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Critiques de Ambroise Vollard (4)
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Souvenirs d'un marchand de tableaux

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Son écriture qu'il jugeait lente, difficile, ne prédestinait pas Ambroise Vollard à écrire ses souvenirs. Après une vie entière dans le milieu des arts, il se laissera séduire par une firme américaine et publiera ses souvenirs en 1937. Ceux-ci sont une longue suite d'anecdotes savoureuses, d'une richesse artistique et humoristique exceptionnelle. J'en conte quelques-unes que Vollard m'a susurrées :



J'ai 24 ans en 1890. Paris était la capitale des arts. Je ne m'intéresse guère à mes études de droit à Paris et préfère flâner sur les quais en observant les vitrines où sont exposés des dessins et gravures. Une licence de droit en poche, je décide de suivre ma passion et d'en faire commerce comme marchand d'art dans cette époque bénie pour les collectionneurs.

Sur mes économies d'étudiant, je m'étais constitué une petite collection de dessins et estampes. « Je rêvais d'entendre dire autour de moi « Bonjour Vollard ». ». Ma première vente fut un dessin de Forain. J'avais un certain talent, car j'arrivais à le vendre pour 150 francs à un marchand de vin qui ne m'en proposait que 100 francs. le soir même, je m'offris le théâtre, suivit d'un bon restaurant.

Je trainais dans les cabarets : le Chat Noir où oeuvrait le chansonnier Aristide Bruant, puis la Nouvelle Athènes où se réunissaient les impressionnistes, les peintres du « Grand Boulevard ». Plusieurs d'entre eux commençaient à être reconnus après de longues années de vaches maigres : Monet, Pissarro, Degas, Renoir.



Mon premier véritable commerce fut une petite boutique rue Laffitte. C'était la rue des tableaux à Paris. « Je vais faire un tour rue Laffitte » était la phrase des amateurs d'art. Tous les marchands d'art et amateurs de peinture se retrouvaient dans cette rue. Mon plus proche voisin était le célèbre marchand d'art Durand-Ruel.

Les peintres avant-gardistes étaient en train de chambouler le monde de la peinture. Ils allaient tous devenir mes amis. La plupart d'entre eux étaient encore rejetés par l'académisme ambiant et leurs expositions étaient parfois un lieu de pugilat verbal. J'avais du flair et savais m'attirer leur sympathie en les invitant régulièrement dans ma cave qui servait de salle à manger. La plupart étaient sans le sou. Je leur offrais des contrats en règle et achetais leur atelier. de riches collectionneurs américains appréciaient la nouvelle peinture, dont le docteur Barnes qui venait faire ses emplettes chez moi et Durand-Ruel. J'avais toujours une apparence somnolente, l'oeil aux aguets. Lorsqu'un amateur d'art s'intéressait à une oeuvre, j'avais une règle d'or « Il faut se garder de leur expliquer le sujet du tableau, de leur indiquer dans quel sens il faut regarder la toile. »



Que de souvenirs ! Un jour, je faillis rencontrer Vincent van Gogh. Je connaissais un petit restaurant « Au Tambourin » dirigé par la « Segatori », comme on l'appelait, une femme à la beauté méridionale fanée, mais encore piquante. Elle avait été modèle de nombreux peintres. Vincent venait de sortir de chez elle. Il était venu accrocher un tableau de tournesols.



Claude Monet devenait célèbre et visitait les expositions que j'organisais. Il aidait ses amis financièrement. Il me reçut à Giverny et me montra un tableau de Renoir « La famille Monet » peint en 1874 dans son jardin à Argenteuil. Il me raconta l'histoire de cette toile : « Manet voulut peindre ma femme et mes enfants. Renoir était présent. Il prit, lui aussi, une toile et traita le même sujet. le tableau de Renoir terminé, Manet me prenant à part : « Monet, vous qui êtes très lié avec Renoir, vous devriez lui conseiller de prendre un autre métier. Vous voyez bien que la peinture, ce n'est pas son affaire ! ».



Degas était un personnage redoutable. Je l'invitais à diner en suivant toujours ses conseils : plats sans beurre, aucune fleur sur la table, peu de lumière, enfermer les animaux, pas de parfums féminins, et se mettre à table à sept heures et demie précises. Je me souviens d'une de ses phrases à un modèle, très fière : « Tu es un cas très rare, tu as les fesses en forme de poire ». Un jour, Ingres avait eu un malaise et s'était évanoui dans les bras de Degas…



Tous ces peintres étaient des originaux : l'Américaine Mary Cassatt travaillait au succès de ses camarades, indifférente à sa propre peinture ; Cézanne déclamait du Baudelaire devant des reproductions de maîtres anciens accrochées sur ses murs ; Renoir n'appréciait que les modèles dont la peau ne repoussait pas la lumière et, surtout, bien en chair.

Plusieurs d'entre eux me firent un portrait. Renoir me peignit en toréador. Une fois, je m'endormis en posant pour Cézanne, et m'écroulais par terre. Il se précipita : « Malheureux ! Vous avez dérangé la pose ! Il faut poser comme une pomme, sans remuer. ».



Plus tard, je me suis lancé dans l'édition. « Ambroise Vollard, éditeur », cela sonnait bien. Les impressionnistes, et une nouvelle génération de peintres acceptèrent d'illustrer mes ouvrages. Mon rêve ancien se réalisa : publier les « Fables de la Fontaine ». Chagall me les illustra.

Je devins auteur. Mon premier livre : Paul Cézanne, en 1914. Je racontais ensuite la peinture et la vie de Peintre d'Auguste Renoir. Mon manuscrit terminé, je lui soumis. « Heureusement, vous ne m'avez pas fait dire trop de bêtises », me dit-il.

Après la Grande Guerre, j'ai connu l'extraordinaire fortune des cafés du boulevard Montparnasse. Les plus grands peintres et poètes s'y trouvaient : Picasso, Modigliani, Soutine, Apollinaire… Une autre époque !





La mort d'Ambroise Vollard aurait pu faire l'objet d'une de ses nombreuses anecdotes. Après une vie aussi extraordinaire, il mourra accidentellement d'un accident de voiture causé par une oeuvre d'art : endormi à l'arrière d'une voiture, un cahot précipita sur sa nuque une statue posée sur la plage arrière.



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En écoutant Cézanne, Degas, Renoir

Eh bien, figurez-vous que ce livre a été traduit en roumain (en 2009) ce qui est tout à son honneur. J'y ai donc découvert des anecdotes avec d'amusants traits d'esprit, y compris sur le parcours « romanesque » de son auteur. J'ai relevé dans la préface signée par Maurice Rheims un mot-clé, qui constitue à lui seul et dans l'absolu un drôle de point commun avec la Roumanie : « cassoulet », dans « du danger de transporter du cassoulet », qui coûta la vie à Ambroise Vollard comme une sorte d'inconvénient d'être né un galant homme.
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Souvenirs d'un marchand de tableaux

Voici un drôle de livre, drôle parce qu’il amuse et drôle par sa composition étrange et désinvolte. Pour Vollard, l’idée d’écrire des mémoires eut été trop pompeuse ; loin de lui l’idée de composer sa vie en écriture. Rassembler des souvenirs en recueil convenait plus à son esprit collectionneur ; aussi, se laissa-t-il convaincre par un éditeur américain clairvoyant (Little Brown Books) de lui vendre l’exclusivité d’une autobiographie qui allait devenir ce drôle de recueil de souvenirs et anecdotes que l’auteur à néanmoins pris soin de classer en différents chapitres.

Le premier, tout logiquement, est le chapitre de son enfance passée sur l’île de la Réunion. Vollard ne s’y attarde guère mais son goût du pittoresque nous régale déjà de tableautins de la vie coloniale dans lesquels il recherche les prémisses de sa passion collectrice et son goût pour la couleur. Suivent deux brefs chapitres évoquant sa vie d’étudiant en droit à Montpellier puis à Paris où sa passion pour la peinture moderne allait s’affirmer très tôt. Il débuta dans le métier de marchand de tableaux au service d’Alphonse Dumas, patron marchand totalement dépassé par la vogue de l’impressionnisme qu’il méprise. Vollard s’y ennuie ferme mais peut mettre la main sur quelques toiles incomprises qui feront sa fortune quand il se mettra à son compte, rue Laffitte. Vollard ne se vante jamais d’avoir découvert Cézanne, Renoir, Degas, Monet, Manet ; d’autres, comme Victor Choquet, collectionnaient des Renoir et des Cézanne dès 1876, alors qu’il passait une enfance loin des arts à la Réunion. Vollard en toute modestie attribue sa fortune au génie des peintres qu’il admirait dans un contexte historique où naissait la spéculation sur les œuvres d’art. Ce phénomène donne matière à des souvenirs amusants ; l’indécence spéculative n’avait pas encore atteint le paroxysme qu’on lui connaît aujourd’hui mais Vollard la décrit avec une ironie qui passerait pour cynique si l’on ne sentait pas en lui un mépris poli pour ces acheteurs incultes en recherche de placements. Ne cherchez pas non plus dans ces souvenirs de savantes digressions philosophiques sur l’art et le beau. Vollard n’est pas philosophe ; il se contente d’aimer sans trop se poser des questions.

Avec les souvenirs de Vollard nous sommes dans l’anecdote et le plaisir de raconter. Ce qui lui donne l'occasion de dresser une série de petits portraits d’amateurs d’art et de collectionneurs. Suivent deux chapitres qui feront le miel des historiens de l'art ; « Devant l’Olympia de Manet au Louvre » et le suivant qui est aussi le plus long ;« De Meissonier au Cubisme » . Dans le premier on découvre un Manet imperturbable devant la critique violente dont il fait l’objet ; son flegme aristocratique s’oppose aux tempéraments souvent sanguins et fougueux des autres que l'on découvre au chapitre suivant. Les "otres" (écrit Vollard pour imiter l'accent méridional de Cézanne) ce sont Cézanne lui-même, Renoir, Degas principalement mais bien d'autres aussi. J’ai cru sentir une affection particulière pour Degas ; cet espèce d’ours qui se fâchait s'il trouvait des bouquets de fleurs sur la table où il était invité - au mépris total des bonnes attentions de la maîtresse de maison. En tous cas, je ne regarderai plus un Degas de la même manière après avoir lu Vollard.

Mais on ne croise pas que des peintres dans le monde de Vollard ; on y croise quelque personnalités hautes en couleur tel le Sâr Péladan. Par ailleurs ce livre est un des rares qui nous fasse revivre Alfred Jarry.

Celui-ci me donne l’occasion d’évoquer l’autre métier de Vollard ; l’éditeur de livres de bibliophilie. Avec Jarry il conçu les « Almanachs du père Ubu », illustré par Bonnard. La dimension coloniale des almanach provient tout droit de l’enfance de Vollard – c’est là que j’en prend conscience. Sa première publication fut pour « Parallèlement » de Verlaine illustré par Bonnard. Il donna une édition du « Jardin des supplices » de Mirbeau illustrée par Rodin. Voulant offrir au Pape une de ses éditions de « l’Imitation de Jésus Christ » on s’aperçut trop tard que cet exemplaire contenait un cahier de « Parallèlement » ; deux cahiers avaient été interverti et le cahier de « l’Imitation » manquant se trouvait dans un « Parallèlement » vendu à quelqu’un qui trouvait amusant de le garder tel quel ; trente ans plus tard, ce bibliophile revendit son exemplaire à Vollard qui pu ainsi compléter le volume défectueux pour aller l’offrir au Pape à Rome. Cette anecdote est racontée dans le chapitre qu’il consacre à ses voyages.

Mais Vollard s’est aussi voulu auteur. On lui doit des livres sur les grands peintres qu’il a connu (Cézanne, Renoir, Degas) mais aussi, prolongeant le mythe créé par Jarry « les Réincarnations du Père Ubu », que la guerre lui inspira. On peut se demander si ces textes - aujourd'hui bien oubliés - ne sont pas à l'origine d'une lecture politique d'Ubu qui a assuré à ce personnage une popularité qui semble se renouveler encore au XXIème siècle.

Le chapitre XIII raconte la guerre et l’après-guerre ; d’aucuns pensèrent que l’impressionnisme n’y survivrait pas ; ceux qui lui survivront auront appris que la spéculation - qui se nourrit autant de bon beurre que de belles peintures - avait porté si haut l’impressionnisme qu’il jouit désormais d’une postérité mondiale encore bien vivante.

Allez comprendre pourquoi, dans la composition étrange de son livre, après un court chapitre sur les prix littéraires qu’il a voulu fonder Vollard le termine-t-il sur un chapitre consacré à un obscur personnage de la politique de son temps Eugène Lautier. Il lui consacre déjà quelques paragraphes au cœur de l’ouvrage au chapitre XII (Quelques personnalités), mais il faut que son livre – avant un épilogue – se termine pratiquement sur l’évocation de cette homme brillant et de belle prestance mais que le XXIe siècle à totalement oublié.

Mais ce dernier chapitre précède un épilogue si court et d'une ironie si féroce que je serais tenté de le recopier intégralement dans les citations. Mais je m'en abstiendrais - par pure paresse, croyez-moi, car vous en donner la primeur ne vous gâcherait en rien le plaisir que vous trouverez à la lecture de ces souvenirs.

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Souvenirs d'un marchand de tableaux

Ce livre est un petit plaisir qui se déguste. Qu'il a été agréable de le lire et comme cela fait plaisir de le parcourir même une fois que le volume a été refermé. Sous la très belle plume du marchand de tableau Vollard nous plongeons dans un 19ème siècle et début du 20ème siècle au monde artistique bouillonnement.

L'auteur nous raconte son expérience avec les plus grands artistes mais aussi son métier de galeriste avec des anecdotes truculentes et ce toujours dans style parfait. Vollard nous fait sourire à de nombreuses reprises notamment lorsqu'il nous raconte ses ventes... Quel Récit! Quelle vie!
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