Citations de Anna de Noailles (316)
La Poésie est perfection. En elle le monde trouve ou doit trouver Sa raison d'être, les lois ont leur substance et la vie son épanouissement. Les sciences, analytiques, perspicaces, multiples, pressent les vérités de toutes parts. Elles amènent l'homme au bord de la vérité. Cette vérité, l'art seul l'étreint.
Jamais la vérité ne m'a coûté à dire ; le sentiment de l'évident, du raisonnable, de l'équilibre communique à qui possède une fierté qui ne comporte ni hésitation ni regret.
Le plaisir mystique et païen,
L'amour, la beauté, le désir
Ont fait plus de mal que de bien
À mon âme qui s'en revient
Lasse d'aimer et de souffrir.
Allez, mon âme inassouvie,
Dormir dans l'ombre le grand somme,
Ayant rêvé, par triste envie,
La joie au delà de la vie,
Et l'amour au-dessus des hommes...
Le repos
Au royaume léger et charmant du fantasque,
Les amants, n’ayant pas le vouloir imprudent
De déchirer leur cœur pour regarder dedans,
Se croiront sur la foi des regards sous les masques,
Sans jamais enlacer ni désirer leur corps,
Ayant toujours un peu de sourire à la bouche,
Ils poursuivront dès l’aube une biche farouche
Au son prodigieux et débordant du cor ;
Ils seraient des héros, des reines et des pâtres,
Habitant des maisons si frêles du dehors,
Comme on en voit trembler et fleurir aux décors
Dans l’ombre merveilleuse et fraîche des théâtres.
Toujours se pavanant, ils oublieraient un peu
Qu’ils sont là pour l’amour et sa sauvagerie,
Et comme il apparaît sur les tapisseries,
La licorne et le chien s’assoiront auprès d’eux.
Poème : Conte de fée
Bien peu de cœurs sont désirants…
Bien peu de cœurs sont désirants,
Un tiède destin les rassure,
Ils goûtent les faibles mesures,
Les jours égaux, prévus et francs,
L’avenir calme et sans ardeur.
— Il faut plaindre les donateurs !
Le bonheur ainsi que l’ennui…
Le bonheur ainsi que l’ennui,
Comme deux fleuves dans la nuit,
S’en vont, rêveurs et téméraires,
Se perdre dans les eaux amères.
— Pourquoi nous semble-t-il toujours,
Dans la peine ou bien dans l’amour,
Qu’aucun des deux n’est éphémère ?…
Envions le cœur qui s’arrête…
— Envions le cœur qui s’arrête
Quand un excès d’amour l’étonne
Le plaisir n’est que ce qu’on prête,
Mais la vie est ce que l’on donne…
« Nocturne »
Je rêvais sous l’arceau de la nuit claire et lisse,
La Mort m’a pris le bras,
Elle m’a dit : Tu bois la vie et ses délices,
Et pourtant tu mourras.
Un étrange, effrayant et douloureux mystère
Gèlera tout ton sang…
Ah ! le bruit aplati et lourd que fait la terre
Quand un corps y descend !
On te laissera là. Peut-être la nuit même
De cet enterrement,
Sur toi qui fus si douce et d’une ardeur extrême,
Il pleuvra froidement ;
Tu dormiras d’un long, épouvantable somme,
Qu’aucun songe n’émeut ;
Tes yeux qui se couchaient dans le regard des hommes
Seront seuls tous les deux.
-Le Paradis -
Le paradis c'est vous beaux cieux lourds de nuages
Cieux vides , mais si vifs ,si bons , si charmants ,
Ou les arbres ,avec de longs et verts jambages
Pointus , larges , légers ,agités ou dormants ,
Ecrivent je ne sais quelle supreme histoire,
Quel livre de l'espace ,odorant ,triste et vain
Quel mystique Koran ,qui relate la gloire
De l'azur éternel et de l'éther divin.
Le paradis c'est vous ,voyageuse nuée, robe aux plis balancés d'un dieu toujours absent ,
Vers qui montent sans fin ,ardeur extenuée ,
Les vapeurs du désir et le parfum du sang.
C'est vous le paradis ,jardins gais ou maussades,
Lustrés par le soleil ou le vent du matin,
Ou les fleurs de couleur déroulent leurs torsades,
Et jouissent en paix du sensuel instinct.
Et c'est vous ,sols poudreux ,argileux ,tiède terre ,
Le paradis naif et muet qui m'attend ,
Lorsque la mort viendra rompre le mol mystère
Qui me lie ,o douceur ! A la beauté du temps....
l
1er mai.
Sainte Vierge Marie, je vous offre le mois de mai, le mois de mai où chantent les colombes, où les douces nuits brûlent comme des veilleuses blanches, où le cœur de toutes les jeunes femmes se brise, quand, au bord des fenêtres d'été, l'odeur du jasmin est plus forte que tout leur courage...
Son etre fatigué des vives passions de l'enfance, des hasards d'un mariage hatif, des douleurs de la maternité malheureuse, se resposait ainsi au creux des apres-midi molles, bercé du plaisir de vivre faiblement a la sensuelle crainte de la mort
l¿amour n'est point pour les pauvres en hiver, mais pour ceux-la seuls qui, pouvant vivre, ont ce gout de mourir de délire et d'ardeur ...
musique enchainée qui disait qu'il n'est point d'amour pour les hommes quand la terre est glacée, et quand il n'y a pas d'abri, pas de table et de pain, pas de nuit de lune, tiède et claire comme un chambre, pas de loisirs, pas de divans lourds et de parfums...
Quoiqu'elle ne se sentit ni malheureuse ni désirante d'autre chose, sa vie monotone et mince lui apparaisait seulement comme un moment lucide du sommeil, comme le versant luisant de la nuit
Offrande à la nature
[…]
J’ai porté vos soleils ainsi qu’une couronne
Sur mon front plein d’orgueil et de simplicité,
Mes jeux ont égalé les travaux de l’automne
Et j’ai pleuré d’amour aux bras de vos étés.
Je suis venue à vous sans peur et sans prudence
Vous donnant ma raison pour le bien et le mal,
Ayant pour toute joie et toute connaissance
Votre âme impétueuse aux ruses d’animal.
Comme une fleur ouverte où logent des abeilles
Ma vie a répandu des parfums et des chants,
Et mon cœur matineux est comme une corbeille
Qui vous offre du lierre et des rameaux penchants.
Soumise ainsi que l’onde où l’arbre se reflète,
J’ai connu les désirs qui brûlent dans vos soirs
Et qui font naître au cœur des hommes et des bêtes
La belle impatience et le divin vouloir.
Je vous tiens toute vive entre mes bras, Nature.
Oh ! faut-il que mes yeux s’emplissent d’ombre un jour,
Et que j’aille au pays sans vent et sans verdure
Que ne visitent pas la lumière et l’amour.
Le secret que je te promets et qui trahit les femmes, le voici, mon amour ; s’il te plaît de t’assurer de leur passion, de leur attachement, retire-leur un instant ton coeur, tourmente-les, rends-les jalouses, infuse en elle le doute, fais-les souffrir, fût-ce un peu, fût-ce à peine, et ces fronts contents et fiers ploieront sans force sous le joug affreux de la confiance perdue, et des pleurs calmes et stupéfaits descendront sur ces beaux visages, et tu ne verras plus devant toi que l’Eve lamentable qui est née humblement du corps généreux d’Adam.
Je m'appuierai si bien et si fort à la vie,
D'une si rude étreinte et d'un tel serrement
Qu'avant que la douceur du jour me soit ravie
Elle s'échauffera de mon enlacement.
Je n'ai besoin de rien, puisque je t'ai perdu...
Mélodie
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Comme un couteau dans un fruit
Amène un glissant ravage,
La mélodie au doux bruit
Fend le coeur et le partage
Et tendrement le détruit.
— Et la langueur irisée
Des arpèges, des accords,
Descend, tranchante et rusée,
Dans la faiblesse du corps
Et dans l’âme divisée…