A Montpellier la guerre en Ukraine inquiète Alexandre Thabor, écrivain de 94 ans rescapé de la Shoah.
France 3 Occitanie
Alexandre Thabor est un rescapé des camps ou il a perdu sa mère à Auschwitz. Fils d'un couple d'ukrainien originaire d'Odessa, il est aujourd'hui le dernier témoin d'une histoire violente.
Vois-tu , j'aime les femmes . Je sais que tu les aimes également . Elles seules peuvent sauver l'humanité du désastre masculin . Je la vois encore pousser un cri horrifié quand devant nous , cinq déserteurs français désignés au hasard ont été exécutés . Ils étaient tous communistes . Tous volontaires . Je n'ai jamais entendu un cri pareil . C'était à la fois le cri d'une mère , d'une soeur , d'une femme , d'une adolescente . Un cri d'amour au milieu de cette guerre . P.181
" Sans l'espérance, vous ne trouverez pas l'inespéré. "
Héraclite
(page 81)
Jusqu'à ce jour atroce où nous avons libéré Berezivka de l'occupation des Cent-Noirs de Kourov le sanguinaire . Nous avons trouvé la vieille communauté anéantie . Plus de tanneurs , d'artisans , de petits commerçants , de colporteurs , de tailleurs . Tous sauvagement massacrés . Quand nous avons traversé la ville , ses rues étaient jonchées de cadavres de dizaines d'hommes juifs , tous massacrés . C'était intolérable . Je n'ai jamais oublié les vieillards et les enfants découpés en morceaux , empilés sur les trottoirs ou accrochés aux maisons calcinées , les femmes et les jeunes filles violées ; même des petites filles et des femmes âgées , hagardes , perdues , terrifiées , au point d'en perdre la tête .
A ces atrocités s'étaient ajoutées les tortures morales ...
Ils avaient forcé les habitants à chanter et à danser en présence de leurs tortionnaires . On les avait obligés à s'insulter entre eux , à louer leurs bourreaux , à creuser leur propre tombe et à commettre des actes indignes pour amuser leurs assassins . L'état mental des Juifs que nous trouvâmes était proche de la démence . Notre histoire n'avait jamais rien connu de pareil .
L'enfer de Dante pâlit à côté de ce que vécurent les Juifs en Ukraine dans ces années - là / P.58_59
Elle m'a dit en riant que les mots l'accompagnaient partout où elle allait pour les assumer , les propager , les semer aux couleurs de la vie pour qu'ils survivent , des mots qui comme des oiseaux aux ailes repliées attendent le souffle de ses lecteurs pour s'envoler et propager l'insoumission .
Elle m'a appris le secret des mots . " Qu'est-ce qu'un mot , m'avait-elle demandé , si ce n'est une histoire d'amour ? " .P.179
Pourtant , Odessa était sans pareille avec ses soirées printanières douces et languissantes , les parfums épicés des acacias , et ses clairs de lune inimitables au-dessus de la mer obscure ; une vie pleine de surprises, de plaisirs, de curiosités avec son grand port accueillant ....P. 44
je me suis dit en moi-même que sans s'en douter, Gricha venait de me faire découvrir une grand loi sociale : à savoir que pour amener un homme ou un enfant à désirer une chose, il n'y a qu'à lui rendre cette chose difficile à atteindre.
Il y a tant de choses dans la vie d’un homme qui ne dépendent que de son choix, ... : le bon choix, le mauvais choix. Et même s’il fait un mauvais choix, un homme peut encore le rectifier par ses réflexions, par son action même.
Notre vie est si pleine de contradictions . Je ne pourrai les expliquer que si j'en parle à haute voix , et qui mieux que toi peut m'entendre ?
(... )
Je sais que nous ne pourrons rien changer du passé , mais notre histoire , en la racontant , fera peut-être revivre la mélodie de notre vie , au-delà de la mort . P.19
Odessa était sans pareil avec ses soirées printanières douces et languissantes, les parfums épicés des acacias, et ses clairs de lune inimitables au-dessus de la mer obscure ; une vie pleine de surprises, de plaisirs de curiosités avec son grand port accueillant des cargos venus de Newcastle, Cardiff, Marseille, Port-Saïd […].
Mon adolescence se passa ainsi dans un état de guerre permanente, dans une ville sous pression policière, mais où l’on pouvait entrer dans les magasins, acheter des journaux, aller au cinéma, se rendre dans des boîtes où l’on ne dort jamais. Un peu comme à Paris sous l’occupation.
J'ai appris dans les camps de Djelfa et du Vernet la trame de ce qui constitue les hommes , non seulement leur origine, leur langue , leur âge , leur intelligence , mais leur histoire ,je les classais en trois catégories : ceux qui se penchent sans cesse sur leur passé , ceux qui s'accrochent à leur présent et ceux qui ouvrent les yeux sur le futur et agissent pour renverser l'intolérable présent en s'appuyant sur leur passé et leur présent . P. 232