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Citations de Alexis Jenni (614)


Le mot de cancer, ou simplement de tumeur, a une existence réelle, un poids matériel, il agit comme un coup de poing au foie ; quand on le prononce lentement devant eux en les regardant dans les yeux, les gens se plient en deux. Il avait une certaine façon de prononcer, que l’on pouvait croire mesurée, et qui était terrible.
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Il échoue ; il continue. Cet homme c’est moi, qui échoue mais qui tient la plume, qui ne comprend rien mais qui écrit, qui ne vit pas ce dont il parle mais qui raconte. Moi je suis l’ami, je suis celui qui voit, je n’ai aucun droit à prendre la parole, mais j’outrepasse. Je fais leur récit puisqu’il faut toujours que quelqu’un se mêle de ce qui ne le regarde pas, il faut toujours un narrateur pour accompagner les grandes aventures, car sans lui qui n’a rien fait elles disparaîtraient sans traces, on pourrait croire qu’elles n’ont pas eu lieu, que rien n’a jamais lieu. Le récit, c’est ce qui reste du réel, et il faut bien que quelqu’un s’y colle ; et ça tombe bien, j’ai du temps libre puisque rien ne m’arrive jamais. Je suis très disponible, alors je raconte. Je suis l’ombre portée, mais j’ai la parole.

Felice
Car avant de vivre avec Noé j’avais un mari, et il me dévorait en souriant. C’était il y a des années, j’essaie de ne jamais le voir, de ne pas penser à lui, de ne plus penser au regard qu’il avait sur moi, un regard qui me traversait sans s’arrêter à quoi que ce soit de moi, qui me laissait nue, plus que nue, transparente et muette. Il était radiologue, il regardait l’intérieur des gens pour trouver ce qui n’allait pas.
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Les passions tristes donnent une illusion de relief ; on évoquera l’individu contemporain, son petit horizon, ses petites hormones, ses petits ratages qui ne font pas de bruit, ça fera sourire les ironiques et rassurera les dépressifs. Parce que sinon, quoi dire ? L’amour c’est comme un bloc de verre : il n’existe que par ses bords ; dedans, rien, du remplissage, c’est transparent.
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L’amour qui dure, c’est celui sur lequel il n’y a rien à dire, tu le sais, non ? Un tunnel. Ce qui intéresse les gens c’est le début et la fin, là où ça bouge un peu, parce que sinon, entre, il y a quoi ? Des pantoufles ? Des poils dans la baignoire ? Un baba au rhum au dessert ? Rien de plus qu’une lente dégradation, et l’échec prévu depuis toujours.
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J’en ai marre d’écrire des horreurs, j’en ai marre de tuer des gens à longueur de pages. Je veux écrire sur l’amour, et celui qui dure.
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Mon éditeur est charmant, il me reçoit quand je le souhaite et il m’appelle quand il trouve que je ne le souhaite pas assez. Il est plus jeune que moi, il porte une barbe épaisse et bien taillée, des lunettes élégantes et des chemises à carreaux qu’il boutonne jusqu’au cou. Il m’accueille dans ses locaux exigus, rendus luxueux par le seul effet de la bulle immobilière, et nous nous asseyons de part et d’autre de son bureau où s’entassent des piles de livres et de chemises colorées remplies de manuscrits, de contrats et de factures, car par ailleurs l’édition est une industrie, un fleuron national qui marche mieux que la sidérurgie.
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C’est parce que je voyageais seule qu’elle m’avait tout raconté, mais si mon mari avait pu l’entendre, je sais ce qu’il aurait dit, et fait, oui, je sais ce qu’il lui aurait fait ; il lui aurait souri, il l’aurait regardée de son regard clair et intense, il m’aurait tapoté la main et aurait dit, d’une voix douce mais assez fort pour qu’on l’entende autour de nous, par-dessus le fracas des réacteurs : « Ce n’est pas ce qui nous est arrivé, n’est-ce pas ma chérie ? », et elle se serait affaissée dans un soupir comme une bouée percée, et je me serais raidie, terrifiée, regardant par le hublot la mer de nuages, me demandant comment on descend, comment on descend du siège, comment on descend de l’appareil, comment on descend à travers la mer de nuages pour filer sur la terre ferme sans attendre personne et sans se retourner.
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Et pourtant je suis jolie, plutôt intelligente, souriante et pas difficile à vivre, mais qu’est-ce qui se passe ? »
Une jolie femme comme on les fait à Nice, avais-je pensé en m’asseyant près d’elle, mais au fur et à mesure qu’elle parlait, serrée contre moi dans ces fauteuils d’avion vraiment trop étroits, à mesure qu’elle me déballait tout sous le regard immobile de son chien qui en finissait par devenir inquiétant, je voyais apparaître les traces sur sa peau, les rides malheureuses autour des yeux, les tensions du cou et tous les efforts pour les cacher.
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J’avais bien senti que la brièveté de sa réponse était une prise d’élan. J’avais répondu, j’avais fait ma part, c’était maintenant à elle de parler, et comme un barrage qui cède elle m’engloutit sous le torrent de ses malheurs. Elle ne trouvait pas l’homme de sa vie. Elle ne trouvait pas le grand amour, celui qui emporte et qui dure, celui qui nous est réservé car quelque part dans le monde il y a l’âme sœur. Elle ne trouvait pas. Elle voulait pourtant, et elle ne manquait pas de prétendants, jolie femme, jeune, belle situation, beaucoup de rencontres et beaucoup d’amis, grande liberté intime – elle l’exprima de cette façon –, mais rien, personne, elle vivait toujours seule. Elle répéta plusieurs fois ne pas comprendre pourquoi l’amour ne venait pas à sa rencontre, là encore elle parlait comme une romance, je sentais toute sa perplexité désespérée. « Je ne comprends pas… je rencontre des hommes formidables, je leur plais, ils me courtisent, je tombe passionnément amoureuse et je donne tout… en trois mois tout est grillé, ils partent. Trois mois, pas plus, et après ils me fuient, je suis seule comme avant et vidée de mes larmes. Je ne comprends pas. J’aime avec passion, je donne tout, et puis rien.
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J’ai l’impression qu’il m’échappe cet amour, que je ne sais pas m’en occuper, que je ne sais pas le retenir, il n’y a rien de plus impalpable qu’un sentiment ; même si je sais que l’impalpable se partage et que j’y consacre la plus grande part de ma vie. Mais quand il s’échappe en se livrant à d’autres partages, comment le retenir, comment le saisir ?
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L’amour impossible mime une vision tragique de la vie mais c’est surtout une façon de se faire des frissons sans toucher à rien, comme regarder d’interminables séries sur un petit écran : c’est faire des heures de canapé.
L’amour impossible c’est venir au jardin, rôder les mains vides autour du bassin, ne jamais apporter de bateau pour ne pas avoir à le poser sur l’eau ; c’est ne jamais trembler pendant la traversée où l’on ne maîtrise rien, c’est ne jamais sentir sa petite voile gonflée d’espoir et de crainte. L’amour impossible, c’est rester pour toujours un enfant triste et solitaire, juste bon à faire un écrivain.
 
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L’amour impossible est de tous les amours le plus emmerdant car il n’a pas lieu. Le considérer comme une grande chose c’est un puritanisme ou une trouille, ce qui revient au même.
On n’aime pas le bonheur, on le méprise même un peu : le bonheur est bête parce qu’il n’a pas d’arrière-pensées, le bonheur est bas puisqu’il s’exprime en liquides organiques à l’odeur forte. Et puis il est risqué : s’il est là c’est qu’il peut disparaître.
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Avec la chaleur l’eau était devenue un miroir vert, ils posaient leur petit navire, attachaient la voile triangulaire avec un lacet, et ils le lâchaient. Une brise aux senteurs de tilleul parcourait le grand jardin, refroidissait notre front, faisait frémir les petits bateaux. Nous en avions la chair de poule, nous voulions que le vent les pousse.
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L’écrivain plus célèbre que moi en tire une part de son succès, il s’emploie de livre en livre à dégonfler par avance la baudruche de l’amour, il le décrit prosaïque et toujours manqué, comme ça tout le monde sera rassuré, cela évitera d’essayer, tout le monde applaudira, chacun pour soi.
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J’apparaîtrai comme un clown dans le prochain roman de l’écrivain plus célèbre que moi, qui en bout de table prenait mes mesures les yeux mi-clos, comme un croquemort de western qui approche son mètre-ruban pour prévoir une jolie caisse à ma taille.
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Simuler ? Haleter, faire le petit chien, fermer les yeux et d’un air inspiré pousser de petits cris. Et ensuite dire : « C’était merveilleux, mon chéri, je n’ai jamais joui comme ça… en tout cas avec un homme… » Mais tout ça c’est du verbe, du vent. Quand le corps jouit, il fait bien autre chose que de gémir, et d’ensuite en parler. Comment imiterait-on le voile de sueur fraîche qui brusquement couvre toute la peau ? Comment imiterait-on la brusque augmentation du flot de cyprine, et son changement de consistance et de goût ? Comment penser que dans le domaine du corps le faux soit possible ? Naïveté, rivalité, ignorance, c’est bien la peine d’avoir vécu tout un siècle de démystifications pour en être au même point : l’impitoyable guerre des sexes, dont la vérité est la première victime.
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C’est toujours ainsi quand un homme évoque le plaisir des femmes : toujours une autre femme, ou même un homme animé d’intentions mauvaises, évoquera le grand aveuglement des hommes, leur naïveté de croire faire jouir, car la femme simule quand elle veut, les sondages le prouvent, la quasi-totalité des femmes a un jour simulé pour faire plaisir, pour avoir la paix, pour conforter avec une gentillesse toute féminine le mâle dans l’idée de la puissance de sa baguette magique, et aussi pour que ça ne dure pas trop longtemps. Et l’homme ne voit rien, tout à son rêve de gloire.
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Parce que les hommes, on peut leur faire confiance, c’est mécanique… mais les femmes, le plus souvent ça subit…
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— La passion flambe et puis le désir s’enfuit, l’enthousiasme des débuts n’est qu’une excitation…
— L’amour n’est qu’une construction littéraire, hélas en vente libre…
— C’est un courant d’air, vent et poursuite du vent… 
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L’écrivain bien plus célèbre que moi assistait à la discussion sans y prendre part, parfois il relevait une paupière de crocodile et regardait à la dérobée, on entrevoyait une vive lueur d’ironie aussitôt cachée, il vapotait mollement, entretenant l’écran de fumée. Il n’est pas sympathique mais intrigant, il attire autour de lui toute une cour d’intrigués par son hyperréalisme minutieux et vachard.
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