Borges vous intrigue, entrez dans sa maison accompagné d'un de ses lecteurs atitrés. Alberto Manguel, qui n'avait trouvé d'autre réplique au représentant du gouvernement venu défendre la destruction du prix unique du livre par un argument écologique : "Monsieur vous êtes un abruti"; nous transporte dans le quotidien enlivré de Jorge Luis Borges.
Commenter  J’apprécie         20 ![La cité des mots par Manguel La cité des mots](https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/51KI%2BKQCPuL._SX95_.jpg)
Critique de Propos recueillis par Lauren Malka pour le Magazine Littéraire
L'essayiste et romancier estime dans sa dernière publication, La Cité des mots, que « les histoires sont notre mémoire, les bibliothèques sont les entrepôts de cette mémoire, et la lecture est la pratique qui nous permet de recréer cette mémoire ». Vous aviez d'abord l'intention d'intituler votre livre « Pourquoi sommes-nous ensemble ? ». Comment en êtes-vous arrivé au titre final ?
ALBERTO MANGUEL. Nous bâtissons des entités sociales, des villes, des frontières, non sur des réalités tangibles, mais sur un langage, des récits, des histoires. Cette affirmation est assez paradoxale, car la langue est propre à chaque société et devrait nous fermer les uns aux autres. Or, si je peux justement me permettre de convoquer une histoire pour expliquer cette idée, il semble que ce paradoxe soit celui de Babel. Loin d'être une malédiction, la multiplicité des langues et des cultures permet de construire un monde plus ouvert et plus riche.
La « Cité des mots » est-elle, pour vous, la « Cité idéale » ?
Pour moi, la Cité idéale ne saurait être clairement définie. La définition figée d'une société, que peuvent engendrer certains discours patriotiques, ne peut être que caricaturale ou dépassée. Cela reviendrait à réduire l'identité française au couple qui apparaît sur la photo de Robert Doisneau. Si la Cité idéale existe, c'est celle qui ne cesse de se redéfinir, d'alimenter ses propres narrations du passé pour rester aussi vivante qu'un langage.
Si la littérature est le fondement de la société, sommes-nous menacés par l'évolution de l'édition, que vous déplorez ?
Je pense en effet que le danger est réel. La littérature de consommation envahit les rayons ; elle occupe la place de la vraie littérature et risque d'entraîner de douloureux trous de mémoire. La littérature ne risque pas de disparaître, mais, en nourrissant le lecteur de façon si immédiate, elle ne peut accomplir sa vocation dans la société. Cela n'a rien d'un sermon. Il me semble qu'en tant que citoyens nous nous devons, non pas simplement de payer nos impôts, mais également d'être très attentifs à notre création littéraire car notre mémoire collective en dépend.
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