Le couple, ce n'est pas renoncer à soi-même.
Pas étonnant que le pub tienne lieu de religion , ici : devant tant de désolation grise et humide, mieux valait être ivre pour affronter la réalité.
La vie, c'est le mouvement. L'équilibre dans le déséquilibre. Un battement d'aile à droite, un battement d'aile à gauche, et hop ! Tu t'envoles. Tu viens de casser ta bouteille de formol, joli papillon.
Décidemment, ce mec tenait du vieux chewing-gum : impossible de s'en défaire ! Mais il fallait avouer qu'il faisait un chewing-gum sacrément sexy.
Si je n'avais pas pris ce risque, j'aurais continué à glisser de jour en jour, une vie sans saveur, sans étincelle. Alors qu'Isla éclabousse mon horizon de couleurs chatoyantes et folles. Vous comprenez mademoiselle Stham? insista le vieil homme en lui saisissant le poignet. Il faut accepter de se mettre en danger pour vivre réellement!
Chaque jour qui débute est une nouvelle occasion de s'accomplir, d'avancer vers ses rêves.
Leurs racines leur permettait de s'envoler sans peur, car ils savaient toujours où revenir se poser. C'était déconcertant. Al avait toujours cru que couper les ponts avec sa vie d'avant lui offrait la liberté. Elle commençait à se demander si en réalité, elle ne s'était pas perdue dans l'immensité, sans attache, si loin de tout port où s'amarrer.

— Sois une gentille fille, je ne veux qu’un baiser…, susurre-t-il en se penchant plus près. Son haleine alcoolisée envahit mes narines et ses lèvres viennent s’écraser contre les miennes. Mon sang ne fait qu’un tour. Plus jamais ! La colère balaie ma peur et la gifle part toute seule, claquant contre sa joue avec force. J’arrache mon poignet à sa prise d’un coup sec, et je me relève, déterminée à courir. Sauf que j’ai manifestement mal calculé l’effet de l’alcool sur son orgueil blessé. Il m’agrippe par le sac à dos et me déséquilibre, les yeux brillants de rage, avant de me jeter au sol.
— T’es tarée ?! éructe-t-il. J’ai vraiment la trouille. C’est alors qu’une poigne solide me relève. Des iris verts interrogent les miens. Je hoche la tête. Matt me pousse derrière lui, en sécurité, cachée par ses larges épaules, et se dresse devant le crétin.
— Dégage ! gronde-t-il d’une voix glacée. Tout de suite. Le mec en face semble décontenancé, ses yeux glissent de Matt à moi et il finit par comprendre qu’il est dans son intérêt de ficher le camp immédiatement. Il ne fait absolument pas le poids face au mètre quatre-vingt-cinq de Matt. Il abandonne, après un dernier regard haineux à mon intention, et ses potes et lui disparaissent de la plage. Matt se retourne vers moi, ses deux mains posées sur mes épaules.
— Ça va, Minus ? me demande-t-il d’une voix tendue. Je me sens un peu perdue. Le contrecoup me coupe les jambes. Matt relève mon menton d’un doigt et insiste :
— Dani ?
— Oui, ça va. Promis. C’était seulement un emmerdeur. Un emmerdeur comme il y en a tant. J’en ai tellement assez d’avoir peur ! J’ai l’impression de n’avoir connu que ça, toute mon existence. Matt repousse une de mes mèches derrière mon oreille tout en m’observant avec une attention grave. Mon angoisse s’estompe peu à peu, remplacée par une sensation très différente. Un long frisson me traverse, mais mon agresseur n’y est pour rien. C’est de la faute de Matt, comme toujours. Teint hâlé, cheveux blonds ramenés en chignon mal fichu, pommettes hautes de viking, air soucieux et barbe courte, le tout glissé dans un jean brut et une chemise aux manches retroussées n’importe comment sur un tee-shirt noir : Matt est juste canon. Mon stupide coeur s’affole dans ma poitrine et accélère comme un fou. Ma joue s’appuie contre sa paume, presque contre ma volonté. Sa chaleur me fait du bien et bouleverse toutes mes pensées. J’ai la bouche sèche.
Nous avons massacré la planète, les animaux, les autres humains. Nous avons inventé la guerre, le meurtre gratuit, la torture, la cruauté, la corruption, la morale et les mensonges. Je ne vois pas pourquoi nous mériterions de continuer à vivre. Qu'on donne sa chance à une autre espèce : l'homme a gâché la sienne.

— Hé, chef, venez voir. Je voudrais vous montrer un truc. Je soupire. Pas envie de discuter avec ce mec. Mais je fais un effort, parce que je l’ai un peu brusqué la dernière fois et je m’en sens vaguement coupable. Il me tend son téléphone portable :
— Vous connaissez Instagram ? Vous savez, c’est un réseau social qui…
— Ne me prends pas pour un con. J’ai trente ans, pas cinquante. Quel est ton problème ? Il ne se démonte pas et me montre un profil rempli de photos absolument terrifiantes. Je comprends avant qu’il ne le dise :
— C’est la page de June. Vous avez vu ces trucs de folie qu’elle réalise ?
Mon coeur rate un battement, puis deux. Putain de merde. Ces images me collent des frissons jusque dans la colonne vertébrale. Des sauts depuis des immeubles, en pleine jungle urbaine, depuis des grues. Du parachute, de l’escalade, de la randonnée sur des lignes de crête larges comme la paume de ma main. Je ferme les yeux une seconde.
— Oui, et alors ? grogné-je.
— C’est dingue, non ?
— Elle est dingue. Et je t’interdis de reproduire ce genre de choses, Darren.
Il éclate de rire et tapote son écran avant de me le tendre à nouveau. Je m’en empare pour mieux voir. C’est pire, cette fois. Il y a toute une série de selfies d’eux deux, lovés l’un contre l’autre. Il embrasse sa joue, beaucoup trop près de ses lèvres. Son regard exprime clairement ce qu’il pense. J’ai envie de lui coller mon poing dans la figure. Sale petit serpent ! Il cherche à me mettre en rogne, et ça marche du tonnerre. Je force mes poings à se desserrer avant de lui péter son téléphone.
— Félicitations, très beaux clichés. La lune était magnifique ce soir-là.
Ce petit crétin ricane, il n’a rien raté de mon agacement.
— Comme vous dites, chef. Une lune superbe, me nargue-t-il en insistant sur « lune », au cas où je n’aie pas saisi son allusion pourrie.