d'aluminium qui déclenchait, à la moindre pression, des doigts à charnières métalliques. Cendrars s'est amusé quelque temps à faire fonctionner cette machine sous le nez de ses amis, puis il se dégoûta de ce membre mécanique. C'est dans une gare évidemment qu'il abandonna son bras postiche: au moment de partir en voyage il l'a déposé à la consigne, et s'en fut plus léger. On peut se demander si ce bras de Cendrars est toujours à la consigne.
C'est -commença le Nouguéro- c'est une terrible histoire de mer que je veux vous raconter, du temps que nous battions, sur le "Gaillard Gouteux", les côtes de Virginie, jusqu'à la Nouvelle-York et au delà, pour faire enrager les anglais ...
Allez hop 2 citations pour le prix d’1 :
« Le pénible sentier de mulet qui y mène part de l’esplanade des moulins, près d’un cimetière si joli qu’on y passerait toute sa mort. » à Ios p.151
« Les maisons blanches, cubiques, d’une construction rudimentaire, telles que les grecs de tous temps les ont toujours habitées. La maison d’agrément a été inventée par les Romains. » à Lindos p.234
Le Cristobal filait doucement six à sept noeuds à travers les bancs de Mala, dans l'estuaire du Guayas.
A l'aube, on avait hissé le pavillon de départ et commencé à virer les ancres. L'équipage s'était montré plus habile qu'on ne l'aurait cru, et même, sous la tempête blasphématoire du bosco, discipliné. Après une demi-heure de travail, William, qui commandait la manoeuvre, avait marqué lui-même la marche en avant, et le cargo, avec son or secret, s'était laissé descendre vers la mer.
« La mer, ici, et* la seule nourrice, Pêcheurs par vocation héréditaire et par nécessité. On est pauvre et content dans sa pauvreté, ce qui devrait bien être la loi générale d’un monde où personne, même les riches, n’est satisfait de son sort »
à Kalymnos p.206
P.S. : * (sic) en relisant j'ai cru avoir mal recopié, mais non c'est bien "et" et pas "est".
En amour, les hommes de mon âge - celui que j'avais alors - ne sont les dupes que d'eux-mêmes. Leur mal ordinaire est la jalousie : il n'en est pas de plus poignant. Ils n'ont pas encore admis la résignation qui ferme les yeux devant le mensonge. Les femmes qu'ils ont connues leur ont appris le doute et le qui-vive. Ils ont trop d'expérience, ils n'ont plus assez de fatuité, pour se reposer dans la confiance. Mais il faut qu'ils payent un nouveau tribut à l'amour-propre : ils ne veulent pas être dupés. Ils le sont rarement car ils ont tout prévu. Même le pire n'est pas assez pour ce qu'ils imaginent. Ils détruisent ainsi le bonheur qu'ils ont, par le malheur qu'ils créent dans leur esprit.
Je la regarde de tout près. Vingt-quatre ? vingt-cinq ans ? Moyennement grande. Une manière a elle d'appuyer la hanche sur la jambe. Une pudeur indifférente dans le vêtement, comme celle d'une belle fille nue. La lèvre toujours humide, attirante. Le nez un peu retroussé, comme celui de nos Parisiennes. De longs cils courbes : le cimeterre biblique. Un front lumineux. La phrase de La Bruyère m'offrait son rythme et son sentiment : "... Comme une nuance de raison et d'agrément qui occupe le coeur et l'esprit de ceux qui lui parlent..."
William s'était arrêté de parler. Il avait assez la connaissance des hommes, et surtout des hommes de mer, pour comprendre celui qu'il avait devant lui. Il concevait la grandeur de cette indolence en face de l'action et du danger, et bien qu'il ressentit à son égard une violente antipathie d'homme à homme, il ne pouvait s'empêcher d'admirer le calme presque voluptueux de celui qui devait être un chef incomparable, à l'heure de l'aventure.
Il y eut, pendant quelques secondes, un contact brûlant entre ces deux hommes si contrastés, parce qu'ils se rencontraient dans une semblable passion, celle de la mer. Mais pour William ce n'était pas seulement la mer, c'était aussi le navire, son navire, cette créature de fer, de cuivre, d'acier, la courbe de sa coque, la musculature de sa machine, la voix de sa sirène et de sa cloche de brume, l'entêtement de sa proue dans la vague et la vibration émue de tout ce grand corps à la poursuite de l'horizon. On pouvait se demander s'il n'avait pas accepté ce destin nouveau, le vol, peut-être le meurtre, pour être enfin le maître de son navire.
Qui n'a rêvé, un soir de grand cafard, de rencontrer, au détour d'une rue ou à la sortie d'un cinéma, les héros de ses romans préférés ? Avec eux, sans doute, une véritable communication serait possible, et peut-être plus encore, une communion, qui réduirait à néant les pauvres "échanges" quotidiens, ces monologues stériles dont nous remplissons le vide de nos journées. Si nous ne rencontrons que rarement les personnages de fiction, ils sont pourtant là, autour de nous, invisibles mais présents, comme une musique dans l'air. (p. 275)