Citations de Amélie Nothomb (7119)
Ce prénom est là-bas aussi rare que chez nous Prétextât ou Éleuthère, mais l’onomastique nippone est coutumière de l’Hapax. (p. 183)
J’y perdrais pour toujours la conviction qu’en ce paysage mon désir est le seul maître.
Pannonique avait encore embelli depuis qu’elle s’était nommée. Son éclat avait accru son éclat. Et puis, on est toujours plus beau quand on est désigné par un terme, quand on a un mot rien que pour soi. Le langage est moins pratique qu’esthétique. Si, voulant parler d’une rose, on ne disposait d’aucun vocable, si l’on devait à chaque fois dire « la chose qui se déploie au printemps et qui sent bon », la chose en question serait beaucoup moins belle. Et quand le mot est un mot luxueux, à savoir un nom, sa mission est de révéler la beauté.
Dans le cas de Pannonique, si son matricule se contentait de la désigner, son nom la portait autant qu’elle le portait. Si l’on faisait résonner ces trois syllabes le long du tube du Cratyle, on obtenait une musique qui était son visage.
Simon de Cyrène : pourquoi n’y avait-elle pas pensé plus tôt ? C’était le plus beau personnage de la Bible, parce qu’il n’était pas nécessaire de croire en Dieu pour le trouver miraculeux. Un être humain qui en aide un autre, pour ce seul motif que sa charge est trop pesante sur ses épaules.
Au fond, la création accomplie, quelle était la tâche de Dieu ? Sans doute celle d’un écrivain quand son livre est édité : aimer publiquement son texte, recevoir pour lui les compliments, les quolibets, l’indifférence. Affronter certains lecteurs qui dénoncent les défauts de l’œuvre alors que, même s’ils avaient raison, on serait impuissant à la changer. Cet amour était la seule aide concrète que l’on pourrait lui apporter.
Depuis son arrestation, Pannonique avait de Dieu un besoin atroce. Elle avait faim de l’insulter jusqu’à plus soif. Si seulement elle avait pu tenir une présence supérieure pour responsable de cet enfer, elle aurait eu le réconfort de pouvoir la haïr de toutes ses forces et de l’accabler des injures les plus violentes.
Pannonique ne supporta plus cette souffrance. Lors d’un repas, elle se mit à parler. Comme une convive autour d’une table bien garnie, elle engagea la conversation avec les gens de son unité. Elle évoqua des films qu’elle avait aimés et les acteurs qu’elle admirait. Un voisin approuva, le suivant s’indigna, le contredit, expliqua son point de vue. Le ton monta. Chacun prit position. On s’enflamma. Pannonique éclata de rire.
Il n’y eut qu’EPJ 327 pour s’en apercevoir.
— C’est la première fois que je vous vois rire.
— Je ris de bonheur. Ils parlent, ils se disputent, comme si c’était important. C’est merveilleux !
— Croyez-vous que ce vouvoiement servira à quelque-chose ?
— Ce qui nous différencie des kapos est forcément indispensable. Comme tout ce qui rappelle que, contrairement à eux, nous sommes des individus civilisés.
Son intelligence rendait sa splendeur encore plus terrifiante.
Zdena ne comprit rien au déferlement de mépris dont elle était l’objet. Pas un instant elle ne pensa s’être mal exprimé. Elle en conclut simplement que les spectateurs et les journalistes étaient des bourgeois qui lui reprochaient son peu d’éducation ; elle mit leurs réactions sur le compte de leur haine du lumpenproletariat. « Et dire que je les respecte, moi ! » se dit-elle.
Elle cessa d’ailleurs très vite de les respecter. Son estime se reporta sur les organisateurs, à l’exclusion du reste du monde. « Eux au moins, ils ne me jugent pas. La preuve, c’est qu’ils me paient. Et ils me paient bien. » Une erreur par phrase : les chefs méprisaient Zdena. Ils se payaient sa tête. Et ils la payaient mal.
L'amour est une histoire, il faut un corps pour la raconter.
C'est à cela que l’on sait si l’on est amoureux : à ce que l’on ne choisit pas.
Ceux qui croient que lire est une fuite sont à l'opposé de la vérité : lire, c'est être mis en présence du réel dans son état le plus concentré - ce qui, bizarrement, est moins effrayant que d'avoir affaire à ses perpétuelles dilutions.
Mais soudain elle sentit son âme se fendre en deux et laisser place au gouffre, et elle sut que son être entier allait y être aspiré, si puissante était l'attraction de cette douleur béante.
Home is where it hurts: à la douleur qu'elle éprouvait, elle se rendait compte qu'elle avait renoué avec la maison de son enfance.
- Sais-tu que l'amnésie n'est pas une excuse, maman ?
- Une excuse pour quoi ? dit Marie, qui ignorait jusqu'à son oubli.
Le baiser coïncida pour elle avec la souveraine morsure de son démon et elle gémit.
Si l'on avait tenté de lui expliquer que l'envers de la jalousie équivalait à de la jalousie et qu'il n'y avait pas de sentiment plus laid, elle eût haussé les épaules.
Alors j'ai fait comme tout le monde : pour lutter contre les pensées insoutenables, j'ai eu recours à d'autres pensées.
L’amitié n’apparaît pas pour combler un appétit. Elle surgit quand on rencontre l’être qui rend possible cette relation sublime.